Avec Lightmatter, le studio danois Tunnel Vision Game entend revisiter à la fois le mythe du Puzzle FPS à scénario dans une usine manipulée par des savants fous, et le mythe des CM2 relous du fond de la récré qui prétendent que si tu marches dans l’ombre, tu marches dans la lave. Périlleux.
Lightmatter entame ma quatrième année de critiques de jeux pour The Pixel Post. Traditionnellement, les premiers jeux que je récupère chaque année pour ce site ont un bilan contrasté dans mon petit cœur de début d’année. En 2017, j’avais adoré la D.A de Little Nighmares, mais pas beaucoup aimé son gameplay. Un an plus tard, j’avais trouvé Life is Strange : Before the Storm assez inutile, bien que riche en bons moments. Puis, en 2019, Lucius III m’avait été délivré dans un état si mauvais qu’il était presque impossible de le juger, mais n’a pas manqué de me faire rire. Lightmatter n’échappe pas à la malédiction du haussement d’épaule : aussi brillante que soit cette idée de bouger des lampes pour créer des ponts de lumière comme dans un livre de développement personnel et de Feng Shui, elle est parfois entachée de défauts irritants, à commencer par cette manie de ne jamais, mais alors jamais la fermer une seconde.
Blablat Lux
Lightmatter ne cache tellement pas être sous influence, voire sous intraveineuse du vénérable Portal de Valve qu’il ne vous faudra pas une heure avant d’être mis face à votre première méta-vanne-trop-lol à base de « On est pas chez Abstergo ici mdr ». Sans vouloir trop m’appesantir dessus, c’est de très très loin le plus gros défaut de Lightmatter. L’essence-même d’un puzzle game narratif, à mon sens, est d’intercaler quelques phases de dialogue et de musique avec des moments de pure réflexion, où le joueur est supposé se creuser les méninges au calme, sans être perturbé par des éléments diégétiques. Ainsi, on imagine assez mal René la Taupe danser devant les yeux du joueur dans la moindre énigme de The Witness, ni un concert de vuvuzela en plein milieu de l’île de Myst. Portal, dont Lightmatter reprend toute une partie de l’esthétique, parvenait assez bien à trouver cet équilibre. Mais Lightmatter veut trop bien faire, et s’enferme dans un verbiage constant et irritant. Il m’a presque été impossible de prendre un screenshot sans une boîte de dialogue.
Dommage que Lightmatter se perde à tout instant dans une litanie sans fin de surexposition de son scénario plutôt simple (une société capitaliste arrive à transformer la lumière en matière et l’ombre en antimatière : ça tourne mal). Plutôt que de miser sur son ambiance, assez terne, tous les effets de manche de l’intrigue sont à peu de choses près mis sur les épaules des différents narrateurs commentant l’action du jeu, en premier lieu le savant fou à l’origine de la catastrophe, qui passera des heures à vous noyer sous des invectives assez répétitives, à essayer de déduire votre identité, vous qui êtes piégé dans ses installations en plein effondrement. Et surtout à multiplier les commentaires acerbes dès que vous peinez à résoudre assez vite une énigme. Les moments de silence, eux, se voient gâchés par une musique électro assez envahissante. Dommage que Lightmatter n’ait pas davantage misé sur la sobriété et le travail d’ambiance plutôt que sur un bris continu et épuisant du 4è mur, car, ceci mis à part, je n’ai pas boudé mon plaisir : le jeu ne manque ni de cœur ni d’idées généreuses.
Des idées lumineuses
L’idée centrale de Lightmatter, déclinée sous plusieurs aspects, est d’une simplicité qui confine à la perfection : quand il y a de l’ombre, vous mourez. Quand il y a de la lumière, vous pouvez passer. Et l’essentiel de ce que vous allez faire est de bouger des lampes, ou des rayons de lumière, ou d’autres dispositifs lumineux, dans des installations de plus en plus compliquées, et multipliant les variations sur cette idée de créer des chemins de lumière. Le tout dans un ensemble de décors riches, vous vous vous en doutez bien, en zones entièrement plongées dans la pénombre et autres portes blindées nécessitant l’activation de trois interrupteurs photosensibles alors que vous n’avez que deux lampes à vous mettre sous la main.
Cet exercice, d’une simplicité élémentaire, fonctionne toujours assez bien. Le level design n’est pas le plus malin ni le plus créatif que j’ai pu croiser dans un puzzle game, mais il est suffisamment varié pour qu’on ne s’ennuie jamais. La construction des énigmes est parfois un peu confuse, mais davantage à cause des contrôles un peu gourds du personnage que de leur structure logique. Certains interrupteurs sont difficiles à manipuler car leur hitbox est parfois trop petite, et la sensation de déplacement ou de saut est parfois un peu glissante, comme si les couloirs du laboratoire étaient enduits d’huile. Cela ne serait pas un problème si le jeu ne vous demandait jamais d’avoir un bon timing ou de réaliser des sauts au-dessus d’étendues opaques, mais c’est parfois le cas, et j’ai souvent pensé avoir échoué à trouver la solution à une énigme uniquement parce que j’étais incapable de sauter vers la bonne tache de lumière. Lightmatter n’aurait pas pâti d’avoir des contrôles un peu plus ajustés et un poil plus rigoureux. Néanmoins on portera au crédit du jeu le fait de vous ramener très vite à la vie, sans quasiment aucun temps de chargement, quand vous vous plantez. Et de vous ramener toujours au dernier moment où vous étiez sur la bonne voie : vous ne vous retrouverez jamais piégé par des énigmes que vous auriez raté, obligé de recharger un lointain checkpoint. De plus, mourir n’interrompt pas les nombreux dialogues, que vous n’aurez donc pas à vous refader en boucle encore et encore.
Un jeu qui aurait pu se permettre d’être plus ampoulé
Dommage que le jeu se perde en bavardage et en plaisanteries pas très intéressantes et n’ait pas mis la même énergie à rendre l’emballage un peu plus glamour. Si Lightmatter n’est jamais moche, il reste souvent assez quelconque. Le sound design n’est pas passionnant, le travail sur l’ombre et la lumière pas spécialement joli, et les éléments du décor demeurent à la longue un peu grossiers, et souvent répétitifs.
C’est comme si les développeurs de Lightmatter n’avaient pas exactement compris que ce qui constituait les épices d’un jeu de ce type. Le poivre, c’est une narration environnementale réussie. La coriandre : un peu de variété dans ce qui est présenté et un peu de rythme. Le piment, des rebondissements et des surprises. Et la pointe de cumin-qui-rend-tout-meilleur : un design sonore et visuel qui aide à se concentrer sur la matière à réflexion du jeu. En lieu et place de tout cela, et de la petite fleur de snobisme nécessaire qui aurait pu rendre l’ensemble parfait, on a juste un moulin à gros sel qui déverse des pépites de blabla un peu pénible qui ne surprennent vraiment jamais, et ne parviennent pas vraiment à être drôles ou à porter un discours pertinent. Dommage, mais pas gravissime : en coupant le son, ça passe.
Lightmatter a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur
Pour la quatrième année de suite, je commence ma série de critique sur The Pixel Post par un jeu qui m’a laissé aussi content que dubitatif : Lightmatter est un bon puzzle game à la première personne, avec la force de sa simplicité. Mais il souffre d’un emballage pas très réussi, voire parfois un poil agaçant. Dommage, sans cela il aurait rendu presque glamour l’activité incroyablement ennuyeuse de bouger des lampes dans des pièces vides.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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