White Shadows, premier jeu du studio Monokel, est un Limbo-like antispéciste, anticapitaliste, engagé contre la société du spectacle, avec des puzzles, dans une société dystopique basée sur la lumière (après In My Shadow, Vesper, A Tale of Shadows, Creaks, Lightmatter, Projection ou In Sound Mind, ça commence à faire beaucoup en peu de temps cette obsession pour les ampoules). Et si vous avez soupiré, c’est que vous pensez comme moi que oui, c’est beaucoup pour un seul jeu de trois heures.
Comment dire… Je suis, sur le fond, d’accord avec tout ce que White Shadows va essayer de vous raconter : l’exploitation de l’homme par l’homme, le capitalisme forcené qui nous transforme en outils de propagande d’un pouvoir totalitaire, la religion qui nous berce de douces illusions d’un monde meilleur pour nous détourner de la réalité, les animaux exploités dans les abattoirs, le pouvoir qui prend le prétexte d’une pandémie pour désigner des coupables et asseoir des lois autoritaires, etc. Vraiment, pas de souci, je polis ma guillotine métaphorique et je lève le poing : je partage toutes ces positions sans barguigner (si vous en doutiez encore, je ne suis pas spécialement connu au sein de la rédaction pour mon côté droitard). Seulement, il y a le fond du discours, et il y a le jeu lui-même, et White Shadows, c’est surtout et avant tout une aventure mollassonne qui, malgré sa direction artistique absolument sublime, assène son message de manière forcenée au risque de friser le ridicule.
Ouvrez, ouvrez la cage aux métaphores
White Shadows nous fait incarner un petit oiseau anthropomorphe, Corneille. Sortie d’une cachette au sein d’un monde en noir et blanc extrêmement dystopique, la frêle créature découvre immédiatement que dans ce gigantesque hangar hermétique, absolument tout et n’importe quoi veut sa peau, et que les oiseaux ne sont pas les bienvenus dans une société où loups et porcs vouent un culte à la Lumière et une haine féroce envers tous les volatiles, exploités pour leurs œufs ou simplement broyés pour produire de l’énergie.
En pratique, on va déambuler, essentiellement de gauche à droite, dans ce qui semble être une fusion pas franchement subtile entre La Ferme des animaux de George Orwell (largement cité à chaque chapitre), Metropolis (dont White Shadows effectue un soigneux décalque de l’architecture industrielle) et l’imagerie violente et réaliste des vidéos des militants antispécistes prises au cœur des abattoirs. Le message qui se déroule tout au long des trois heures du jeu est assez clair : l’exploitation animale, c’est pas bien, et il n’y a pas de manière « éthique » d’exploiter des créatures vivantes, particulièrement de manière industrielle.
Qu’on soit d’accord ou pas avec le constat, on aurait cependant aimé que White Shadows s’y tienne un peu mieux et n’essaye pas forcément de s’attaquer à tous les fronts en même temps. Car rapidement, le jeu mélange son propos antispéciste avec un propos anticapitaliste (les patrons ont des chapeaux haut de forme, la statue d’Abraham Lincoln a une tête de loup squelettique, on n’est pas là pour la jouer fine), puis y ajoute une couche de critique contre la télé-réalité et les émissions de divertissement, un chapitre se déroulant dans une émission de type Jeu de la Mort… Et puis, tant qu’on est là, on embraye sur un chapitre consacré à la religion et aux faux prophètes, un petit flashback essayant aussi de caser des thèmes liés au racisme, aux pandémies ou aux guerres nucléaires parce qu’on va pas chipoter, on n’était plus à ça près.
Il y a dans White Shadows comme un problème de dosage. Le jeu offre une expérience courte et impactante, avec une violence graphique et symbolique extrême, ce qui est un parti pris tout à fait acceptable. Mais c’est juste… Trop pour un jeu aussi court. En essayant de parler de tout et de caser trop de choses dans son petit platformer, Monokell finit par construire un univers qui frise le too much. Une société qui concentrerait à la fois quasiment toutes les dystopies possibles et imaginables ne serait plus vraiment une dystopie mais une caricature de ce que le genre de l’anticipation a produit de plus sombre. Et White Shadows tombe très régulièrement dans cet écueil qui donne l’impression que l’Enfer ne serait pas assez large pour contenir tous les péchés de la société ici dépeinte. Autant d’horreur concentrée en si peu de temps ne facilite ni l’immersion, ni l’approfondissement des thèmes explorés. D’autant plus que formellement, White Shadows peine souvent à se montrer intéressant.
