Six ans après le succès de Mini Metro, qui vous proposait, comme son nom l’indique, de gérer des lignes de métro via des cartes minimalistes, le petit studio Dinosaur Polo Club est de retour. Leur proposition ? Mini Motorways, qui, je vous le donne en mille, propose strictement la même chose, avec des routes.
Il y a, je trouve, quelque chose d’étrange à proposer un simulateur de création d’embouteillages en plein chaos climatique largement dû aux énergies fossiles et à l’incapacité chronique des dirigeants des pays du monde à proposer des modèles alternatifs à la toute-puissance de la bagnole individuelle. Cependant, si Mini Metro était sous-titré « Construisez un meilleur métro », Mini Motorways n’est pas sous-titré du tout. Et bien que je ne sache pas si c’était bien là l’intention des développeurs, le jeu, brillant, met assez rapidement en évidence le fait que toute proposition de solution à l’engorgement des routes passant par la construction de nouvelles routes est voué à l’apocalypse à plus ou moins court terme.
Tout pour mettre Paris embouteille
Le minimalisme extrême de Mini Metro a été conservé : Mini Motorways propose un ensemble de cartes d’agglomérations (existantes) et vous demande, de manière extrêmement simple et instinctive, de relier des maisons de couleurs variées apparaissant au fil des jours à des destinations de la même couleur. Ces destinations exprimant des besoins croissants en termes de visiteurs au fil du temps, il faut envoyer de plus en plus de voitures chaque semaine à chaque destination, et de plus en plus vite. Quand une route relie une maison à sa destination, son trajet est automatique. C’est diablement instinctif et, dieu merci, il y a un mode daltonien qui facilite la vie des personnes concernées, dont votre serviteur.
Et au début, tout est simple : les maisons bleues cherchent à se rendre au bâtiment bleu, relié par une unique route. Tout se complique quand des maisons rouges, vertes ou jaunes apparaissent en travers du chemin, et vous forcent à opérer des croisements. Quand trop de voitures se croisent, le trafic ralentit. Les besoins des bâtiments, eux, demeurent. Par chance, à chaque fin de semaine, le jeu vous donne des moyens de fluidifier la circulation : ponts et tunnels pour créer des raccourcis, feux rouges pour gérer les grands axes, ronds-points pour diminuer les croisements, autoroutes parce que c’est pratique, ça va vite, ça brasse beaucoup de véhicules, et c’est toujours une bonne idée de mettre une énorme autoroute en plein milieu d’une mégalopole et absolument jamais le signe que vous êtes au bord d’un chaos irréversible, n’est-ce pas ?
L’objectif de chaque map est simple : tenir le plus longtemps possible et transporter un maximum de voyageurs à destination avant l’écroulement total du système, le moment où certains bâtiments sont mécaniquement coupés de leur clientèle potentielle trop longtemps, signe que vos aménagements urbains ont atteint un maximum de chaos. La mécanique est d’une efficacité redoutable, et le petit nombre de cartes proposées (11 à ce jour) est à relativiser vu la rejouabilité importante de chaque carte ainsi que la présence de défis quotidiens et hebdomadaires implantés par les développeurs pour redécouvrir le jeu avec des contraintes variées. Le tout est servi par une direction artistique sublime et une musique dynamique de Disasterpiece, autant dire une réussite sur toute la ligne. Mais au-delà de sa performance, c’est ce que Mini Motorways dit de la nature du trafic routier qui a pleinement retenu mon attention.
« One More Lane Will Fix It »
Le tweet ci-dessus, qui a fait plusieurs fois le tour de la planète, illustre un problème bien connu en urbanisme, et ce depuis la fin des années 1960 : dans une agglomération congestionnée, ajouter davantage de routes a tendance à ne jamais régler le problème. À l’inverse, réduire le nombre de routes ou la taille de ces dernières peut ne pas avoir d’effet particulièrement négatif sur la quantité d’embouteillages observés.
Les raisons sont multiples : le Paradoxe de Braess d’abord, qui peut conduire les automobilistes à sous-estimer le trajet optimal ; la concurrence directe faite par les routes aux autres modes de transport, parfois au détriment du nombre total de personnes transportées d’un point A à un point B (plus une route est large, moins elle est multi-modale) ; la demande induite, enfin : plus vous créez de routes, plus vous créez d’automobilistes. Et il va sans dire que ces automobilistes ne programment pas leur trajet en fonction de ce qui est optimal (ne pas conduire quand c’est embouteillé, n’aller que dans le bâtiment le plus proche), mais en fonction de ce qui correspond à leur besoin ou leur contrainte : parfois éloigné, parfois à des heures de fort embouteillage. C’est ce qui a en partie causé l’écroulement urbain du South Bronx à New York dans les années 1970 : une immense autoroute urbaine supposée fluidifier la circulation de la ville a purement et simplement privé tout un quartier (déjà pauvre) d’accès rapide et simple au reste de la ville, à ses emplois et à ses infrastructures.
