Steam, début novembre 2020. Un foutu virus continue d’angoisser la planète et de réduire le bon sens général. Alors pour oublier et garder le moral, il y a l’alcool les jeux vidéo. C’est dans ce contexte qu’est sorti Chicken Police. Si les images laissent penser à un mélange un peu loufoque, il n’en est rien. Ou plutôt c’est un bon mélange loufoque. Car derrière l’esthétique surprenante se cache un jeu d’enquête sympa, doté d’un doublage de haute volée. Pour que vous saisissiez bien le tableau, il faut que je vous raconte ça dans le détail.
Au Pixel Post (de Police), on a tous un peu nos spécialités et on essaye d’être pointilleux sur les affaires qu’on retient. Enfin, je dis ça, mais Jok avait failli y passer en décidant de récupérer le dossier Shemnue 3 l’année dernière. 7 millions de dollars, un jeu complètement dégueulasse, et la promesse d’une suite… Une sale histoire. Oh et il y a aussi le cas Zali, un bourreau de travail, qui aime bien se faire du mal en s’enchaînant souvent les jeux dont personne ne veut. Tout ça pour dire qu’en règle générale, on évite quand même vraiment les machins les plus sordides.
Je ne déroge pas à cette règle. De toute façon, les rares fois où j’ai eu l’audace de tenter de changer, ça avait été de mauvaises surprises. Le seul souvenir d’OneeChanbara me filait encore des terreurs nocturnes… Alors quand j’ai entendu parler de Chicken Police sur PC (mais aussi disponible sur Switch, PS4 et Xbox One), j’ai voulu en être. Du jazz, du point’n’click, un gameplay d’interrogatoire malin et du doublage de qualité : ça sentait bon.
Poulets pas avariés
Je m’installe à mon bureau, un verre à la main. Il est tard. Sûrement trop pour commencer à écrire mais c’est comme ça que je le fais le mieux. Il est donc temps de parler de Chicken Police. Dès le départ en m’intéressant au jeu, j’ai eu le souvenir d’une vieille affaire assez similaire. Backbone. Pas étonnant que ça me revienne. C’est à croire qu’ils sortent du même moule : flic désabusé, femme mystérieuse qui demande de l’aide, ville en proie à la corruption, caractéristiques animales qui se calquent sur les personnalités et les jobs. Ouais, tout est là. Si ce n’est l’approche. Déjà, visuellement, Backbone fait dans le pixel art moderne, Chicken Police mêle cinématiques et décors 2D. Ensuite le ton : si les deux usent de certains ressorts identiques, le premier prévoit une critique politique assez poussée, là où le second l’évoque mais en restant dans l’absurde et le cynisme. Enfin, et c’est la force de Chicken Police, le jeu entier est sorti. Backbone lui n’a que son prologue et le jeu entier n’arrivera qu’en 2021.
Deux profils différents dès que l’on creuse un peu, mais ça sera quand même dur d’éviter les comparaisons. Tiens mais d’ailleurs… Des profils différents qui finalement se complètent… Comme ceux des deux personnages principaux ! Car si on commence le jeu avec Santiano “Sonny” Featherland, qui reste le personnage principal, on est vite accompagné par son collègue de toujours, Martin “Marty” MacChicken. Le premier est un flic en fin de course, alcoolique, solitaire. Le second est impulsif et dragueur pour mieux cacher ses faiblesses. Les deux ont un lourd passif. Autrefois légendes vivantes de la Police de Clawville, la cité où prédateurs et proies vivent en apparente harmonie et théâtre des intrigues du jeu, ils sont désormais loin de leur gloire passée. Sonny se complaît dans l’habituelle déprime qui va toujours de pair avec les vieux flics en imperméable pendant que Marty passe le plus clair de son temps à flinguer des cibles d’entraînement. D’autant que les deux coqs ne se parlent plus depuis un bail.
