Petit projet du très actif Studio Fizbin (The Inner World, Minute of Island, Say No! More), Lost at Sea est un (enième) walking sim où il est question d’explorer des traumatismes passés. Cette fois-ci, c’est une vieille dame à l’existence marquée par une tragédie intime qui voit sa vie défiler, reconstituée sous la forme d’une île mentale métaphorique.
J’aimerais vous dire que je peux aborder chaque jeu indépendamment de la grosse cinquantaine d’autres que je critique chaque année pour ce site. Mais ce serait un mensonge, et Lost at Sea arrive, c’est bon de le souligner avant toute chose, après beaucoup de jeux à la première personne plus ou moins bons, racontant peu ou prou des variations d’une même histoire : tenaillé.e par la culpabilité ou une tragédie lui ayant enlevé un proche, un ou une protagoniste doit affronter ses démons. Ce n’est pas « grave » : se couler dans des codes déjà existants n’a jamais empêché de proposer quelque chose d’original, ce que fait à mon sens Lost at Sea. Encore aurait-il fallu le faire en rendant une copie jouable, mieux pensée, et un chouilla plus riche en contenu. Au vu de son propos général, Lost at Sea devrait être meilleur qu’il ne l’est dans les faits.
L’île des souvenirs perdus
La métaphore utilisée par Lost at Sea pour dérouler son intrigue est si transparente qu’il est inutile de parsemer cette critique de balises spoiler : au crépuscule de sa vie, une femme, Anna, se réveille sur un bateau en train d’aborder une île. Elle ne va pas bien. Aux quatre coins de cette île sont disséminés des lieux, chacun représentant une étape de sa vie. Et ces lieux ne seront pleinement activés que quand Anna aura retrouvé, au fur et à mesure de son exploration, des objets symbolisant chacun un souvenir d’un moment marquant de sa vie. Chaque objet restitué au bon endroit fait ainsi avancer l’intrigue, de manière non linéaire.
La mécanique principale de Lost at Sea consiste donc à reconstituer une vingtaine de souvenirs pour lever le voile sur les zones les plus significatives de la vie de la protagoniste. Une vie qui, sans entrer évidemment dans les détails, a connu de nombreux joyeux événements, mais également deux tragédies majeures qui ont petit à petit privé Anna de certains membres de son entourage le plus proche. Très vite se dessine une question centrale à l’intrigue du jeu : est-ce encore bien pertinent de s’accrocher à la vie en pareille circonstance, alors que le quotidien qui la compose est désormais si morose ? Le jeu y répondra finalement à sa manière sans que l’on ait par ailleurs d’influence particulière sur la décision finale d’Anna.
N’ayant pas la main légère sur les symboles, Lost at Sea alterne ainsi les moments de « jour » où Anna se souvient et les moments de « nuit », où elle est poursuivie par des cauchemars l’empêchant de progresser et symbolisés par une grosse boule de couleur (pénible). Chaque étape majeure résolue affaiblira la zone de l’île couverte par une brume noire impénétrable, amenant Anna plus près de sa décision finale. Par ailleurs, plus on « valide » de zones et donc de périodes de la vie de l’héroïne, plus l’île est sûre à parcourir et moins la bouboule de lumière viendra vous téléporter là ou bon lui semble, c’est-à-dire souvent loin de là où vous souhaitiez aller, car on adore les allers-retours dans les jeux vidéo.
Je suis perdu dans ma tête
Lost at Sea est un jeu si court (moins de trois heures, et encore, en se perdant beaucoup : il est possible de platiner le jeu en moins d’une demi-heure) qu’il convient de n’en pas dévoiler plus avant la thématique centrale. Son dispositif, bien que vu et revu, a le mérite de l’efficacité. On comprend très vite le principe, et chaque petit souvenir donne lieu à une séquence de gameplay différente venant parfaitement illustrer le propos. Mieux encore, chaque souvenir complété (le bon objet ayant été restitué au bon bout de décor) vous donnera l’occasion d’avoir un nouvel angle sur les événements décrits, généralement figuré par un (superbe) artwork.
