Une petite fille traversant une période particulièrement douloureuse de sa vie s’embarque dans un voyage personnel et magique d’une journée : c’est sur ce postulat tout simple que repose Sumire de GameTomo Team, un studio international basé au Japon habituellement porté dans l’adaptation et l’édition de succès indés occidentaux au marché japonais (Lost Ember, Cuphead…)
Nous l’évoquons ici en creux à longueur d’articles : la dynamique du jeu d’aventure narratif, parfois un peu facilement surnommé « simulateur de marche », peine parfois un peu à s’extraire des carcans qu’il a lui-même créés : on est à la première personne ou aux commandes d’une sorte de série télé interactive, dans des décors tantôt photoréalistes tantôt un peu plus cartoon, et on vit ou on revit un drame familial, teinté ou non de fantastique. Des jeux qui peuvent être bons ou mauvais, mais qui sont parfois un peu difficiles à distinguer les uns des autres tant une forme de standardisation imposée par les ténors du genre (les jeux Dontnod, Firewatch ou encore What Remains of Edith Finch) semblent avoir dicté une grammaire commune. Personne ne peut exactement définir un walking sim, mais tout le monde arrive à le désigner du doigt quand il en voit un, en somme. Aussi, il est toujours assez agréable que des petites curiosités comme ce Sumire viennent bousculer nos habitudes esthétiques et narratives, quitte à ne pas proposer grand-chose de neuf sur le fond.
Just a perfect day
Sumire vous fait incarner une éponyme petite fille japonaise vivant au fin fond d’un village de campagne. Réveillée aux aurores en sursaut par une étrange intruse prenant la forme d’une fleur parlante, Sumire va se voir confier la mission de « passer une journée parfaite » avec cette compagne éphémère : à la fin de la journée, cette dernière fanera et mourra. Autant passer une bonne journée avant cette inéluctable échéance, donc. Mais pas de bol : Sumire n’a pas vraiment le cœur à la fête. Ses parents divorcent, sa grand-mère est décédée il y a peu de temps, son ex-meilleure amie s’est avérée être une garce, et elle se sent trop timide pour confesser ses sentiments au garçon qu’elle aime. Bref, ça ne va pas très fort.
Après quelques péripéties, Sumire accepte néanmoins cette mission et, armée de son carnet de notes et des conseils de la fleur, elle décide d’essayer de régler un maximum de ses problèmes dans la journée, en établissant deux listes : une liste d’objectifs généraux d’abord, pour régler ses plus grosses peines de cœur (dire à son père ce qu’elle ressent, rendre hommage à sa grand-mère, se faire un nouvel ami…), et une liste d’objectifs secondaires pour aider un maximum de monde autour d’elle. En effet, Sumire se rend vite compte que sous l’influence de cette journée un peu magique, elle peut désormais entendre les désidératas de tout un tas d’habitants habituellement silencieux du village : plantes, animaux, panneaux publicitaires, tous semblent désormais bien résolus à confier leurs peines et leurs problèmes à Sumire, qui pourra décider ou non de s’en occuper.
Le jeu se déroule de la même manière que l’ensemble d’une journée, certains éléments et lieux n’étant accessibles qu’à certains moments, et certaines quêtes étant étroitement liées au fait de faire les choses dans le bon ordre. Le jeu n’est heureusement pas trop contraignant, rien à voir avec la précision chirurgicale nécessaire pour accomplir les quêtes en temps limité de Majora’s Mask, par exemple. En revanche, il est assez facile de rater des événements pour peu qu’on ne soit pas assez curieux ou pas assez attentif quand, par exemple, l’épouvantail du village insiste lourdement pour que vous lui apportiez un couvre-chef avant midi. A noter d’ailleurs que le jeu ne force à l’accomplissement d’aucune de ces quêtes secondaires, vous contraignant uniquement à accomplir la quête principale. Bien entendu, foncer sans aider personne donne une tonalité plus sombre à l’intrigue… Même si aider les gens de la mauvaise manière peut aboutir au même résultat. Et c’est là qu’on arrive au principal point fort de Sumire : son ambiance délicieusement tendue alimentée par une mécanique de karma plus intéressante que dans la plupart des jeux du genre.
Il sait si tu as été gentille ou si tu as été méchante
Comme je le mentionnais plus haut, Sumire vous fait incarner une petite fille qui ne va pas très bien. Rien de critique ou d’insoutenable : malgré quelques moments plus sombres, Sumire n’est pas un jeu d’horreur, et pas non plus un jeu sur la dépression. En revanche, il décrit très bien l’état d’abattement et de tristesse qu’un enfant peut ressentir face à une série de frustrations et d’injustices se succédant de manière trop rapprochée. Le ton de l’intrigue oscille donc entre tristesse et optimisme, le jeu étant aussi une démonstration assez brillante de la capacité de dépassement et de résilience des enfants.
