Vous le constaterez très très vite : mon mois de janvier est plutôt bouché question réception de jeux – et donc de critiques à rendre – , au point qu’il m’aura fallu céder certaines de mes demandes – qui me tenaient pourtant à cœur – pour réussir à tout boucler à temps. C’est au milieu de ce foutoir qu’est arrivé Dungeon & Puzzles, que j’ai accepté presque avec amertume : en période calme, je m’y serais lancé sans tellement d’a priori, mais au milieu de la cacophonie ambiante, j’ai juste eu l’impression de m’ajouter encore une charge de travail sur une pile qui n’en avait vraiment pas besoin, tout ça pour un titre à l’apparence bien générique. Titre générique, esthétique générique, arsenal générique, musique générique : les 5/6 premiers niveaux m’ont un peu donné l’impression de m’être lancé dans le Mindseize du jeu de puzzle. Grossière, très grossière erreur.
Si la quasi-totalité de l’enveloppe de Dungeon & Puzzles ne paye effectivement pas de mine – une partie du pixel art provient d’un pack vendu par l’artiste Pixeltier, quand sa B.O. d’une seule piste semble sortie d’une banque de sons libres de droits – et ne donne que peu envie de s’y pencher, c’est car son unique – mais loin d’être négligeable – attrait vient de son gameplay. Le titre du Taïwanais HuMoFish est ainsi un pur jeu de mécaniques, misant tout sur la solidité de sa proposition et l’intelligence de son level design – rien de moins que 150 niveaux conçus à la main. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le pari est largement gagné, car sous ses airs de puzzle game lambda se cachent une mécanique vraiment bien huilée, un système de récompenses particulièrement gratifiant et une variété surprenante au vu du faible nombre de règles.
Le plein de Sokoban – ou Sokobatine
Un jeu de mécaniques, donc, mécaniques provenant peu ou prou du vénérable Sokoban, ce fameux jeu où l’on pousse des caisses dans un ordre précis pour les placer au bon endroit. Si plus tant de monde aujourd’hui n’a touché au titre d’origine de 1982, il est fort probable que dans votre vie de joueur ou joueuse, vous ayez approché cette formule ou une de ses variantes, tant elle a été réutilisée dans le paysage vidéoludique, que ce soit en mini-jeu ou dans des versions plus ou moins officielles sur mobile et navigateur – j’ai souvenir d’avoir testé un portage du premier jeu vers mes dix ans parmi les programmes préinstallés sur je ne sais quelle distribution de Linux et d’avoir abandonné au bout de 5 minutes sans y avoir compris grand-chose. Le genre fait en effet partie de la catégorie « puzzles vénères », à cause de la quantité de possibilités de mouvements possibles dans chaque tableau : les premiers coups déterminent toute la suite de la résolution et pousser une caisse vers le haut ou vers la gauche au début aura un impact bien plus important qu’on ne pourrait le penser.
Et histoire de compliquer un peu un gameplay certes basique, mais aux possibilités déjà bien retorses, un certain nombre de variantes se sont empilées, de la possibilité de tirer des caisses en plus de les pousser, à l’ajout de plusieurs personnages. Mais la réinvention du genre ne s’arrête pas à l’ajout de règles çà et là, et ces dernières années ont vu l’émergence de nouveaux puzzle games, utilisant une base de Sokoban pour la tordre et en faire de tous nouveaux concepts. C’est le cas des excellents A Good Snowman Is Hard To Build et A Monster’s Expedition du studio Draknek, qui retournent les règles du genre pour respectivement construire des bonhommes de neige – avec toute une mécanique de boules de neiges grandissantes quand on les pousse – et construire des pontons à l’aide de troncs d’arbres aux propriétés multiples ; mais aussi du méta Baba is You, dont les blocs poussés changent les règles au fil des tableaux. C’est au milieu de cet héritage bien rempli que se pointe Dungeon & Puzzles, et, à moins d’une surprise dans les mois à venir, se pose comme Sokoban-like de l’année aux côtés de ses grands frères.
