Je me demandais pourquoi, après avoir vraiment atteint le fond du panier et enchaîné les échecs critiques et commerciaux, la série de RPG Atelier avait pu avec Atelier Ryza: Ever Darkness & the Secret Hideout revenir aussi vite et aussi fort en grâce au Japon. Cet épisode a accumulé en quelques semaines plus de ventes que les trois précédents épisodes réunis. Bien sûr, la présence d’un nouveau dessinateur, très connu pour une approche légèrement glaireuse du chara design des personnages féminins devait y être pour quelque chose. Mais pour expliquer de tels scores, il fallait un bon jeu derrière.
J’étais ressorti absolument lessivé des aventures horripilantes d’Atelier Lulua, plutôt charmé d’un Atelier Nelke néanmoins ultra marginal, et semi-convaincu par un Atelier Lydie à bout de souffle. Étant l’un des rares fans de la franchise sur le territoire hexagonal, j’attendais avec un mélange d’impatience et de batte de base-ball cet Atelier Ryza, parce que le coup du « non, mais cette fois-ci c’est vraiment bien et on a vraiment changé la formule », on nous l’a déjà fait dans le milieu du JRPG alchimique. Et c’était souvent pour empiler un tas de trucs sans en rendre aucun super convaincant, même avec toute la bonne volonté du monde. Et ô miracle, Atelier Ryza est une divine surprise et une vraie autocritique des équipes de Gust sur les impasses des épisodes passés. Un quasi retour aux origines de la formule qui insuffle ce qui manquait depuis de nombreux épisodes : une aventure qui donne envie d’être vécue, bien qu’elle ne manque pas de quelques horripilants petits défauts.
Dans mon île
La dernière fois qu’un jeu de la série Atelier a essayé de raconter autre chose que « une gamine hérite d’un magasin d’alchimie dans un village et doit faire des quêtes Fedex », je pense que François Hollande avait à peine commencé son quinquennat. Si des variations plus ou moins importantes ont pu se greffer à la formule (on pense par exemple à Atelier Firis), la série s’est encroûtée dans un systématisme désolant. Une nouvelle trilogie, un nouveau chara designer, un premier épisode un peu brouillon, puis deux autres dans le même univers apportant de légères variations, et une nouvelle gamine avec un chapeau rigolo qui doit ramasser des glands pour faire plaisir à son père, au maire de la ville ou à la Chambre de Commerce locale. Dans les épisodes de ces cinq dernières années, la formule avait de plus tendance à être plombée par des systèmes de création d’objets assez obscurs, des PNJ extrêmement insignifiants, et des cartes à explorer de plus en plus petites qui réduisaient l’aspect RPG du jeu à une portion toujours plus congrue, jusqu’à atteindre les extrêmes d’Atelier Nelke où l’exploration se réduisait à des combats en autopilote le long de sentiers rectilignes.
Si les deux ou trois premières heures d’Atelier Ryza, sans être déplaisantes, laissent penser qu’on va retomber encore une fois dans la même soupe, à créer des potions à la noix pour des habitants ennuyeux cloîtrés dans un hub minuscule, le titre de Gust dévoile très vite un jeu comportant beaucoup plus de cartes. La trame scénaristique d’Atelier Ryza est ainsi infiniment plus solide que ce qui a été proposé lors des précédents épisodes. On est loin du Pulitzer, bien sûr, mais que c’est agréable à suivre !
Il est cette fois-ci question d’une île de pêcheurs perdue et paisible, dépendant d’une unique route de commerce traversant un pays couvert de forêts et de ruines. La jeune Ryza passe l’essentiel de ses journées à sécher les travaux des champs pour partir s’amuser avec ses deux meilleurs amis et à se chamailler avec les deux brutes du village. La tranquillité de l’île sera bientôt perturbée par l’arrivée de deux étrangers aux manières et aux tenues étranges apportant dans leur sillage une science inconnue en ces terres reculées, l’Alchimie. Le début de l’aventure met en scène une Ryza désireuse d’apprendre cette science et de se créer un atelier secret dans la forêt pour tromper son ennui, ce qui m’avait fait craindre une aventure pénible à tourner en rond pour dénicher des recettes de gâteaux comme dans tant d’autres jeux de la série.
Mais petit à petit, le scénario se dévoile, et s’avère une fois la longue phase de tutoriel passée particulièrement accrocheur. Ryza et un casting resserré mais efficace de cinq compagnons vont ainsi se retrouver au cœur de la tourmente, à mesure que des événements de plus en plus inquiétants se multiplient sur l’île et sur le continent voisin. Si les thématiques brassées par le jeu ne sont pas d’une originalité incroyable, la maîtrise d’écriture est globalement supérieure à ce que Gust a l’habitude de produire. Peur de l’étranger, fierté mal placée, croyance absurde dans le progrès ou dans des traditions désuètes, concentration des pouvoirs politiques et économiques : Atelier Ryza parvient à parler de bien davantage de choses que de la gestion d’une petite boutique de magie. Avec un système d’expérience des personnages largement imbriqué dans celui de la résolution des quêtes annexes, lui-même condition sine qua non à l’obtention de nouvelles recettes alchimiques, on a l’impression de toujours contribuer à faire quelque chose, même si cela se fait au prix d’un nombre de PNJ très faible et d’une mise en scène un poil minimaliste : oubliez le monde vivant et grouillant d’un The Witcher 3.
