On attendait depuis tellement longtemps Disco Elysium sans avoir de nouvelles, à part la même démo testée par des journalistes sur des salons du monde entier, qu’il était devenu une blague récurrente sur notre Discord. Les paris étaient pris : Disco Elysium ou Star Citizen ? Je ne pouvais m’empêcher aussi d’être irritée par les messages, certes mignons, de ZA/UM sur Twitter pour féliciter les autres développeurs indés d’avoir sorti leurs jeux quand ils ne donnaient aucun signe de progression dans le leur. Et puis un jour, ils ont juste annoncé la date de sortie et c’était bon : Disco Elysium était donc un jeu de plus à rajouter à la liste de ceux sortis avant Star Citizen. Et quand les premières reviews de journalistes énamourés par un cRPG qui ne les prenaient pas pour des imbéciles sont sorties, j’ai arrêté de bouder et n’ai pas eu d’autre choix que d’y jouer à mon tour.
Pour ceux qui ont mystérieusement échappé au phénomène, on y interprète un policier alcoolique et amnésique, ayant oublié jusqu’à son propre nom, qui est censé enquêter sur un meurtre sordide et hautement sensible. Heureusement pour lui, on lui a collé un partenaire bien plus équilibré et il s’agit de choisir quel genre de flic, et de personne en général, on veut devenir, le tout en naviguant précautionneusement dans les relations entre colonisés et colonisateurs, communistes et capitalistes, milices populaires et flics à la botte du pouvoir.
Il y a tant de choses à dire sur Disco Elysium mais si peu que je puisse dévoiler sans gâcher le plaisir de la découverte. Du bien, comme son écriture, jamais prétentieuse mais toujours intelligente. On peut aussi parler de son sens du rythme impeccable malgré l’absence de combats au sens traditionnel du terme, grâce aux voix intérieures du personnage toujours prêtes à donner la réplique. Les différents personnages, que l’on aime, déteste, pour qui on ressent de la pitié sans ressentir d’amour, qu’on comprend sans être d’accord. Il y a aussi son absence de frilosité face aux propos politiques, qui ne sont jamais très positifs mais qui sont là, affirmés, même dans tout ce que l’être humain peut penser de plus laid, au risque de froisser ceux qui ont du mal à faire la différence entre la fiction et ce que l’auteur pense vraiment. Il y a du moins bien aussi, des moments plus faibles ou un peu trop de zèle dans certaines interactions qui mènent au game over bête.
Mais si Disco Elysium a réussi à se faire sa place dans ma liste, c’est pour tout ce qu’il m’a fait ressentir. Je n’ai pas été aussi investie dans un jeu depuis NieR Automata. Plusieurs fois je suis ressortie de ma session un peu déprimée par l’ambiance pesante et très sombre parfois, créée par un monde où tout le monde est pourri et où aucune solution ne semble être possible à part faire du mieux qu’on peut ou au contraire, se jeter à plein corps d’un côté ou de l’autre et faire partie du problème. Il a aussi des moments touchants, comme lorsque mon personnage a décidé de faire du karaoké et qu’il a dédié sa chanson à Kim, qui semblait visiblement touché malgré sa pudeur. J’ai également ressenti de la honte et du regret suite à un geste d’humeur face à une enfant psychopathe et insupportable, et ce pour un temps bien plus long qu’il n’est normal pour un jeu vidéo.
Mais surtout, c’est l’une des rares fois où j’ai pu entièrement me plonger dans un scénario sans avoir à prendre en considération les pièges du gameplay ou les oublis des développeurs parce que j’avais confiance. Dans un RPG, j’ai toujours tendance à me méfier des décisions que je prends, à voir les ficelles qui me mèneront d’un côté ou de l’autre, plus ou moins contre ma volonté. Mais ça n’a jamais été le cas ici. Déjà parce que vous aurez toujours le choix de suivre ou non une voie. Et le jeu est au-delà des propositions binaires primitives offertes dans les scénarios de jeux vidéo, sa force est qu’il y a toujours un autre moyen, et que cet autre moyen ne risque pas de ruiner tout ce que vous avez fait jusque-là. L’échec n’est pas souvent permanent de toute façon et rien ne vous empêche de réessayer votre méthode jusqu’à arriver au bon jet de dé (et tout cela sans l’aide du fichier de sauvegarde relancé à l’infini bien sûr). Cette certitude d’être totalement au contrôle de mes actions a été incroyablement reposante et m’a permis de vivre une expérience vidéoludique quasi unique. Et rien que pour cette sensation, Disco Elysium mérite tout le bien qui a été dit à son sujet.
Fanny Dufour
Rédactrice le jour et rédactrice en chef la nuit. J'aime qu'on me raconte des histoires, mais seulement dans les jeux.
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