Le problème, c’est que Lost at Sea, au-delà de son propos très intéressant sur la vieillesse en général et le fait de se remémorer sa vie en particulier, est aussi un assez piètre jeu vidéo. Tout d’abord parce que sa mécanique centrale (la recherche de souvenirs) fonctionne assez mal. En gros, vous allez devoir explorer l’île de fond en comble, avec pour seule indication une boussole ne s’activant que si vous avez déjà trouvé la moitié d’un souvenir. Ce qui ne poserait guère de problème si l’aire couverte par le jeu était à la fois plus restreinte et bien plus facile d’accès. En gros, on passe un temps bien trop important un peu perdu, la vue obstruée par des arbres et des cailloux, à échouer à traverser un canyon parce qu’on y est poursuivi par une boule de lumière en colère, tout ça pour découvrir que la route en question ne mène sur rien. Et pour peu qu’on finisse par tomber sur le souvenir recherché, l’énigme qui accompagne sa résolution n’est ni toujours très claire, ni toujours très jouable.
Un tel écueil aurait à mon sens pu être évité soit via un système de map ou de marqueurs plus généreux (en mettant une map tout court, par exemple, ou en permettant de la débloquer après le premier ensemble de souvenirs…)… Ou par un level design plus clair. L’île de Lost at Sea donne l’impression d’un fatras assemblé un peu à la va-vite, davantage dans l’idée d’y disséminer les souvenirs et les épreuves à collecter que de permettre à la protagoniste d’y mener un parcours un minimum lisible et cohérent. Bien sûr, il n’est pas anormal qu’une île figurant littéralement un gros tas de souvenirs soit un peu chaotique, mais c’est bien au level designer de trouver un équilibre entre ce chaos nécessaire et le fait de laisser le.a joueur.euse errer dans la pampa pendant de longues et fastidieuses minutes.
Le walking sim qui ne marche pas très bien
Comment enfin ne pas évoquer l’autre problème, hélas criant sur les screenshots parsemés au long de cette critique : Lost at Sea est un jeu qui couple une direction artistique assez quelconque à une exécution graphique vachement limite. Beaucoup de mots pour dire que nous sommes face à un jeu franchement moche.
Dommage, parce que quelques idées visuelles fonctionnent très bien, à l’image de ce cimetière d’autobus perdu dans la forêt, ou encore de cette séquence où la protagoniste doit caler son pas sur les empreintes d’un fantôme en devinant son chemin. Mais Lost at Sea fait partie de ces jeux qui semblent plus cohérents en screenshot qu’en pleine action. Car de textures grossières en chutes de framerate et de physique approximative en énigmes mal scriptées, Lost at Sea finit par user la patience des plus calmes.
Le jeu de Fizbin me laisse finalement ce goût amer d’une bonne idée qui n’a pas été au bout de ce qu’elle aurait dû ou pu être. Aurait-il fallu plus de temps ou de développeurs pour venir à bout de ce projet et livrer quelque chose de fluide et d’agréable où la narration délicate et originale du jeu ne s’effacerait pas devant les limitations techniques criantes ? Sans doute. En attendant, quel gâchis.
Lost at Sea a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur Playstation 5 et sur Xbox Series.
Lost at Sea n’est pas un jeu facile à aimer : terminé à peine commencé, plombé par des commandes pataudes, mal optimisé, et souffrant d’un manque d’emphase dans la manière de mettre en scène son histoire, il aura bien du mal à rester dans les mémoires. C’est dommage, on aurait pu espérer mieux puisque de bonnes idées et quelques fulgurances esthétiques et thématiques parcourent l’ensemble malgré tout. On aurait aimé qu’un jeu traitant du deuil parental, du passage du temps ou encore des maladies liées à la vieillesse ne nous donne pas l’envie de jeter notre écran par la fenêtre de frustration à la suite d’une séquence imprécise ou d’un level design incompréhensible.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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