Antoine Latour est quelqu’un d’agaçant. Il a publié un webcomic (achevé en 2019), développé deux chouettes jeux mobiles (Bomb Club et Maestria) et vient à présent d’adapter l’un d’entre eux en jeu PC, agrémenté de graphismes retravaillés, de niveaux supplémentaires et de nouveaux dialogues. Vous n’êtes pas encore suffisamment agacé·es ? Il a développé le jeu en solo, des graphismes aux animations, en passant par la BO et l’écriture. Et en plus il est drôle. Un peu comme Pins, qui en plus de faire des strips très drôles, s’est permis de développer un très sympathique point&click de A à Z, un peu comme Lena Raine, qui ne se contente pas d’être une incroyable compositrice et développe des jeux à côté. Il s’agirait d’en laisser pour les autres, vous pensez à ceux dont le seul talent est de barbouiller des cochonneries sous MS Paint ? C’est bien ce qui me semblait.
Mais trêve de jalousie mal placée : Bomb Club Deluxe, vous l’aurez compris, est la version PC et améliorée de Bomb Club, un jeu de puzzle sorti l’année dernière sur Android et iOS et aux retours franchement positifs. Pour l’occasion, le titre est édité par le tout petit studio Lozange Lab (Rip Them Off), détail qui a achevé d’attiser ma curiosité, les jeux du studio messin étant plutôt ma came. Car Bomb Club Deluxe, comme Rip Them Off, comme tant d’autres chroniqués ou non sur ce site, s’inscrit dans un courant de puzzle game indé minimaliste globalement assez discret, mais étonnamment constant dans sa qualité, son renouvellement et son nombre de représentants par saison.
Le club des puzzles de luxe
Je l’aime bien, cette famille de petits puzzle games qui ne payent pas de mine, je l’aime bien pour tout un tas de raisons, mais je l’aime surtout car, au lieu de me donner envie de mettre ses membres en compétition, comme j’aurais tendance à le faire pour les Souls-like ou certaines branches du roguelite, elle m’incite surtout à recommander tous les autres. Les gimmicks sont suffisamment différents, les logiques, les gameplays même sont suffisamment variés pour qu’à la fois tout le monde entre dans le même genre, suive des philosophies de conception similaires et que personne ne se ressemble. Chez Draknek, par exemple, on va souvent pousser des trucs, comme des boules de neige ou des troncs d’arbres, mais ce n’est pas la même chose que de pousser des trucs dans Baba is You, ce qui n’est pas non plus la même démarche que de pousser encore d’autres trucs dans Dungeon & Puzzles, ou dans Bonfire Peaks. C’est là toute la beauté d’un genre qui sait et peut proposer une infinité de concepts particulièrement malins et tordus, tout en déclinant une formule pré-existante, comme celle du Sokoban, pour reprendre les exemples précédents.
Pas de caisses à pousser ou tirer dans Bomb Club Deluxe, pas plus que de déplacements à effectuer : ici, on fait péter des bombes. Et comme tous les petits membres de sa famille, son concept est terriblement simple. Chaque niveau contient des bombes, certaines sont déjà placées, d’autres se trouvent dans notre inventaire et devront être disposées sur le plateau et seule une règle est immuable et influencera toutes nos parties : toutes les bombes doivent exploser en une seule chaîne, c’est à dire qu’une fois tous les explosifs placés sur la carte, tout doit péter en un coup, en démarrant au bon endroit. C’est le moment de sortir mon poncif préféré sur les puzzle games : la tâche est plus compliquée qu’elle n’en a l’air. Évidemment, qu’elle est plus compliquée, on est là pour ça.
Le concept et le gameplay se comprennent ainsi en quelques secondes, et si certains niveaux varient légèrement leurs objectifs et règles (enchaîner un maximum de tableaux avant la fin d’un chrono, faire exploser un maximum de bombes colorées, remodeler la carte…), la base reste très stable, le gameplay constant et les niveaux d’une taille raisonnable. Mais bien sûr, il y a un twist diabolique. Dans tous ces puzzle games, le minimalisme du concept et du gameplay est systématiquement contrebalancé par une variété d’exploitation des mécaniques ou du level design. Dans A Monster’s Expedition, c’était dans les différences d’utilisation des troncs d’arbres et dans l’architecture retorse des ilots ; dans Baba is You c’était dans la multiplication des blocs et du nombre de mots, mais surtout dans la complexité grandissante de leurs concepts ; dans Bomb Club Deluxe, c’est évidemment la variété des types de bombes, mais surtout les synergies et combinaisons de leurs effets.
