Premier projet entièrement « solo » des spécialistes français du jeu d’aventure narratif de chez Dontnod, Twin Mirror abandonne le format épisodique et les turpitudes de la vie adolescente pour un court polar dans l’Amérique déshéritée et post-industrielle.
Dontnod, qui a enchaîné la saison 2 de Life is Strange, Tell me Why pour Microsoft et l’annonce de six projets pour les prochains trimestres a donc trouvé le temps de décliner sa formule d’aventure à choix multiples sur des rails plus ou moins visibles sous forme un peu différente. Le choix est périlleux, car si la formule est la même (une histoire très guidée légèrement influencée par des choix à l’implication souvent lourde), tout le reste change : la direction artistique est plus réaliste, le fantastique est quasiment abandonné au profit d’une expérience plus terre-à-terre, et les thématiques très sociales et sociétales des autres jeux du studio se retrouvent troquées contre le drame personnel d’un trentenaire dépressif faisant un bref passage dans une ville natale qu’il déteste et qui le lui rend bien. Rien de tout ça n’est en soi le déclencheur d’un signal d’alarme gravissime, mais une fois le jeu lancé et son début assez efficace expédié, les ennuis commencent : Twin Mirror n’est hélas, pas franchement un bon jeu.
Twin Mirror est un polar raté
Résumons l’affaire : Sam, journaliste, a quitté la ville minière de Basswood, en Virginie-Occidentale, suite à un article d’investigation ayant conduit à la fermeture de la mine locale (on ne saura jamais exactement ce dont il est question, mais vraisemblablement de sécurité et de conditions de travail des mineurs). Haï d’une bonne partie de la ville l’accusant d’avoir mis toute une communauté au chômage, et en proie à des difficultés de couple, Sam a tout plaqué du jour au lendemain, laissant derrière lui ses proches, sa compagne et ses collègues. Deux ans plus tard, Sam apprend la mort soudaine de Nick, son ancien meilleur ami, dans un accident de voiture brutal. Il décide donc de revenir à Basswood à l’occasion de la veillée funèbre. Une fois sur place, sans surprise, il découvre que la mort de Nick ne serait peut-être pas si accidentelle que cela. Après s’être envoyé la murge du millénaire et s’être disputé avec la moitié des gens présents à la veillée, il se réveille à l’hôtel, sans aucun souvenir de la nuit écoulée à côté d’une chemise pleine de sang ne lui appartenant pas. Ça vous rappelle quelque chose ? Disons que ̷T̷w̷i̷n̷ ̷P̷e̷a̷… Twin Mirror n’a pas fait le pari de l’originalité pour le contexte de son enquête.
Je me garderai évidemment bien de spoiler le reste, d’autant que l’enquête est courte (moins de 6 heures pour voir le générique de fin), mais disons que ce qui se passe ensuite est d’une pauvreté qui m’a vraiment pris de court : concrètement, tout se déroule en quelques heures, l’identité du coupable est révélée après avoir visité deux lieux et parlé à un unique témoin, et pouf, c’est fini. Et le pire, c’est que bien que ne durant que l’espace de quelques scénettes et se concentrant sur une demi-douzaine de personnages et quelques figurants, l’intrigue de Twin Mirror se paye le luxe de quelques grosses incohérences et faux-raccords qui m’ont parfois laissé perplexe, le tout étant de plus mâtiné d’énigmes assez médiocres. Mauvais polar, mauvais jeu d’aventure, ça part mal. Et, disons-le tout de go : la « touche » habituelle consistant à donner l’illusion au joueur d’influer sur le déroulé du scénario est ici réduit à presque rien, voire moins, tant le système est parfois cassé.
Il faut préciser quelque chose : s’attacher à Sam, c’est tout sauf simple. Assez antipathique, désagréable, avec une psychologie pas toujours très lisible : l’attitude de Sam Higgs est souvent insaisissable, ses motivations peu claires, au point où on en vient à douter qu’il soit un narrateur fiable. Au final, il aurait été préférable que ça ne soit pas le cas : le protagoniste de Twin Mirror est « juste » mal écrit. Ce qui conduit à des séquences de choix où l’attitude de Sam se retrouve parfois en contradiction totale avec le choix présenté. Dans une séquence, vous pouvez par exemple faire le choix de vous concentrer sur ce que vous dit votre ex-compagne ou de préférer écouter ce que vous dit une voix imaginaire. Choisir d’écouter votre ex-compagne (choix affiché à l’écran) conduira le personnage à hurler sur son ami imaginaire, ce que l’autre personnage prendra pour une attaque contre elle. Une erreur de game design qui conduit régulièrement le joueur à exprimer le contraire de ce qu’il souhaite : encore heureux que rien n’ait franchement de conséquences.
