Difficile de savoir quel est le pire jeu que j’ai reçu en quatre ans de Pixel Post (allez disons Lucius III, c’est gratuit), parce que vous savez, on reçoit toutes sortes de choses bizarres. Mais s’il n’est pas à proprement parler assez catastrophique pour rentrer dans cette catégorie du pire du pire, peu de jeux m’ont autant gonflé, passez-moi l’expression, que Pecaminosa – A Pixel Noir Game des Açoréens de Cereal Games.
À vrai dire, c’est ma faute, je n’aurais pas dû le demander : une esthétique néo-noir vue et revue, un gameplay qui avait l’air assez convenu, et une fiche produit indiquant que le jeu était « cliché, et c’est exactement ce qu’on cherchait à faire ». Mais mon insatiable curiosité aidant, j’ai demandé une clé, je l’ai obtenue, et je me suis retrouvé avec un jeu où absolument rien ne va tout à fait, du scénario au gameplay, des bugs à l’ambiance, Pecaminosa m’est tombé des mains, des yeux et du cerveau. Un rejet total, et cependant je vois à peu près ce que les développeurs du jeu ont essayé de faire : un récit d’action de vengeance classique dans l’univers bien connu des truands américains de l’époque de la prohibition, avec les clichés qu’ils véhiculent. J’ai juste trouvé ça horriblement raté. Enfilez vos impers élimés et vos chapeaux de gangster, c’est parti pour un massacre à la sulfateuse (de manière évidente, je ne ferais pas un très bon gangster).
Lucky Lucianope
J’ai souvent eu l’occasion de le dire, mais une histoire clichée, voire bourrée de stéréotypes, n’est pas nécessairement un gros défaut. Par exemple, Grandia, un de mes JRPG préférés, a une histoire terriblement clichée, avec un gentil adolescent qui découvre le monde et doit lutter contre un empire maléfique steampunk derrière lequel se cache un mal ancestral, bla bla bla. Vu et revu, même à l’époque. Mais Grandia a une mise en scène, une générosité et des idées pour raconter cette histoire banale qui transcendent son synopsis. Certains de mes jeux préférés, à l’instar de What Remains of Edith Finch, vont encore plus loin et ne racontent au fond presque rien du tout (en l’occurrence la « simple » histoire d’une famille frappée à plusieurs reprises par des tragédies).
Comparons ce qui est comparable, cependant : Pecaminosa me semble davantage à rapprocher d’un titre récent comme Ocean’s Heart : action aventure, open world de poche, influence revendiquée de Zelda, gameplay simple. Mais Ocean’s Heart prenait la peine d’installer quelques personnages marquants, quelques rebondissements sympathiques et un gameplay qui poussait à aller de l’avant et qui se renouvelait au fur et à mesure du jeu. Ici, dès le départ, on baigne dans une certaine rigueur pour le moins désagréable, en rentrant dans les bottes usées de John Souza, un ancien policier reconverti comme il se doit en détective alcoolique. Engagé par des fantômes (oui, des fantômes, une idée originale bien que mise en scène avec les pieds) dans une quête de vengeance, Souza va devoir parcourir les différents quartiers de la ville en quête de… violence, pour l’essentiel, l’intrigue étant ponctuée de confrontations avec des boss impliqués dans cette sombre affaire.
Le pitch est plutôt séduisant, avec sa promesse mélangeant affaire policière et fantastique. Quel dommage alors que les dialogues soient écrits n’importe comment, et visiblement par un non-anglophone qui a cherché à « faire des phrases » à tout prix mais qui a surtout sorti un texte verbeux et désagréable. Rien ne sonne de manière naturelle dans ce jeu, qui se plaît pourtant à dérouler des dialogues interminables qui manquent d’impact à force de traîner en longueur. Les personnages sont peu attachants, presque tous réduits à une simple fonction, et l’ensemble baigne dans une foule de clichés absolument éculés, voire vaguement réacs. Il y a peut-être des gens qui trouvent ça passionnant d’aller parler à un blanchisseur chinois à chapeau pointu nommé « Monsieur Washi Washi » avant d’aller menacer un commerçant mexicain et tabasser un maquereau efféminé dans une chambre d’hôtel. Moi je trouve que l’esthétique néo-noir et tout ce qu’elle peut proposer de passionnant en termes de portrait social, politique ou même tout simplement ludique mérite mieux que ces âneries.
