Premier jeu du studio italien Cordens Interactive, Vesper nous propose de suivre les pas d’un androïde fugitif sur une planète en pleine déréliction. Misant énormément sur son ambiance et sur les jeux dont il est l’héritier, à commencer par la série Oddworld, il emprunte également aux grandes thématiques de la science-fiction psychédélique.
Sans aller jusqu’à dire que les puzzle platformers et les metroidvanias avec une patte un peu rétro sont la cause majeure de la surproduction vidéoludique actuelle dont je vous parle chaque semaine, force est de constater que la saturation en la matière est quand même un problème. Pas une semaine ne se passe sans que deux, trois, cinq jeux du genre se bousculent et tentent d’attirer l’attention. Difficile de trier le bon du mauvais dedans, tant nombre de ces jeux tombent dans un entre deux répétitif et générique. Aussi, quand un titre de ce style sort véritablement du lot, je pense qu’il est nécessaire de vous en chanter les louanges. C’est heureusement le cas de Vesper.
Longtemps après la fin des temps
Si la narration de Vesper est très majoritairement silencieuse (le jeu emprunte énormément à l’ambiance des titres de Playdead comme Limbo), il ne fait aucun mystère que l’histoire qui nous y est présentée se déroule longtemps après une catastrophe majeure. On y incarne un petit androïde chassé d’une station orbitale en plein massacre, qui se retrouve précipité à la surface d’une planète où tout évoque la mort et le crépuscule : des ruines partout, des carcasses de géants de métal éventrées, une géographie déchirée par les explosions… et une quasi absence de vie organique intelligente, l’activité y étant réduite à quelques groupes de machines et à des animaux de passage.
Un peu à l’image de ce que proposait un titre AAA comme Horizon Zero Dawn, Vesper nous propose de nous promener dans un univers post-post-apocalyptique. Ici la question n’est pas tant de survivre à la Fin des Temps mais de traverser les lointaines conséquences de son déclenchement, en tentant de comprendre a posteriori ce qui a bien pu se passer. Un peu à la manière de l’Enig Marcheur de Russell Hoban, on arpente un monde fini depuis si longtemps que les symboles qui nous semblent familiers n’ont plus beaucoup de sens, et où tout ce que l’on reconnait tout de même semble teinté d’étrangeté. Le protagoniste lui-même semble étranger et perplexe face aux hologrammes et autres souvenirs reconstitués déroulés par les décors alors que l’aventure progresse.
Les décors, superbes, empruntant pour une grosse partie à la science-fiction mystique et psychédélique des années 1970, constituent par ailleurs une bonne partie de ce que le jeu entend raconter, le verbe explicite étant ici réduit à quelques logs de textes volontairement cryptiques. Sans en dévoiler trop, disons tout de même que l’intrigue de Vesper contient un retournement de situation majeur dans sa dernière partie qui peut valoir le coup de parcourir les 4 à 5 heures de jeu deux fois de suite. Retournement de situation que l’on pourrait par ailleurs trouver un poil malhonnête : le gameplay vous force à un moment précis à faire un choix extradiégétique que le personnage que vous incarnez n’aurait peut-être pas spontanément accompli. Mais un choix qui à mon sens sert parfaitement ce conte désespéré et lugubre déroulant avec tristesse les paysages désolés d’une planète mourante.
J’ai vu de la lumière, et je suis entré
Les développeurs de Vesper sont visiblement très fiers de tout le travail effectué sur la lumière dans le jeu. Pas étonnant : tout ce qui a trait à ce point précis est absolument superbe. En revanche, on pouvait craindre qu’un jeu d’énigmes basé sur le fait d’injecter de la lumière dans des trucs soit le jeu de trop à utiliser cet artifice. On vit un moment Pitch Black du jeu vidéo : la moitié des jeux indés semblent obsédés à l’idée de nous faire allumer et éteindre des lampes pour échapper à des menaces.
Heureusement, dans le cas de Vesper, la lumière a surtout une fonction esthétique et symbolique. Dans la première partie du jeu, le protagoniste se retrouvera désarmé et n’aura d’autre choix que d’alterner entre séquences de fuite (les courses-poursuites sont nombreuses et réussies) et séquences de cache-cache. À peu près au tiers de l’aventure, cependant, Vesper introduit sa mécanique centrale : un pistolet capable d’absorber et de recracher de la lumière, façon d’introduire les trois autres mécaniques du jeu, à savoir ouvrir des portes, posséder des ennemis et repousser un certain type de menace qu’il est préférable de ne pas divulgâcher.
Si les énigmes à base de portes, ascenseurs et verrous sont les plus classiques (il suffit souvent de trouver où se cache un lampadaire pour lui voler sa lumière et réactiver une issue bloquée), les puzzles basés sur la possession d’ennemis sont en revanche plutôt créatifs. Ils rappellent les meilleurs moments des deux premiers épisodes de l’Odyssée d’Abe, référence évidente de Vesper. Le niveau de difficulté reste modéré, mais le derniers tiers du jeu propose quelques tableaux assez ardus où il faudra vraiment se creuser la tête pour déterminer dans quel ordre posséder les ennemis, comment leur échapper, et avec quel timing ouvrir telle ou telle serrure. Assez bien intégrées à la diégèse du jeu, ces séquences d’énigmes ne ralentissent que rarement le joueur, et sont à l’image de toute l’expérience proposée par Vesper : un modèle de rythme, de fluidité et de précision dans l’exécution.
Le plaisir de ne plus penser au gameplay
Outre ses décors et ses mécaniques bien huilées, je retiendrai surtout de Vesper un jeu dont le gameplay parvient très, très rapidement à se faire oublier, un luxe qui n’est pas donné à tout le monde. Misant sur la simplicité, les commandes de Vesper sont assimilables en quelques minutes et jamais complexifiées inutilement. Les sauts sont précis, le gameplay attribué aux différents type d’ennemis que l’on peut posséder toujours clair, et tout cela se fait sans que l’on ait besoin d’une interface de tutoriel envahissante. Bref, c’est un jeu dont la maniabilité se fait agréablement oublier et ne frustre jamais. Que l’on tombe, courre, saute ou active un mécanisme, on a la même fluidité et la même discrétion de la part d’un jeu qui vous laisse pleinement profiter de l’expérience sans jamais vous entraver.
En revanche, c’est peut-être ce qui laissera une partie des joueurs sur le côté de la route : Vesper est un jeu aux menus, aux textes et à la narration si effacés que certains pourront la trouver trop minimaliste, et donc un peu excluante. Tout dans Vesper est silencieux, mutique, cryptique, et tout ou presque de l’intrigue est survenu des années avant votre arrivée sur place. Que cela soit dans la mécanique des puzzle, la manière dont est agencé le level design ou dans le sous-texte du jeu (particulièrement en ce qui concerne l’aspect mystique et eschatologique), Vesper mise davantage sur l’implicite et sur votre capacité d’interprétation que sur de l’exposition à outrance. Un choix emprunt d’une certaine radicalité qui a fonctionné sur moi, mais que d’autres pourraient sans doute trouver qui un peu ennuyeux, qui carrément prétentieux.
Vesper a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Grande réussite dans un genre qui n’en compte pas tant que ça, Vesper séduit par son esthétique hallucinante et hallucinée. Mais davantage que ces grands décors désolés signes des erreurs d’un autre temps, c’est le gameplay simple et carré qui fait de Vesper un titre du haut du panier des puzzles platformers/metroidvanias qui sortent par pelletées de douze chaque mois. J’ai hâte de découvrir les prochains travaux de Cordens Interactive, ce premier essai étant vraiment exemplaire.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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