Une fois de plus depuis deux ans, un jeu vidéo indépendant débarque avec des mécaniques et des puzzles basés sur la gestion des ombres et des lumières. Mais dans Tandem : A Tale of Shadows, du studio français Monochrome Paris, il y a un petit twist, puisque cette fois-ci on y contrôle à la fois une petite fille en vue de dessus et un ours en peluche en vue latérale. Est-ce assez pour faire la différence ?
Allez, tuons le suspense tout de suite : non. Parce que d’une part, Tandem : A Tale of Shadows arrive un peu tard dans un marché saturé de puzzles platformers bien fichus et efficaces où il devient impossible ou presque de se faire une place. D’autre part parce qu’il semble que le studio à l’origine du jeu soit plus calé en création d’univers 3D et en réalisation de scènes cinématiques qu’en équilibrage du game design. Pendant environ quatre à six heures, vous allez donc voir sous vos yeux une expérience prometteuse et ambitieuse se déliter petit à petit en une soupe assez générique, insipide et mal optimisée. Une expérience hélas significative de nombre de jeux indés de 2021, animés de bonnes intentions mais sortant dans des états qui donnent l’impression d’un manque de finition frustrant.
Tandem, parfois ça brille comme un diadème
Le célèbre magicien Thomas Kane a disparu ! Dans un monde victoriano-steampunk inspiré de Jules Verne, Conan Doyle et autres références de bon ton, Emma la petite fille trop curieuse et Fenton l’ours magique mènent l’enquête. Une enquête qui les conduira dans les tréfonds d’un manoir étrange, divisé en cinq pièces toutes plus mystérieuses les unes que les autres, sauf si vous avez déjà vu un film de commande de Disney par Tim Burton, dont le jeu est quasiment une sorte de fanfiction.
Réduits à l’état de créatures miniaturisées dans des niveaux de plus en plus dangereux, Emma et Fenton peuvent compter sur un atout de taille : si Emma, armée d’une simple lanterne, peut uniquement rester au sol, Fenton, lui, peut marcher sur les murs et se mouvoir sur toutes les ombres projetées pour avancer afin d’atteindre des zones et des interrupteurs cachés. Vous avez compris la principale idée de gameplay déployée dans Tandem : A Tale of Shadows. Pour avancer, Emma va devoir faire parvenir Fenton à la fin de chaque niveau en jouant sur l’angle des ombres, chaque avancée de l’ours débloquant des passages dans les couloirs arpentés par la fillette, et ainsi de suite tout au long de la quarantaine de niveaux proposés par le jeu.
Chaque ensemble de niveaux comporte une thématique propre (la cuisine, le jardin…) avec des sous-mécaniques plus ou moins originales : déplacer des blocs, éclairer des insectes, esquiver des automates, déplacer des paravents etc. À la fin de chaque monde, Emma et Fenton doivent affronter un boss, qui constitue une sorte de gros puzzle reprenant toutes les mécaniques vues dans le dernier biome visité. En théorie, c’est parfaitement fonctionnel et même très agréable sur les deux premières heures, en pratique, on se met assez vite à somnoler, tant on réalise rapidement que presque tous les « bons » puzzles ont été farcis au début de l’aventure.
Un jeu totalement déséquilibré
Tandem : A Tale of Shadows souffre en réalité de deux problèmes qui déséquilibrent totalement sa courte expérience. D’une part, les deux premiers univers traversés sont beaucoup plus inventifs que le reste du jeu, avec des énigmes variées et des mécaniques très harmonieuses. On traverse ensuite un long et fastidieux ventre mou qui se rattrape un peu dans le cinquième biome, plus inspiré et varié. D’autre part, les développeurs, ayant sans doute peur que de simples puzzles ne suffisent pas à des amateurs du genre, se mettent à multiplier les séquences nécessitant tantôt des réflexes, tantôt de la précision. Pourquoi pas, mais on aurait quand même aimé en ce cas que la partie purement plateforme ait une physique digne de ce nom.
Tout au long du jeu, on s’agace ainsi des approximations des sauts de Fenton, des zones de contact pas très claires entre les pièges du jeu et Emma et, plus grave encore, du fait que le jeu souffre de chutes de framerate très régulières, parfois assez lourdes pour vous faire foirer complètement un puzzle à cause d’un saut raté. En revanche, on apprécie à cet égard le fait que les sauvegardes du jeu soient très permissives, car on ne perd rarement plus que quelques secondes dans un tableau même en cas d’échec.
Une séquence particulière de Tandem : A Tale of Shadows me semble assez symptomatique de ce déséquilibre d’un jeu qui ne sait jamais trop quoi choisir : la séquence du boss de la cuisine (le troisième). Alors que pendant près de trente niveaux et deux autres combats de boss, le jeu vous a habitué à utiliser votre logique, votre déduction et votre capacité à projeter des ombres au bon endroit au bon moment, voilà qu’on vous propose une bête et inintéressante séquence de course poursuite contre un gros blob moche. Un festival de textures baveuses, d’esquives approximatives et de séquences de purs réflexes assez mal calibrées. C’est complètement inutile et pénible, alors que les confrontations contre les autres boss sont au contraire les mieux pensées. Autre petite blague du genre : plus loin dans l’aventure, Fenton se retrouve à devoir sauter en rythme sur des roues dentelées, alors que précédemment, ses sauts ne demandent pas de timing précis.
Quelques éclairs de génie
Tandem : A Tale of Shadows ne manque pas de bonnes idées mais semble ainsi ne jamais savoir sur quel pied danser. Ses emprunts très visibles à divers mécaniques de jeux et univers filmiques et littéraires ne choquent pas tant que ça, Monochrome Paris ayant tout de même livré une copie cohérente sur le niveau graphique et sonore. On se plaît même à trouver quelques idées vraiment très originales dans certaines mécaniques introduites vers la fin, à l’image de ces insectes attirés par la lumière qu’il faut faire jongler entre des lampadaires. Mais hélas, c’est un peu faible au regard de tout ce qui frustre dans le jeu au fur et à mesure qu’il semble hésiter sur sa propre nature.
En tant que platformer avec des séquences de réflexes et de courses poursuites, Tandem : A Tale of Shadows est un titre assez déplaisant, balourd, approximatif et clairement pas pensé pour le confort du joueur. En tant que jeu à énigmes, on alterne dans toute la seconde moitié entre puzzles très redondants et séquences qui semblent carrément oublier le concept de créer des surfaces d’ombre pour Fenton pour se muer en bête jeu de poussage de boutons et de leviers. C’est regrettable, car au regard de ses premiers tableaux, d’une certaine générosité dans la construction de l’univers, de la beauté du manoir et des secrets qu’il renferme, on sent que Tandem : A Tale of Shadows était peut-être un peu trop ambitieux au regard des capacités réelles de son studio à le produire. Il aurait peut-être fallu faire moins mais avec davantage de cohérence.
Tandem : A Tale of Shadows a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch, Playstation 4 et Xbox One.
Je pense que c’est la dernière fois avant longtemps que je toucherai à un jeu indé basé sur la gestion des ombres. Parce que le dispositif finit par être éculé, certes, mais aussi parce que beaucoup d’entre eux sont marqués par les limites intrinsèques au genre : oui, une ombre peut créer une plateforme pour peu qu’on en décide ainsi, et après ? Tandem : A Tale of Shadows est révélateur de ce « et après », peinant à remplir de manière satisfaisante les séquences de jeu n’étant pas basées sur la pure gestion de la lanterne de son héroïne. Le résultat est loin d’être catastrophique mais peine à convaincre.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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