Le twist de Dungeon & Puzzles réside ainsi dans plusieurs mécaniques. Contrairement à la plupart des Sokoban impliquant de pousser des trucs pour les mettre à la bonne place, les tableaux ici nécessitent de tuer tous les monstres présents, afin d’ouvrir la porte et s’enfuir du niveau. Par dessus cette règle s’ajoute la mécanique que je décrirai comme « les niveaux de la glace dans Pokémon », à savoir que notre personnage avance toujours en ligne droite, jusqu’à atteindre un obstacle. Ce n’est pas assez compliqué ? Le jeu ajoute au fur et à mesure un arsenal aux caractéristiques diverses : l’épée permet de buter un monstre sur une case adjacente, l’arc de faire la même chose à distance – mais qui implique d’aller chercher ses flèches – , ainsi que les gants et bouclier qui donnent la possibilité de tirer et pousser les ennemis et le mobilier. C’est encore léger ? Chaque niveau est censé s’achever en un nombre d’actions limité, et si terminer un tableau est généralement aisé, respecter cette contrainte devient très très vite ardu.
Porte, monstre, tréso… non attends, retourne en arrière
Sur le papier, cette liste de règles est aussi simple que classique, mais c’est dans le level design et la structure même du jeu que les puzzles deviennent diaboliques et terriblement inventifs. Le bouclier pourra servir à se protéger de pics, ou au contraire balancer les ennemis dedans, l’arc pourra buter les monstres ou permettre de se placer, et, combinés, les gants, le bouclier et/ou l’arc pourront donner de sacrées synergies que je m’en voudrais de spoiler, et dont l’expérimentation est largement encouragée par la contrainte du nombre d’actions. Les niveaux sont regroupés en blocs, régis généralement par les mêmes logiques, combinaisons d’armes et agencements de tableaux, avant de tout jeter et partir sur de toutes autres façons d’appréhender ses mécaniques, à la façon d’un A Monster’s Expedition qui regroupait ses puzzles par paquets d’îlots.
Bien que particulièrement retors dans ses énigmes – et ce très rapidement, j’ai commencé à sévèrement galérer dès le niveau 22 sur 150 – Dungeon & Puzzles réussit à éviter la frustration en débloquant les niveaux par paquets et non les uns après les autres, permettant d’aller s’aérer la tête sur d’autres puzzles, et en enchaînant des tableaux horriblement complexes avec d’autres beaucoup plus simples, aérant agréablement la progression. On regrettera seulement la dernière ligne droite des 20 derniers niveaux, qui deviennent un enfer de meubles à bouger et de nombre d’actions qui explose, passant d’une petite vingtaine à plus de 80, rendant l’optimisation des mouvements vraiment trop rude, et surtout faisant preuve d’une grosse baisse de régime dans l’inventivité et la réinvention, pour tomber sur une complexification par la quantité et non le changement de paradigme.
Vu le nombre de tableaux disponibles – et qui reste très impressionnant étant donné qu’ils sont le fruit du travail d’un seul concepteur – , réduire leur quantité d’une petite vingtaine aurait été, je pense, salvateur pour un jeu qui jusqu’au niveau 125 était globalement exempt de reproches. Reste qu’outre ce petit faux pas de fin de parcours, Dungeon & Puzzles mérite sa place dans le panthéon des sokobans, grâce à cette sensation si satisfaisante de se sentir tellement malin en atteignant le nombre d’actions d’un niveau qu’il procure – voire en faisant moins. Sensation évidemment factice, puisque la personne réellement maline dans l’histoire, c’est le développeur, mais décuplée par ces replays enregistrés à la fin de chaque niveau, permettant de contempler à l’envi ses succès passés – et à qui il ne manque que la possibilité d’être exportés en gif, pour bien se la péter.
Dungeon & Puzzles a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Dungeon & Puzzles est tout ce qu’on attend d’un puzzle game efficace : sa simplicité apparente cache un système parfaitement huilé, à la quantité de possibilités affolante et à la logique diabolique, pour un minimum de frustration et une mécanique de replay qui se pose comme la meilleure récompense possible pour un tel jeu. Malgré un nombre de niveaux un peu trop élevé pour son propre bien – le tunnel final m’aura laissé un goût un peu amer dans la bouche – , le titre de HuMoFish est d’ores et déjà un nouveau classique du Sokoban-like.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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