On regrettera tout de même une aventure au rythme un peu inégal. Certes, il y a des phases très intenses de rebondissements et d’émotion, puisque le jeu aborde assez brutalement ce truc très japonais de se forger rapidement des souvenirs intenses à l’adolescence parce que la vie d’adulte c’est de la merde. Mais y succèdent parfois de laborieux moments d’exploration qui peuvent frustrer par leur linéarité. Les différents minis open-worlds du jeu où se déroulent les aventures de Ryza se déploient petit à petit et se rendent de plus en plus accessibles à mesure que l’on progresse en alchimie, par exemple en créant des bombes pour déblayer un chemin : c’est en soi une excellente idée que la série avait un peu perdue. Mais le rythme de l’intrigue n’est pas exactement calé sur celui des explorations, ce qui peut conduire le joueur à tourner en rond pour pas grand-chose, se retrouver brutalement confronté à un mur de difficulté, puis passer cinq heures à rouler sur le jeu. Bref, niveau rythme et équilibrage, on y est pas encore tout à fait.
Prends-moi par la main
Cette histoire sympathique est soutenue par un système de jeu qui a été repensé presque depuis le départ, sacrifiant les élucubrations des derniers épisodes sur quelque chose de bien plus directif et de bien plus lisible, sans perdre en subtilité. Le nombre de variables et de paramètres proposés par Atelier Ryza semble déroutant dans un premier temps, mais prend le joueur par la main avec des précautions presque infinies pour ne jamais le perdre (voir encadré ci-dessous), et les quelques subtilités vraiment tordues du jeu sont globalement facultatives.
Atelier Ryza And the Everlasting Tutoriels Interminables
Il est rare que j’arrive à complètement platiner un JRPG avant de rendre un article. Mais en principe, j’arrive à avoir une vision à peu près claire des 40 ou 50 premières heures pour les titres les plus longs. Atelier Ryza est PARTICULIÈREMENT LONG À SE RÉVÉLER EN ENTIER, et révèle de nouvelles mécaniques de jeu jusqu’à la trentième heure environ. Il le fait pour des raisons intradiégétiques tout à fait entendables, et donne toujours au joueur quelque chose d’intéressant à faire, mais je tiens à vous signaler que je ne peux pas garantir que le dernier tiers du jeu soit passionnant et que le dénouement soit satisfaisant, tant le jeu est long et propose de choses à faire. Veuillez considérer que cet article ne couvre pas une éventuelle fin toute pourrie du jeu, mais seulement ses excellentes quarante premières heures.
Cette volonté de guider le joueur tout en lui laissant une énorme marge de droit à l’erreur se retrouve presque à chacune des différentes phases que propose le jeu : la recherche des matériaux se complexifie tout doucement à mesure qu’on se construit de nouveaux outils, la recherche de trésors enfouis se dévoile peu à peu, les quêtes gagnent doucement en complexité, et les personnages aux gameplays les moins évidents à saisir ne sont ajoutés à l’équipe qu’après une vingtaine d’heures de jeu.
Le système de combat est à l’image de tout ce qu’Atelier Ryza entreprend pour dépoussiérer la série : plus beau, plus fluide, plus dynamique, mais aussi un peu plus difficile pour peu qu’on n’ait pas été attentif lors des explications initiales. Mais pour une des premières fois dans Atelier, des systèmes ont été implantés pour aider le joueur à s’y retrouver : un objet crafté de travers (mauvaises compétences, matériaux douteux…) peut être reforgé en quelques clics, les matériaux manquants pour telle ou telle recette sont très clairement indiqués, le fonctionnement de l’économie du jeu est assez simple à comprendre, on peut se débarrasser d’éléments en trop quasiment à la volée, etc. Atelier Ryza surprend par sa capacité à avoir des menus simples et ergonomiques pour peu qu’on prenne le temps de les apprivoiser. Bien sûr, on est encore loin des menus impeccables d’un jeu de gestion signé Paradox, et il reste quelques absurdités de design çà et là. Un exemple : le jeu dispose de cartes au trésor, que l’on peut utiliser pour se téléporter ou pour consulter des indices sur l’emplacement des reliques. Mais ces indices ne sont consultables que si et seulement si on se trouve dans l’Atelier, le hub central du jeu. Pourquoi ? Est-ce à dire que la carte perd ses marqueurs quand Ryza sort de chez elle ? Mais à ces quelques bizarreries et inconforts près, Atelier Ryza propose un système de jeu et des combats qui non seulement se font oublier, mais savent se rendre plaisant.
Koei Tecmo et les cuisses interdites
Il me serait facile de vous laisser là-dessus. Atelier Ryza : histoire, très sympa, gameplay, ça passe, n’hésitez pas, ça vaut bien ses 50€ sur Switch – comptez-en dix de plus sur PS4 et Steam et là heu… attendez peut-être une réduction quelconque. Mais Gust et son éditeur Koei Tecmo ont un petit peu tendu le bâton pour se faire battre, alors, oui, il faut qu’on en parle.
