Retenez avant toute chose que Feral Cat Den, le développeur de Genesis Noir, se revendique davantage comme un collectif d’artistes qu’un studio de jeu vidéo. C’est important pour la suite, parce que ce genre d’initiative (« on est pas du sérail, mais on veut le réformer quand même ») ça peut mener au meilleur (Disco Elysium) comme au pire (certains jeux ni faits ni à faire édités par Arte, par exemple). Genesis Noir, en se proposant de réinventer le point and click en nous proposant une aventure s’étendant du big bang à nos jours, prend en tout cas le pari de s’inscrire dans cette continuité du jeu conçu et pensé comme marginal.
Tout au long de son développement long de plus d’un lustre, Genesis Noir a cultivé cette image de jeu « différent », au risque de flirter avec un certain snobisme. Par exemple, sur Steam, la date de sortie du jeu n’indiquait pas de fenêtre précise, mais « Avant, pendant et après le Big Bang » (vraiment, ne faites pas ça, vous ne nous facilitez pas la tâche). La communication du jeu, outre sa direction artistique sublime, était tout entière tournée vers le fait que le jeu était un point and click « non-traditionnel« . Le risque de se revendiquer de cette marginalité est un peu le même que ceux qui, à l’autre bout du spectre qualitatif, revendiquent de faire du « nanar volontaire » : basculer dans une pure posture de poseur donneur de leçon qui pense avoir tout compris mieux que tout le monde. Comme si, au fond, le jeu vidéo « classique » était une matière si indigne qu’il faille s’inscrire à toute force à rebours de son Histoire. Après tout, pourquoi pas, mais encore faut-il avoir quelque chose de neuf à raconter. Dommage que Genesis Noir, sous ses jolis atours, ait complètement oublié ce petit détail.
Save the Girl, Big the Bang
Dans une ambiance de film noir, un malheureux individu sans nom survit dans une ville aux néons arrosés d’une pluie sans fin en vendant des horloges sous le manteau. Pris dans un triangle amoureux tragique avec une chanteuse de jazz et son saxophoniste démoniaque, notre héros va interrompre une cruelle scène de meurtre… Et plonger dans le Temps et l’Espace pour tenter de sauver sa belle. Direction les origines du cosmos, avec l’objectif de réécrire les fondements même de la réalité pour la réécrire avec une fin heureuse. Rien de moins qu’une aventure étirée sur l’ensemble du continuum espace-temps.
Difficile de décrire le reste par l’article : il n’y a pas à proprement parler de scénario dans Genesis Noir, le propos étant davantage un prétexte à nous faire voyager pendant quatre heures dans un ensemble de tableaux mélangeant tour à tour l’esthétique du jazz classique et des considérations parfois assez poussées sur l’origine du cosmos, de la vie, de la civilisation, des sentiments, bref, du Grand Tout. Le protagoniste poursuit ainsi son adversaire dans des univers oscillant entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, le tout étant chapitré par les (rares) textes d’un jeu quasiment muet : autant de petites leçons, par ailleurs assez précises, compréhensibles et fouillées, sur la nature de l’Univers et de son origine. Pour le coup, on est quelques crans au-dessus des délires approximatifs des Frères Bogdanoff : Genesis Noir a véritablement un propos intéressant sur la place des Humains dans l’Univers, et repose sur une matière scientifique plutôt solide qui donne vraiment envie d’en savoir beaucoup plus sur ce qui constitue l’espace, le temps et la matière qui constitue notre réalité.
