« Bienvenue dans The Fabled Woods, une aventure narrative sombre et pleine de mystère. Malgré la beauté pittoresque de l’endroit, d’affreux secrets se cachent parmi les frondaisons agitées. Faites-y vos premiers pas et vivez une expérience inoubliable ». C’est, littéralement, l’accroche assez mensongère de Headup, l’éditeur allemand de The Fabled Woods. Vu l’état dans lequel le jeu est sorti, je ne me suis pas senti franchement motivé à le reformuler. Point de beauté, de mystère ou d’expérience inoubliable là-dedans.
Nous recevons toutes sortes de jeux à The Pixel Post. Plusieurs centaines par an. Même si d’excellents jeux nous parviennent par dizaines chaque année, dont certains peinent à trouver leur public, l’état de la production étant ce qu’il est, de trop nombreux jeux vidéos sortent en version mal fichue, peu optimisée, peu inspirée. Trop d’entre eux sont des clones mal pensés de titres à succès, frisant parfois le ridicule. Difficile de savoir ce qui conduit à sortir des centaines de jeux chaque année dans cet état, les causes étant multifactorielles. Retenez que la réponse est rarement, voire presque jamais : « les développeurs du jeu sont nuls ou ont manifestement fait un mauvais jeu exprès ». Manque de temps, manque de ressources en interne, peu de moyens, un éditeur peu scrupuleux qui accepte de sortir des trucs en mauvais état, un management défaillant, ou tout simplement une mauvaise idée de départ qu’il a bien fallu finir par sortir pour espérer rentrer dans les frais du développement. En tout cas, personne de raisonnable ne passerait des mois et des années à programmer un jeu destiné à se prendre au mieux une vague d’indifférence, au pire un mur de critiques dépitées. Je ne sais pas ce qui a conduit CyberPunch Studios (l’équipe derrière The Fabled Woods) et Headup (l’éditeur) à sortir un jeu au concept aussi rincé, dans un état aussi calamiteux. Mais franchement, c’est dommage, et comme nous allons le voir plus bas, The Fabled Woods peine à atteindre ne serait-ce que la médiocrité auquel son pitch vu et revu semblait le réserver.
Rien à dire
The Fabled Woods ressemble à la plupart des simulateurs de promenade vaguement horrifiques qui sont déversés chaque année par brouette sur les étals virtuels des boutiques de jeux vidéo : vous allez vous promener dans la nature, incarner un protagoniste suspect et rongé par la culpabilité, et revivre une tragédie intime. Le tout sur une aventure s’étendant péniblement sur environ une heure (ce n’est pas forcément un problème), une demi-heure quand on sait quoi faire, ce qui, comme nous le verrons plus tard, est tout sauf évident. Ce qui est à prendre en considération pour un jeu vidéo vendu entre 15 et 20€ à son lancement.
L’intrigue très ramassée de The Fabled Woods se résume à peu de choses, et le jeu n’a pas grand-chose à raconter si ce n’est une énième parabole maladroite sur le déni ou l’acceptation, un des poncifs les plus éculés des pseudos choix moraux des jeux d’aventure. L’idée unique de mise en scène est, elle aussi, un lieu commun : les bois paisibles sont parcourus tour à tour dans leur état normal et dans une seconde réalité, horrifique et teintée de rouge, avec des passages dans un monde fantasmé et métaphorique en suspension dans le vide. On peut passer d’un mode de vue à l’autre d’une pression sur un bouton, et l’essentiel des interactions consiste à suivre des pistes en cliquant frénétiquement sur le bouton de passage dans ce fameux monde alternatif… Puisque notre héros cligne régulièrement des yeux, nous ramenant toutes les quelques secondes dans la réalité « normale », ce qui est ludiquement aberrant, mais loin d’être la chose la plus irritante de The Fabled Woods, un jeu avant tout plombé par des avaries techniques constantes.
Thriller à 15 FPS
Il arrive parfois que, à l’arrêt et en prenant certains angles, The Fabled Woods soit assez joli. Sans doute pas la plus belle pépite jamais produite sur l’Unreal Engine, mais si vous êtes amateurs de lumière tamisée par les frondaisons d’épaisses forêts mystérieuses, vous pourrez faire quelques jolies captures d’écran. Le monde fantasmagorique et cauchemardesque où le protagoniste est occasionnellement plongé propose quelques teintes de rouge et de noir assez angoissantes qui peuvent donner le change. Encore faudrait-il que ces quelques fulgurances graphiques ne soient pas atomisées par une optimisation purement et simplement absente.