L’arrivée d’une femme-impala dans le bureau de fortune de Sonny va changer la donne. De quoi dynamiter son quotidien morne, et par ricochet, celui trop routinier de Marty. Mais le vieux poulet est d’abord réticent à vouloir venir en aide à sa visiteuse, ou plutôt à la personne qui l’emploie. Une certaine Natasha Catzenko. Jusqu’à ce que le nom de Molly, son ex-femme, vienne se mêler à l’histoire. Ça y est, Sonny est pris dans l’engrenage. Ce qui est sûr, c’est qu’on nage dans les clichés. La suite du jeu, ne serait-ce que l’arrivée au poste de police qui suit cette phase d’introduction, ne va faire que renforcer ce sentiment. Mais tout ça est voulu. Un peu à l’image d’un Virtuaverse qui nous plongeait à fond dans le cyberpunk, Chicken Police nous offre une virée en plein film noir et l’assume à 300%.
Alors que je termine mon verre, je ne me sens pas très bien. Pas la faute à l’alcool, pour une fois. Non, c’est la peur que le jeu s’enfonce dans des facilités et table uniquement dans les clichés pour pondre un visual novel plutôt basique. Un revers trop commun à ces titres qui ont sauté aux yeux du public sans trop en dévoiler. Plusieurs trucs m’apparaissent et je me sens soulagé de voir que l’esthétique bien foutue se diversifie et s’accompagne d’un humour malin.
Satire et non satyre
Une rasade de whisky, un petit glaçon, je continue. Chicken Police s’épaissit et c’est tant mieux. J’ai parlé au départ du cas des animaux anthropomorphiques. C’est pas exactement ça. On est plus dans l’étrangeté chimérique, avec une tête spécifiquement animale, mais le reste du corps très humain et légèrement modifié. L’ajout d’une queue, de quelques plumes aux avant-bras ou morceaux de peau dotés d’écailles. Pour moi, le plus gros risque, c’était que ça suive les délires furries. Heureusement, on évite ici ces travers malsains. Je vois que les gens derrière Chicken Police ont réussi à prendre le meilleur de deux de leurs nombreuses sources d’inspiration : Bojack Horseman et Avary Attorney. On pourrait même y voir un peu de la Ferme des Animaux d’Orwell. Les animaux servent d’archétypes, permettant de mieux faire ressortir certaines caractéristiques humaines au point qu’on ne voit jamais vraiment des animaux. De quoi me renvoyer encore vers Backbone qui s’inscrit dans une démarche identique. Puisqu’on parle de ce qu’on voit, c’est l’occasion de parler de l’esthétique de Chicken Police.
Assez rare, ne serait-ce que le parti pris d’un jeu en noir et blanc qu’on retrouve finalement assez peu. Mais c’est surtout les décors au rendu très crédible. Les effets d’ombres et de lumières donnent un rendu assez moderne tout en conservant les poncifs du point’n’click typé visual novel : une image fixe où quasi seulement la souris se déplace. C’est d’autant plus sympa que ça colle à merveille avec le thème du jeu, renforçant à la fois le côté ambiance pesante et tout le sérieux d’un film noir. C’est pas magnifique non plus, mais ça donne un cachet pas dégueu.
Mais c’est surtout par l’incrustation des personnages-animaux, que va se créer un décalage. Pas que ça soit mal réalisé, dans les plans fixes ça rend bien, et les mouvements un peu saccadés lors des dialogues rappelleront peut-être à certain(e)s ceux du très sombre The Cat Lady. Non, c’est juste que la présence de ces têtes d’animaux pousse parfois à imaginer la réalité d’un dialogue qui aurait lieu entre deux poulets et un raton-laveur, par exemple. Un détail volontairement renforcé par des dialogues humoristiques bien écrits.
Tout en copiant tous les codes du film noir, les développeurs de Wild Gentlemen ont choisi d’envelopper le tout d’humour. Les dialogues, entièrement traduits (et bien traduits) en français n’hésitent pas à mêler l’habituelle vulgarité liée au thème et jeux de mots autour des animaux présents. Les lignes de textes s’enchaînent, généreuses en détails inutiles mais qui deviennent presque indispensables tant ils nous imprègnent dans l’univers.
