Jeux réputés médiocres, condamnés aux soldes perpétuelles et aux bundles bizarres à 1 ou 2€ pièce, les jeux de la série Lucius du studio finlandais Shiver Games ont néanmoins leur petite communauté, faite d’amateurs de jeux horrifiques sur Twitch et de puzzle games malsains avec une incontestable touche Eurotrash (ces jeux issus de petits studios européens un peu cassés mais parfois amusants). Annoncé dans une discrétion relative, Lucius III est sorti il y a peu, en transposant l’affreux fils du démon dans un open world qui n’est pas sans rappeler la bourgade morbide de The Evil Within II.
Lucius, c’était le mélange improbable entre Hitman (vous y pratiquez des assassinats planifiés) et un mauvais épisode de Chair de Poule : dans une ambiance horrifique de carnaval, aux commandes d’un enfant possédé par le Malin, vous déambulez dans des espaces clos en causant d’affreux meurtres tout en tentant de ne pas vous faire repérer par des PNJ au pattern assez régulier et à l’intelligence artificielle, disons, relative. Truffés de bugs et d’approximations, les jeux de la série ont toujours accusé un retard technique assez consternant. Quand Lucius III nous a été envoyé, quelques jours avant sa sortie, très peu d’informations avaient été diffusées sur le contenu du jeu, ce qui n’est généralement pas une très bonne chose. Trois semaines après son arrivée sur Steam, Lucius III est patché frénétiquement par les développeurs quasiment tous les jours, mais disons-le d’emblée, le titre est une catastrophe technique, qui peine même à se lancer correctement sur un PC récent.
[Creepypasta] Lucius.exe a cessé de fonctionner 😱
Vous n’êtes pas au point sur le lore de Lucius ? Pas grave. Puisque Lucius III ne se donne même pas la peine de vous expliquer son propos, je vais le faire. Lucius, c’est le fils du Diable, né dans les années 60. Le bambin a tué toute sa famille dans Lucius I, et tout un hôpital psychiatrique dans Lucius II. Protégé par un détective nommé « McGuffin » (ça ne s’invente pas), il a aussi tué son frère, autre fils de démon, en lui jetant du sel. En fuite, Lucius et McGuffin ont un accident de bus et se retrouvent coincés dans la petite ville de Winter Hill, où Lucius décide de tuer tout le monde. L’archange Gabriel est dans le coin, aussi, avec la clope au bec et son costume mal ajusté, et balance des menaces à peine voilées, mais sans jamais vouloir tuer l’enfant de démon non plus, parce que les voies de Dieu sont impénétrables. Du peu que j’ai compris, à la fin, vous poignardez Gabriel et libérez le Démon sur la Terre, un truc dans ce goût là.
C’est à peu près tout ce que vous aurez à vous mettre sous la dent, à moins d’aller regarder un pénible Let’s Play sur Youtube (il n’y en a pas beaucoup, mais ils valent le détour si vous voulez voir l’intégralité de la palette de bugs graphiques que le jeu propose). En tout état de cause, les trois premières heures de jeu laissent entrevoir un niveau d’écriture abyssal de nullité. Il m’a cependant été impossible de pousser beaucoup plus loin que le tutoriel et la première zone présentée, tant le jeu est un four technique comme j’en ai rarement vu depuis trois ans que j’écris sur les jeux vidéo et pas loin d’une centaine de jeux essorés dans ce contexte. Pour être parfaitement clair : dès que Lucius III a tenté de déployer son open world, les lenteurs extrêmes du moteur de jeu et les plantages réguliers sont devenus des retours Windows bien salés, des écrans noirs à foison, voire des crash complets de mon PC. J’ai attendu plusieurs jours, mais chaque patch appliqué par les développeurs semblait détraquer un peu plus l’ensemble. Lors de mon ultime tentative, j’avais le choix entre des cutscenes où tous les personnages étaient nus et flottaient, et d’autres où seul le son était présent, parfois illustré d’une texture baveuse.