Un jeu qui bat de l’aile
Que fait-on en pratique dans White Shadows, outre se faire dérouler cette histoire morbide ? Déjà, et il faut le porter au crédit du jeu, on admire sa direction artistique et ses décors absolument incroyables, qui, avec de simples touches de lumière dans des décors gris et quelques travellings arrière, arrivent en continu à nous donner à la fois le vertige et la nausée à mesure que nous découvrons les tréfonds sordides de cet univers. Le choix du noir et blanc est extrêmement pertinent, et n’entrave jamais la lisibilité de l’action, qu’on soit à proximité immédiate de Corneille ou que le jeu prenne de la distance pour nous faire admirer un immense panorama horrifique.
Ensuite, et c’est là que le bât blesse, on avance de gauche à droite, une fois de temps en temps de droite à gauche, et c’est à peu près tout. Non pas que cela soit nécessairement un problème : d’autres jeux du même genre s’en sortent bien avec guère plus. Le souci de White Shadows dans ce contexte, c’est que son personnage principal se déplace un peu trop comme un sac de pommes de terre, de manière lourde et pas très naturelle, donnant un peu l’impression de ramer pour le moindre déplacement. De plus, on a rapidement l’impression que le jeu oscille en continu entre volonté de simplement vous faire vous « promener » et envie de coller aux poncifs du genre : mettre des énigmes, vous faire activer des leviers, vous faire affronter un boss, varier le gameplay en vous collant un accessoire, vous faire pousser des caisses sur des interrupteurs, vous imposer une séquence d’infiltration entre des cônes de lumière… Autant de séquences que l’on ne retrouvera qu’une ou deux fois au cours de l’aventure, mais jamais de manière maîtrisée ou satisfaisante.
Autre problème, qui n’en est un que si on a déjà joué aux titres édités par Playdead (Limbo, Inside) ou encore à la série des Little Nightmares (le premier comme le second épisode) : le total manque d’innovation dans ce qui est ici proposé. C’est simple : chaque puzzle de White Shadows ou presque semble reprendre un schéma issu des jeux précédemment cités, à peine modifié. On tire une caisse de la gauche vers la droite au lieu de la tirer de la droite vers la gauche, et voilà. Sans atteindre le côté honteux que pouvait avoir par exemple un titre comme Gleamlight, White Shadows reste ainsi toujours extrêmement à l’étroit dans un game design usé jusqu’à la corde par une décennie de platformers indés.
Un dernier chapitre avec le bec dans l’eau
Et puis enfin, il y a ces deux derniers chapitres, qui essaient de varier l’expérience en proposant une autre forme de gameplay, qui… s’avère rapidement assez pénible et fastidieuse : ironique puisqu’il va s’agir de faire voler Corneille, qui était jusque-là clouée au sol. Les quelques séquences de vol proposées sont hélas à l’image du reste : lourdes, poussives, peu instinctives, donnant l’impression que le personnage se déplace avec un boulet au pied, rendant la navigation dans quatre directions imprécise et frustrante.
Tout ceci pour en arriver finalement à une conclusion rapide qui laisse en bouche un petit sentiment de « tout ça pour ça ». Là encore, les derniers tableaux sont visuellement sublimes, mais manquent beaucoup d’impact du fait de la dispersion du propos (une critique de la bureaucratie se rajoutant sur l’ensemble) et d’un gameplay assez désagréable plombant tout le dernier chapitre.
On essayera tout de même de ne pas être trop sévère avec White Shadows : avec son propos confus à force de vouloir parler de tout, son gameplay un peu approximatif et sa narration inégale, on en viendrait presque à oublier qu’il s’agit d’un premier titre qui réussit tout de même là où beaucoup d’autres jeunes studios échouent. White Shadows a une conclusion scénaristique assez décevante, certes. Mais au moins, il nous a été envoyé dans une version terminée, quasiment dénuée de bugs, bien traduite et bien optimisée, nous permettant d’admirer de manière optimale ses décors et son ambiance unique. Croyez-moi, après l’année qu’on vient de vivre chez les indés, c’est déjà beaucoup.
White Shadows a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur PS5 et sur les consoles Xbox.
En voulant en faire trop, et ce dans une aventure trop courte, White Shadows s’oublie un peu en route le long d’une aventure qu’on sent conçue par un studio qui cherche encore un peu ses marques. C’est regrettable, car il n’en faudrait pas beaucoup plus pour que le jeu de Monokel soit l’une des sensations indés de cette fin d’année. Si nous n’avons pas franchement été convaincus par cette fable antispéciste, nous attendons tout de même avec impatience la suite de ce que le studio entend nous proposer.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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