Une réussite qui n’aurait sûrement pas été possible sans les doublages de grande qualité (8h de dialogues d’après les développeurs). Cela permet de rendre vraiment crédibles les échanges et de renforcer les personnalités de chacun. L’ensemble se marie parfaitement : on y gagne en profondeur dans les personnages, on s’y attache plus facilement, les dialogues fonctionnent donc mieux, et l’humour avec. On n’évite pas totalement certaines répliques un peu lourdes, mais même dans ces cas-là, ça reste acceptable et dans le ton général du jeu.
GAMEP(OU)LAY
Je me lève de ma chaise et regarde par la fenêtre. Les rues de Metz sont calmes en pleine nuit. La faute au connard de virus, surtout. Le calme qui règne dans les sorties Steam est par contre lui assez habituel pour cette période de l’année. Oui, le début novembre n’a pas grand-chose à offrir et il devient clair que Chicken Police est une sympathique échappatoire, de quoi sortir de la monotonie que le confinement impose. Je me rassois, me ressers, et je me rappelle que je n’ai toujours pas posé des mots sur le gameplay. Lui aussi, il est assez atypique pour un jeu qui se présentait surtout comme une aventure interactive.
L’enquête elle-même se déroule via des déplacements sur une carte. L’histoire principale se découpe entre lieux pour faire avancer l’intrigue et lieux optionnels. On peut se rendre dans ceux-ci pour rediscuter avec certains personnages, voir si, entre deux étapes de l’enquête, il n’y a pas eu de nouveaux personnages ou dialogues facultatifs. Des petits moments qui étoffent l’histoire mais qui ne sont pas fondamentaux dans l’avancement du jeu, et de l’enquête.
Et puisqu’on parle d’enquête et de gameplay, abordons la spécificité des interrogatoires. Ces phases sont construites comme des duels d’esprit où il faudra jongler le mieux possible entre sympathie et agressivité pour aller au plus vite aux infos recherchées. Cela dépendra de la personnalité du personnage interrogé qui, au fur et à mesure que cela dure, dévoilera des traits de caractères. Une petite fiche nous indique ce qu’on cherche à savoir et où se situe notre rapport avec celui ou celle qu’on interroge. Là encore, il faudra bien gérer les réponses pour énerver ou amadouer. Pas vraiment révolutionnaire, mais ça a le mérite d’ajouter de l’interactivité et de la réflexion. D’autant qu’un score final est attribué après chaque interrogatoire, donnant un aperçu de notre valeur en tant qu’inspecteur.
Hormis les enquêtes, et deux phases « FPS » qui rappellent les shooters d’arcade, tout s’effectue dans un mélange entre point’n’click et visual novel des plus classiques. On a un carnet qui sert de menu et permet de se repérer sur ce qu’on sait sur les personnages croisés, ainsi qu’un codex listant les différents lieux de Clawville. De quoi développer l’univers du jeu. Pour le reste, on clique, il y a du texte, parfois des objets à récupérer et lorsqu’ils sont utiles, on nous explique clairement qu’il faut les utiliser. Les autres sont davantage là pour lancer une petite réplique liée à l’objet. Comme cette bouteille très chère de whisky qu’on peut voler au Czar Club. D’ailleurs en parlant de whisky, le mien est fini, tout comme cette critique.
Me voilà capable de classer le dossier. Je me dirige sereinement vers mon lit. Que dire de Chicken Police au final ? Un jeu intéressant et bien foutu. Pas trop forceur à partir du moment où on sait ce qu’il va proposer. Coupable d’être un jeu prenant surtout parce que tout ce qui est censé marcher dans le jeu fonctionne effectivement. Le travail d’ambiance joue énormément, la qualité d’écriture (et de traduction) aussi. Et des petites phases de gameplay d’interrogatoire apportent une certaine fraîcheur au genre. Parmi les rares regrets, j’en ai même oublié de parler du fait que le codex laissait espérer une intrigue plus profonde, quitte à s’éloigner des canons du film noir. Ça sera peut-être pour une suite. Car ça pourrait ne pas être la dernière enquête des inspecteurs poulets. Et pas ma dernière critique non plus…
Veltar
Joueur de jeux vidéo qui aime la politique. Du coup j'écris surtout des trucs qui parlent des deux. Stratégie, Outer Wilds, Metal Gear Solid et indés en pixel art.
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