Lucius est mort en retournant sur sa planète
Je ne sais pas exactement en quoi consiste le gameplay de Lucius III. Difficile à dire quand quasiment tout ce qui a dépassé le tutoriel a essentiellement consisté à des retours Windows. Par déduction, je devine que la formule des deux jeux précédents (créer des pièges terrifiants en utilisant des pouvoirs) a été complétée par une mécanique de télékinésie un peu plus poussée que dans le second épisode, vous permettant de faire bouger certains objets pour modifier l’environnement ou le comportement de tel ou tel PNJ, ainsi que de posséder des animaux pour observer la ville.
Il m’a cependant été impossible d’explorer réellement les possibilités offertes par Lucius III. Ce n’est qu’en lisant les achievements Steam du jeu et en consultant les screenshots et les Let’s Play de joueurs plus chanceux que moi que j’ai pu découvrir quelques-unes des possibilités que le jeu entend offrir en terme de meurtres et de mauvais coups, ainsi que quelques-uns des rebondissements scénaristiques (comme spoilé un peu plus haut : c’est nullissime). Et si le jeu est effectivement plus généreux en contenu que ses prédécesseurs, on se demande rapidement à quel moment les développeurs de Lucius III ont vraiment cru qu’ils pourraient parvenir à leur fin avec des moyens manifestement si faibles.
Une certaine idée de l’Enfer
Si seulement on pouvait mettre tous les défauts de Lucius III sur le seul compte de ses innombrables bugs et de son optimisation inexistante, le jeu s’en sortirait presque bien : on pourrait simplement recommander d’attendre que les patchs nécessaires soient appliqués par les développeurs. Mais hélas, tous les autres aspects du jeu sont particulièrement inquiétants, et laissent entrevoir un titre ni fait ni à faire que les futures mises à jour ne pourront pas vraiment sauver de la damnation.
Les textures (quand elles se chargent) sont indignes de graphismes contemporains. Les personnages, hideux playmobils à peine animés, errent avec des yeux globuleux, leur peau traversant à l’occasion leurs vêtements. Même les musiques et les doublages, systématiquement offbeat, ne semblent se raccrocher à rien. Seules les premières minutes du jeu, vaguement mises en scène, laissent supposer d’éventuels efforts de mise en scène. C’est bien simple : techniquement parlant, Lucius III fait pire que le premier épisode sorti il y a 6 ans.
Lucius III fait partie des jeux dont j’espérerais de la part des développeurs un post-mortem sincère et détaillé. En tant qu’objet vidéoludique, il est une complète curiosité : sans multi, sans micro-transactions, mais sans tout ce qui peut faire le sel d’un jeu purement solo non plus (challenge, scénario, mise en scène), et le tout développé par une « vraie » équipe et pas simplement trois étudiants dans un garage. Il est difficile de comprendre à qui ce jeu s’adresse. Certes, la série Lucius est suivie par une petite communauté de Youtubeurs et de Streamers au public jeune et impressionnable. Mais beaucoup plus encore que ses deux prédécesseurs, Lucius III me semble également quasiment impropre au streaming. Trop lent, trop cassé, trop ennuyeux à regarder. Peut-être que pour des raisons éditoriales, ou à cause d’un budget trop serré, ce jeu qui aurait manifestement dû être accompagné d’un label « pré-alpha/early access » est sorti comme un produit fini, condamné à être patché en urgence et pendant des semaines par des développeurs en panique ? Difficile à dire, mais il est certain qu’entre la fin de Lucius II et l’arrivée presque surprise de Lucius III, quelque chose s’est mal passé.
Lucius III a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur
A l’heure actuelle, Lucius III est dans un état déplorable, indigne d’une pré-alpha. Chutes de framerates sous les 10fps, plantages à répétition, textures qui ne chargent pas, menus cassés, graphismes affreux : je ne vois sincèrement pas comment rendre un verdict sur un jeu dans cet état. S’il est réparé et stabilisé un jour, on tiendra peut-être un sympathique nanar d’infiltration avec quelques puzzles amusants à résoudre pour devenir un vrai petit Antéchrist. Les développeurs ont l’air d’y travailler d’arrache-pied, alors souhaitons leur bonne chance même si la cause semble fort mal engagée. En attendant qu’il devienne jouable, Lucius III est à éviter à tout prix.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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