On regrettera quand même qu’une fois l’émerveillement retombé, on débarque sur un dernier tiers du jeu qui tient presque de l’accident de parcours, puisque Genesis Noir abandonne progressivement son propos pour se placer vers une conclusion au ras des pâquerettes, qui se traduit d’ailleurs par un changement de direction artistique : adieu le Néo Noir jazzy, bonjour le nawak New Age et la grande farandole de l’Humanité cosmique dont on se serait bien passé. Il est rare que je dise d’un jeu aussi court qu’il est trop long, mais Genesis Noir aurait tout à fait pu se tenir parfaitement en une heure de moins et se dispenser de ces errements mystiques qui n’apportent pas grand-chose à la cosmogonie fascinante des premières heures. Et c’est un peu symptomatique de mon problème de fond avec ce jeu : il veut en faire et en dire beaucoup, mais il en oublie l’essentiel, à savoir être un jeu agréable à parcourir.
Un gameplay d’une banalité cosmique
Pour l’essentiel, Genesis Noir est graphiquement superbe : on sent tout le soin que Feral Cat Den a mis dans les animations, les transitions, les cadrages, le jeu sur les ombres, le hors-champ… La bande-son est au cordeau, et, à vrai dire, je serais étonné de me reprendre une telle claque graphique de la part d’un jeu indé en 2021 (si on oublie les derniers tableaux du jeu mentionnés plus haut). Le problème c’est que Genesis Noir, dans sa volonté de bousculer des fondations qui n’en ont à mon sens pas spécialement besoin, oublie un peu son format : c’est un point and click, et pas « juste » un simulateur de balade cosmique.
Il y a beaucoup de sortes de jeux vidéo, du plus ludique au moins interactif. Que Genesis Noir soit parmi les jeux d’aventure les plus génériques qu’il m’ait été donné de voir, en soi, ce n’est pas nécessairement un problème. Concrètement, le gameplay consiste pour une bonne partie à cliquer sur des trucs, à faire correspondre des couleurs, et à résoudre des énigmes à base de labyrinthes à résoudre ou de points à relier. Et vous allez le faire beaucoup. Souvent. En boucle. Le rythme de l’aventure est ainsi complètement haché par des phases de puzzles minimalistes d’une banalité consternante, comme si les auteurs ne s’étaient pas beaucoup soucié de l’aspect ludique de leur jeu. Pire encore pour un jeu d’une telle précision esthétique, les commandes (faire bouger le personnage, faire tourner la caméra) semblent un peu balourdes, tant au clavier qu’à la manette, rendant par moment l’expérience carrément désagréable. Et c’est là où le bât blesse : Genesis Noir veut révolutionner le média, mais aurait pu avoir la modestie de reconnaître qu’il n’en est absolument rien.
À vrai dire, j’ai eu l’impression que les auteurs de Genesis Noir étaient si obsédés par l’idée de faire un jeu révolutionnaire et par montrer que le jeu vidéo pouvait être « différent » qu’ils ont livré une copie un peu prétentieuse, qui n’a que de la gueule, et que sous le vernis il y a surtout une belle couche de fatras vu et revu. Le problème, c’est que ce qui aurait pu passer pour une innovation formelle il y a deux générations de machine arrive après une quinzaine d’années où le jeu vidéo n’a plus grand-chose à prouver en termes de pure performance artistique, et où chaque année voit naître des dizaines de petites prouesses formelles ou conceptuelles. Genesis Noir semble vouloir révolutionner ce qui l’a déjà été depuis longtemps. Que de la gueule, donc. Mais, il faut le reconnaître, une jolie gueule, dont j’ai eu envie de faire de chaque screenshot mon nouveau fond d’écran.
Genesis Noir a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur Mac, Xbox One et Nintendo Switch.
Genesis Noir fait le malin. Le titre de Feral Cat Den essaye à longueur de tableaux de nous prouver à quel point il est plus futé que la moyenne des jeux d’aventure. Le souci, c’est que d’une part, il n’en est rien (c’est un jeu d’aventure tout ce qu’il y a de plus classique), et que d’autre part il se paye le luxe de complètement rater le dernier tiers de sa courte aventure. Néanmoins, on lui pardonne presque tout ça tant il livre pendant quatre heures un spectacle visuel et sonore absolument sublime, qui aurait peut-être fait un meilleur film d’animation qu’un jeu d’aventure.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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