Ce qui fait de Sumire une expérience particulière, c’est sa capacité à mettre en scène les réactions de l’héroïne au travers d’une série de choix et de mini-jeux, présentés un peu hâtivement lors de l’intrigue comme des choix « gentils » ou « méchants ». En gros, chaque obstacle rencontré par Sumire, ainsi qu’un grand nombre de quêtes secondaires, va se traduire par deux solutions : une solution plutôt compréhensive et bienveillante (au risque d’être passive), et une autre plus expéditive et frontale (parfois carrément méchante ou mesquine). En résulte l’augmentation de deux jauges de karma, qui ont des conséquences à court terme sur certains points du déroulé de l’aventure. Toute la réussite de Sumire, c’est qu’à de très nombreuses reprises, la solution « mauvaise » (par exemple laisser éclater sa colère face à une situation claire et nette de harcèlement scolaire) va être de manière très objective la « bonne solution ».
Sumire est ainsi un jeu qui démontre assez bien que la solution à tous les problèmes possibles, avec leur complexité et leurs multiples paramètres, ne peut pas juste être d’être absolument béat, passif et d’être benoitement en accord avec tous les interlocuteurs du jeu. Personne ne peut exiger de vous d’être un être de pure bonté, et ce n’est pas toujours ce qu’il convient d’être. A rebours de nombre de jeux du genre, il pousse parfois à aller contre sa propre mécanique de karma pour éviter de faire quelque chose qui serait en réalité cruel vis-à-vis d’une héroïne en train de souffrir. Tout au long de l’aventure, on façonne donc ces aspects de la personnalité de Sumire avec la subtilité des choix et des peines du quotidien. Et ce sans qu’aucune contrainte forte n’ait été imposée au joueur ou à la joueuse qui possède donc une assez grande marge de manœuvre pour décider de la manière dont l’héroïne devrait réagir aux événements pour atteindre son objectif : aller mieux. On ne regrettera que quelques choix un peu obscurs ou peu intuitifs, qui peuvent écorner une jauge de karma parce qu’à tel ou tel moment le jeu n’est pas aussi clair qu’il le pourrait dans les implications immédiates d’un choix à priori anodin. Rien de bien grave, cependant.
Un univers doux mais sans concessions
Vu de l’extérieur, on pourrait trouver Sumire un peu mièvre, avec son côté pastel et son univers kawaii semblant sorti d’un album pour enfants. Cependant, il ne faut pas confondre douceur et niaiserie. Sumire est un jeu incontestablement doux, avec sa bande-son folk superbe, son bestiaire tout en rondeur et sa mise en scène d’une ruralité japonaise paisible. Mais c’est aussi un jeu qui passe son temps à mettre les pieds dans le plat : non, ce n’est pas parce que tout a l’air enchanteur que l’on doit absolument passer un bon moment.
Sumire n’hésite ainsi jamais à aborder frontalement (parfois même de manière un peu rude) la question du harcèlement scolaire, de la solitude de la vie à la campagne, de la mort ou du rejet. C’est un jeu qui a pleinement conscience que dans cet espace entre la déprime et la dépression (le premier est un sentiment, le second une maladie), de la simple bonne volonté et des conseils un peu creux comme « prendre l’air » ou « penser à autre chose » ne suffisent pas. Le monde de Sumire est beau, son quotidien plutôt tranquille et on sent que ses peines de cœur finiraient de toute façon par passer d’elles-mêmes au fil du temps. Mais ce contraste entre le côté paisible de cet univers et la rudesse de ce que traverse son héroïne à cette période de sa vie, couplé à l’issue forcément fatale promise au personnage de la fleur, vient souligner que ce n’est pas parce que tout semble beau et harmonieux que le quotidien en est pour autant plus léger.
Soulignons enfin que la prouesse du jeu réside aussi dans le fragile équilibre qu’il maintient entre son design enfantin et sa capacité à rester un jeu pleinement agréable à aborder en tant qu’adulte. Sumire est ainsi un de ces jeux, trop rares, qu’il me semble agréable de faire en tant qu’adulte accompagné d’un enfant. Vous n’y verrez ni les mêmes choses ni les mêmes thématiques, mais l’expérience sera sans doute mémorable pour tous les deux. Dommage, donc, que le jeu ne soit disponible qu’en deux langues : anglais et japonais.
Sumire a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch.
Sumire n’est pas un jeu parfait, mais c’est un jeu qui a sans conteste du cœur et un supplément d’âme. Ni trop long ni trop court, il surprend par sa capacité à mettre en image de manière simple et sensible une mécanique convenue du jeu vidéo d’aventure, la notion de karma. Conte mélancolique mais optimiste sur l’enfance doté d’une des meilleures bandes-son de l’année, il me semble être un des indispensables du jeu narratif en 2021.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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