Pourquoi faire simple quand on peut faire (très) compliqué
Le titre laisse prendre doucement ses marques, peut-être même un peu trop doucement. C’est un des rares reproches que j’aurais à faire à Bomb Club Deluxe : son premier tiers se parcourt presque trop facilement, et si les puzzles restent agréables et l’enrobage assez drôle – on y reviendra -, on finit tout de même au bout d’une cinquantaine de niveaux par se demander si la difficulté va décoller un jour. Oh que oui, elle décolle. Elle décolle d’ailleurs de manière assez brutale, puisque je suis quasiment passé de sessions où j’enchainais les médailles d’or toutes les deux-trois minutes à d’humiliantes séquences de fixation d’écran sans savoir que faire ni où cliquer. On remerciera la structure non-linéaire qui permet tout de même de progresser, et la possibilité de passer au niveau suivant sans avoir accompli tous les objectifs. En cela, Bomb Club Deluxe suit la mouvance de ses aînés et réussit à allier difficulté élevée et frustration minimale.
Mais cette courbe de progression pour le moins raide trouve sa justification dans la base même de sa difficulté, puisque cette dernière est majoritairement basée sur les combinaisons d’effets. Prise indépendamment, chaque bombe possède un effet extrêmement simple – et systématiquement expliqué de manière limpide dans un niveau tutoriel. Celle-ci fera exploser tout ce qui se trouve dans un périmètre de huit cases, celle-ci mettra le feu à toute la carte, quand une autre déploiera des lasers de manière verticale ou horizontale : tout est d’une simplicité et d’une clarté absolue. Sauf que certaines bombes provoqueront un game over si elles explosent, que certaines endormiront leurs voisines, que certaines pourront se déplacer et que le tout se complexifie encore davantage avec un très malin système de chapeaux, ajoutant des effets par dessus ceux des bombes. Le Nitronomicon – ouvrage listant et décrivant tous les types de bombes et de chapeaux – compte 39 entrées et croyez-moi, si le nombre n’impressionne pas spécialement au premier abord, on finit submergé par les effets et leurs multiples possibilités de combinaisons bien avant d’avoir atteint ce compte.
Chapeau l’artiste
Et puisque l’on parle du Nitronomicon, profitons-en pour noter que Bomb Club Deluxe se permet la petite fantaisie d’un scénario – certes très basique et prétexte à faire sauter des bombes -, mais surtout de personnages et de dialogues très sympathiques et souvent drôles. Ce n’est pas tellement un terrain sur lequel je l’attendais, le puzzle game minimaliste étant bien plus souvent un genre de mécanique que de narration. Sans tomber dans les cas les plus extrêmes d’un Cosmic Express, d’un Baba is You ou d’un A Good Snowman is Hard to Build qui n’ont aucune histoire à raconter, la narration du genre reste souvent assez effacée – A Monster’s Expedition faisait passer ses messages via de petites pancartes optionnelles sur les différents ilots -, voire complètement cachées dans le gameplay. C’était le cas de Bonfire Peaks, qui parle de faire le point sur sa vie, ses souvenirs, ses bagages et « tourner la page », en brûlant littéralement les objets qui nous servent à progresser, celui de Rip Them Off et son commentaire cynique sur la société de consommation, ou de Mini Metro et Mini Motorways et leur constat pessimiste sur les politiques d’infrastructures routières.
Au milieu de tous ces titres, Bomb Club Deluxe détonne – et détone – agréablement, avec ses blagues, ses jeux de mots, ses tartines de dialogues, ses personnages développés, ses descriptions dans le Nitronomicon, bref, un monde certes absurde et sans grands enjeux, mais un monde bien plus vivant et développé que ce à quoi je m’attendais. Un aspect logique quand on se rappelle qu’Antoine Latour est également auteur de webcomic – et qui explique également le soin apporté au chara design des personnages et des bombes -, mais que je ne pensais pas spécialement retrouver dans un petit puzzle game, et qui ajoute une surcouche drôle, agréable – et surtout optionnelle, personne n’est obligé de suivre tout ça – particulièrement bienvenue.
Bomb Club Deluxe a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Bomb Club, quant à lui, est disponible sur mobile.
Comme tous ses compères, Bomb Club Deluxe ne paye pas de mine, mais s’avère incroyablement malin et retors. La variété de bombes et de chapeaux permet un renouvellement constant des situations (ainsi qu’une grosse augmentation de la difficulté) et garantit un bon paquet d’heures de réflexion pour qui voudra décrocher les médailles d’or de tous les niveaux. On aurait peut-être aimé une courbe de progression un poil moins raide, mais l’humour du titre, sa structure non-linéaire et l’intelligence de ses puzzles font passer la pilule en un rien de temps.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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