C’est exactement le problème posé par chaque partie de Mini Motorways : tout est très simple quand on a que des groupes de maisons bleues ou rouges, chacun relié à un bâtiment de la même couleur à proximité. Mais rapidement, vous en viendrez à devoir gérer un bâtiment blanc réclamant des clients habitant à l’autre bout de la ville ou, à l’inverse, un groupe de maisons isolées qui surgit derrière une montagne et un lac, nécessitant de dépenser de précieuses ressources et probablement de commettre des horreurs architecturales pour qu’elles soient reliées maladroitement et en urgence au réseau.
Mini Motorways offre souvent plusieurs solutions à un même problème, mais tout est fait pour que chaque solution génère un nouveau problème : un axe majeur pourra être ralenti par la pause d’un feu rouge, ce dernier isolant mécaniquement d’autres maisons qui ne peuvent y accéder qu’à un rythme plus lent ; une autoroute urbaine raccourcit dramatiquement les trajets de ceux qui l’empruntent, tout en bouffant une place folle et en générant de la congestion à ses abords ; les ronds-points, solution miracle des débuts de partie, deviennent une atroce perte de place et rallongent les temps de trajet en fin de partie, quand les bâtiments « réclament » quasiment une automobile à la seconde. Bref, quoi que vous fassiez, tout s’écroule. C’est un jeu de scoring, c’est fait pour. Mais il est intéressant de noter que « dans la vraie vie », c’est exactement ce qui se produit dans toutes les agglomérations majeures ayant conçu leur politique de transport au fil de l’eau, avec l’augmentation du nombre de voies de circulation en axe principal de résolution des problèmes d’embouteillages. C’est aussi la seule limite de Mini Motorways : c’est un jeu qui parle du problème davantage que de la solution.
(Pas) Metro, Boulot, Dodo
Mini Metro proposait le même problème que Mini Motorways, mais avec un paramètre en moins : on y gérait la circulation d’un mode de transport en commun, sans trop savoir ce qui poussait les gens à aller de telle à telle station. Mini Monorways est au-dessus du sol, et représente la circulation de toute une ville, mais une ville hypothétique qui n’aurait au fond aucune autre forme de déplacement urbain possible que l’automobile.
Mini Motorways présente ainsi une ville sans piétons, sans autobus, sans tramways, sans métros : votre seule marge de manœuvre en tant que joueur est une course à l’optimisation des trajets de maisons individuelles vers des centres en demande croissante de visiteurs. Or, si la ville de Paris est régulièrement embouteillée, elle l’est désormais largement moins qu’elle ne l’a été dans les décennies précédentes. Paradoxe : le nombre de voies ouvertes aux voitures a décru depuis les Trente Glorieuses, alors que le nombre d’automobiles en circulation a augmenté, ce qui aurait dû mener à une explosion du trafic. Il n’en a rien été : la ville est toujours embouteillée, mais pas (ou à peine plus) qu’il y a 40 ans. La raison, observée dans de nombreuses autres régions, est simple : une population comportant à la fois plus de jeunes actifs (moins enclins à posséder une automobile individuelle) et plus de retraités (qui se déplacent moins). Le tout couplé à un développement des transports en commun, un retour des commerces et des emplois de proximité, et d’autres pratiques émergentes (vélos, véhicules de location…) en tant que mode de déplacement par défaut.
À rebours de cette évolution, Mini Motorways ne propose donc que des problèmes abstraits ne se confrontant pas vraiment à la difficulté majeure de l’articulation des modes de transport entre eux. Les auteurs néo-zélandais du jeu le disent eux-mêmes : leur truc, c’est plutôt les trains. Et Mini Motorways était pour eux une manière d’explorer de manière théorique la façon dont les problématiques géographiques et les contraintes de tel ou tel site se posaient, davantage que de proposer une véritable expérience de planification urbaine tenant compte des véritables paramètres observables dans les agglomérations ici figurées. En cela, leur jeu ne déborde jamais de son cadre et on pourrait le regretter, mais c’est tout de même un bien joli cadre.
Mini Motorways a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Vous voulez un excellent jeu de gestion minimaliste, avec une D.A formidable et une musique envoûtante, qui vous poussera à vous creuser la tête pour trouver la manière idéale d’agencer les avenues de Moscou ou de Manille ? Allez-y, Mini Motorways est fait pour vous. Vous cherchez plutôt une réflexion poussée sur la nature des transports au XXIè siècle ? Alors il est peut-être un peu léger. Mais il a le mérite de montrer, volontairement ou non, qu’une ville laissée aux seuls bons soins de la voiture et d’urbanistes en panique est vouée à finir empêtrée dans un embouteillage apocalyptique permanent. Cependant, personne n’en doutait.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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