La série Atelier a pour particularité de changer de chara designer une fois tous les deux ou trois épisodes. La plupart du temps, les différents artistes qui se sont relayés lors des 21 ans de la série répondent au même cahier des charges : des mecs à l’air un peu con en tenues de trappeurs ou de mercenaires médiévaux en guise de sidekicks, et des petites filles énergiques avec des robes extrêmement compliquées et des chapeaux bizarres en guise d’héroïnes. Contrairement à une légende assez répandue chez ceux qui n’y ont jamais joué, les jeux Atelier sont extrêmement chastes, on y verra ni décolletés ni culottes, ni quasiment aucune forme de romance et encore moins de sexe. Les héroïnes de la série sont en général bien trop occupées à travailler et à se faire une place dans le monde cruel du capitalisme magique, et ont des relations sentimentales qui correspondent à peu près à leur âge d’adolescentes insouciantes.
Si le très talentueux Toridamono a certes respecté la partie « chapeau bizarre » du chara design, il a surtout été remarqué et extrêmement mis en avant dans la communication japonaise du jeu pour être un illustrateur spécialisé dans les (pardonnez-moi d’avance) grosses cuisses sexy. Le jeu se passe sur une île tropicale en plein été, aussi il n’est pas anormal que les différents personnages s’y trimballent en mini-short et en t-shirt évasé. L’héroïne d’Atelier Ryza, nettement plus âgée que la plupart des héroïnes de la série, est aussi l’une des premières à être aussi clairement mise en avant pour son physique par la communication du jeu, et cela a certainement largement contribué au nombre de précommandes japonaises. Et elle n’est d’ailleurs pas le seul personnage du jeu à avoir un physique mettant en valeur des formes inhabituelles pour la franchise.
Cependant, il est à noter que le seul male gaze du jeu est celui du joueur lui-même. Dans le monde d’Atelier Ryza, comme dans celui des précédents titres de la série, la sexualité, le genre ou la manière dont les gens s’habillent semble ne jamais devoir être une question d’aucune sorte. Personne ne viendra jamais vous faire remarquer votre tenue, ni ne tentera de vous séduire de manière balourde, et jamais le genre ou l’accoutrement d’un personnage ne sera un obstacle à sa carrière. Et même si de nombreux attributs du pouvoir politique restent cependant masculins dans le jeu, celui-ci présente une diversité assez rare dans les jeux de fantasy. Ainsi, les chefs de l’île où se déroule Atelier Ryza sont certes pour la plupart des hommes, mais on y trouve également de nombreuses femmes de pouvoir (la cheffe de la Garde Municipale, à l’autorité incontestée, par exemple). Comme tous les autres Atelier, l’épisode Ryza met en scène des femmes fortes, en quête d’aventure et d’indépendance, à la capacité d’apprentissage et d’empathie forte, entourées de mecs un peu taciturnes ou un peu bêtes, mais jamais pénibles ou machistes.
Il me semble ainsi presque dommage que Gust et Koei Tecmo en aient autant fait des caisses sur le chara design (par ailleurs très réussi) de Toridamono, puisque ce n’est pas vraiment le propos d’Atelier Ryza. Autant vous avertir : si vous venez pour vous rincer les yeux, vous n’allez pas en avoir pour votre argent au-delà du seul mini-short un peu serré de l’héroïne. Je l’ai rappelé au début de cet article, mais Atelier revient de très loin, commercialement parlant. Si le jeu est aussi sage que les précédents, il n’en reste pas moins qu’un éditeur légèrement aux abois a cru bon de se payer une publicité en forme de popotin d’adolescente, sans que le contenu du jeu lui-même ne soit particulièrement orienté là-dessus. Cela reste difficile à cautionner au regard de tout ce que la série a produit d’intéressant en terme de personnages forts : il s’agit de la seule série aussi longue à aligner autant de protagonistes féminins aussi différents. Le succès rencontré par cette initiative commerciale un peu douteuse n’est pas spécialement rassurant, espérons que le jeu solide qui se cachait derrière convaincra Koei Tecmo de ne pas trop se reposer sur ses lauriers à l’avenir et de ne pas multiplier les belles gambettes pour masquer un manque de bonnes idées.
Atelier Ryza a été testé sur PS4, via une clé fournie par l’éditeur.
J’ai de très nombreuses fois sur ce site noté les efforts remarquables mais laborieux de Gust pour sortir de ses propres habitudes et largement moderniser ses formules vieillissantes. Sans être un retour de la grande époque de leurs grands RPG d’aventure en 2D, Atelier Ryza: Ever Darkness & the Secret Hideout me semble être l’un des meilleurs JRPG d’une année il est vrai quasiment dépourvue de concurrence sérieuse en la matière. Long, (presque) beau, avec des personnages assez bien campés et proposant même par moment un vrai souffle épique perdu depuis longtemps, ce jeu est un rappel que la série Atelier a su un jour proposer tout à la fois un certain chill et le souci de livrer une véritable aventure au joueur.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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