De l’autre côté du mouroir
Tout n’est cependant pas à jeter dans Twin Mirror : Sam est ainsi doté d’une sorte de double à lunettes, une sorte d’ami imaginaire / conseiller qui apparaît dans certains moments cruciaux pour l’aider à s’orienter dans son enquête et ses réponses. Cette mécanique est très intéressante, le double de Sam ayant une personnalité distincte de ce dernier et pouvant parfois le conduire à prendre de mauvaises décisions. Proposer un sidekick qui n’est pas toujours de bon conseil et qui vous force à évaluer ce qu’il vous suggère est une excellente idée, même si elle est à peine exploitée. D’autant qu’après un ultime choix en fin d’aventure, cette mécanique se pervertit toute seule, transformant le système d’aide jusqu’ici peu fiable en quasi soluce infaillible.
Autre réussite conceptuelle de Twin Mirror : la représentation graphique du « palais mental » de Sam. Cet espace de réflexion interne, certes très commun dans les histoires policières présentant des personnages introvertis et géniaux, et qui évolue à mesure que l’enquête progresse, est graphiquement très réussi. On prend plaisir à explorer les souvenirs et les idées de Sam en déambulant dans cet espace onirique, mélangeant ses traumatismes passés et ses hypothèses concernant l’enquête en cours. On regrettera cependant que vers la fin du jeu, Dontnod retombe dans ses travers et fasse de cet espace réflexif un labyrinthe grotesque, retombant dans des travers déjà observés vers la fin du premier Life is Strange.
Et même au-delà de la simple beauté plastique de ce palais (qui tranche avec la représentation de Basswood et de ses habitants, que je trouve assez ratée avec une approche réaliste qui baigne dans une uncanny valley bizarre), Twin Mirror y déroule quelques idées intéressantes, dont plusieurs séquences de reconstitution ou de simulation. En gros, à plusieurs (trop rares) moments de l’intrigue, Sam va tenter d’explorer une scène de crime en essayant de faire « coller » l’état de la scène avec ses différentes hypothèses. On se promène dans la scène en modifiant des éléments et on peut simuler la scène autant de fois que nécessaire pour trouver le déroulé correct le plus probable. De la même manière, on peut se faire une représentation mentale d’une série d’actions avant de les entreprendre, pour être certain qu’elles fonctionneront : une excellente mécanique sur le papier.
Hélas, ces scènes qui ne sont pas sans évoquer le remix des souvenirs présents dans Remember Me, le premier jeu du studio, sont vraiment trop rares, et pas toujours très engageantes. Elles ne parviennent pas à sauver le tableau général. Une séquence entière est ainsi consacrée à saboter des tuyaux d’arrosage pour s’assurer qu’on arrivera bien à mettre le feu à une partie d’un camp de marginaux parce que le jeu nous a dit de le faire un peu sans raison précise : il s’agit de détourner l’attention de deux personnes pour pouvoir emprunter un chemin dont il est évident qu’on peut totalement le contourner sans aucune difficulté. Mais bon, puisqu’un mur invisible empêche notre beau héros de faire un détour de 50 mètres, alors on fout le feu au bazar. Quand je vous dis que c’est un peu difficile de s’attacher à ce jeu, à ses énigmes et à son personnage principal, c’est malheureusement de ce genre de problèmes que je parle.
Twin Mirror a été testé sur PC via une clé envoyée par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur Xbox et PS4
Le concept derrière Twin Mirror fonctionne très bien : un détective et son double explorent les tréfonds d’une enquête en cogitant dans un palais mental, double spirituel à la fois de la psyché du héros et des crimes à résoudre. Le problème, c’est le jeu qui entoure ce concept, dans lequel tout semble un peu de traviole, écrit trop vite, mal relu, avec un casting qui peine à intéresser et une série de crimes dont on se fout un peu. Typique du jeu qui a essayé de faire rentrer trop de fringues dans une trop petite valise, Twin Mirror essaye en moins de six heures de parler d’amour, d’amitié, d’enfance, de crise de la trentaine, de chômage, de l’Amérique profonde, et d’y ajouter une enquête sur une série de meurtres sur fond de marginalité, de corruption et de trafic de drogues. Pourquoi pas, mais alors il fallait en faire une véritable aventure, et pas cette note d’intention ultra compacte parsemée de personnages à peine écrits. Quelle déception !
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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