Concrètement ? Sur un PC (le mien) acheté il y a moins de six mois et faisant tourner en « ultra » à peu près n’importe quoi en 1920 x 1080 (le récent The Medium, par exemple), The Fabled Wood affiche en permanence, et quels que soient les tripatouillages d’options graphiques tentés, des chutes de performance donnant l’impression que le personnage a deux boulets aux pieds et de sérieux problèmes de gueule de bois. Concrètement, je me suis traîné entre 15 et 25 images par seconde en permanence. Alors que ce qui est montré n’a rien de très impressionnant (des sous-bois, une cabane, une rivière et des sentiers pas particulièrement détaillés), et ne devrait pas mettre à genoux un PC gaming neuf milieu de gamme. Mais cela pourrait encore passer si ce n’était tout le reste, à commencer par un gameplay quasi absent, mais assez approximatif pour constituer l’essentiel de la « difficulté » à laquelle le joueur se confronte.
Examiner des objets et avancer sont vos deux principales missions dans The Fabled Woods. Quand des bugs de sauvegarde rendent occasionnellement certains items impossibles à manipuler, et que votre personnage est si gauche que certains sentiers prennent des allures de murs invisibles tant que vous ne passez pas pile au milieu du petit pont de bois, on en vient à être presque soulagé que le nombre d’interactions entre le joueur et son environnement ne soit pas plus ambitieux ni plus complexe. L’éditeur annonce une aventure d’une heure et demie ? C’est vrai, c’est à peu près le temps qu’il m’a fallu pour (quasiment) boucler et platiner cette triste aventure. Ce que le presskit de The Fabled Woods oublie de préciser, c’est qu’une bonne moitié de cette heure et demie est consacrée à tourner en rond, ne pas réussir à emprunter un chemin pourtant ouvert, ou se rendre compte qu’un script essentiel ne se déclenche pas correctement, nous forçant à recommencer une séquence entière. Je pensais être obtus et incapable de rentrer dans la logique du jeu, mais il semble que je ne sois pas le seul : la plupart des reviews des utilisateurs vont dans le sens d’une expérience riche en bugs et globalement peu intuitive.
Il semble que la toute petite équipe à l’origine du jeu ait beaucoup travaillé à la question de la gestion des effets de lumière et de reflets dans le jeu, et qu’ils aient mis un point d’honneur à ajouter du ray tracing dans The Fabled Woods. On les comprend : comme je le disais, certains plans du jeu sont vraiment jolis. Mais nous parlons d’un jeu dont les problèmes de performances sont déjà criants en désactivant ces options… Et d’une expérience au level design assez calamiteux. Typique du projet qui prend la problématique du développement de jeu vidéo par un prisme souvent catastrophique, se concentrant sur un objectif difficile à atteindre et investissant trop de ressources dedans, et pas assez sur des bases solides et un jeu agréablement conçu… Qui par exemple maîtriserait des fondamentaux du design vidéoludique. Une des premières énigmes du jeu consiste ainsi à suivre un sentier plein de traces de sang, puis à examiner un caillou… Avant de rebrousser chemin pour emprunter une route désormais mystérieusement dégagée, mais dépourvue de traces visibles… Alors que votre vision alternative n’a pour seul effet que de mettre des traces invisibles en lumière. Un peu à l’image de tout le jeu, qui semble avoir été maladroitement assemblé autour d’idées peu efficaces mal mises en scène. Dommage.
The Fabled Woods a été testé sur PC, via une clé envoyée par l’éditeur.
Problèmes de performance, contenu indigent, bugs à foison et propos vu et revu : The Fabled Woods, c’est tout simplement n’importe quel walking sim, mais en moins bien. Sans l’intégralité des problèmes techniques qui constituent hélas l’essentiel de cette courte expérience, le jeu de CyberPunch Studios aurait été parfaitement oubliable. En l’état, il réussit l’exploit de laisser un souvenir désagréable.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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