La roulette rustre
J’aurais pu tolérer ce ton complètement beauf et cette intrigue qui ne va nulle part si au moins le reste était carré. Mais graphiquement, Pecaminosa est assez loin de faire des prouesses, avec son pixel art plutôt fin, mais plaçant systématiquement les personnages dans des postures peu naturelles et des décors ternes et répétitifs (à l’inverse d’un très imparfait mais plus recherché Milanoir, par exemple, qui mettait joliment en scène l’Italie des années de plomb). La ville se parcourt lentement et sans plaisir… Et de manière tellement balisée et fléchée qu’on en vient presque à regretter que le jeu soit un monde ouvert et pas un simple couloir : en gros, vous êtes parti pour vous faire promener de point d’intérêt en point d’intérêt, avec la certitude qu’au bout d’un certain nombre de dialogues vous allez devoir vider vos chargeurs sur des gens, des zombies, ou d’autres trucs… Et c’est hélas à peu près tout ce que le jeu propose.
Et là encore, le jeu aurait tout à fait pu être sauvé par un système de combat efficace, mais ces derniers sont rigides, lents, et consistent pour l’essentiel à reculer en balançant un océan de munitions (ou de coups de poing selon les cas) sur des adversaires qui sont sans exception des sacs à PV. Qu’est-ce qu’on s’amuse ! On peut même s’amuser à tabasser des sacs poubelles ! Le manque de souplesse des personnages gomme complètement les quelques idées sympas, à l’image des combats de boss, foutraques mais pas dénués de bons moments de game design. À vrai dire, j’ai fini par me demander quel avait bien pu être le rôle de l’éditeur, BadLand Publishing, dans le processus éditorial de Pecaminosa : à quel moment c’est OK de valider à un studio la sortie d’un jeu dans cet état ? Quel a été l’accompagnement de la petite équipe de Cereal Games au long du processus créatif ?
Car un poil plus grave encore, mais espérons que la sortie du jeu aura corrigé certains problèmes via un patch day one conséquent : mon expérience déjà pas folichonne a été carrément plombée par des bugs assez fréquents et parfois assez pénibles. Ils allaient du simple retour Windows au script capricieux, en passant par… l’effacement total des points de compétence gagnés au cours de mes passages de niveaux. Pecaminosa aurait à mon sens pu s’en passer, mais il y a un système d’expérience et de statistiques de personnages (influencées à la manière d’un Disco Elysium par la tenue portée, la variété et l’inventivité en moins). Un certain nombre de situations du jeu peuvent ainsi être résolues ou simplifiées par le dialogue, pour peu qu’on ait investi dans la bonne statistique. À plusieurs reprises, après avoir validé un niveau, ces statistiques sont revenues à zéro, ne me laissant que la manière forte pour régler mes problèmes. Vraiment, un plaisir de bout en bout.
Pecaminosa a été testé sur PC, via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4, Nintendo Switch, Xbox One, Linux et MacOS.
Même dans un monde où des dizaines de jeux à esthétique polar, thriller ou néo-noir ne seraient pas annoncés chaque mois, souvent avec des ambitions et des idées plus claires, Pecaminosa ferait office de mauvais élève du genre de l’action RPG. Une ambiance et une intrigue mal travaillées, des bugs assez lourds, un ton gras à peine assumé, et un gameplay manquant cruellement d’intérêt. Il échoue même à être le polar désespérément classique qu’il cherche à être, en réduisant ses codes à un décor fadasse. Formellement, j’ai vu des jeux bien pires, mais rares sont ceux qui m’ont autant hérissé le poil, au point de ne même plus en voir les quelques qualités qui surnagent dans tout ça (quelques cinématiques plutôt jolies ou une bande-son pas indigne par exemple). Je suis peut-être trop âpre avec ce jeu, mais écoutez, c’est lui qui a commencé.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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