Pour les 20 ans de la série de JRPG Atelier mettant en scène des apprenties alchimistes, Gust met les petits plats dans les grands et propose le plus grand crossover jamais vu depuis le truc où les personnages Marvel se font tuer par des cailloux magiques. Nelke & the Legendary Alchemists entend fusionner JRPG, Visual Novel, simulation économique et City Builder dans une histoire haute en couleur mettant en scène à peu près tous les personnages des jeux de la série.
Si vous n’avez jamais entendu parler de la série Atelier, c’est que vous n’avez jamais traîné à côté de moi dans un bar en fin de soirée quand le verre de trop me fait monologuer sur les bienfaits méconnus de cette pléthorique série de jeux de rôle. Atelier, du moins depuis que la série est passée en 3D avec l’épisode Rorona, c’est un peu la même chose et un peu différent à chaque fois : une jeune fille doit, pour une raison quelconque, fonder un atelier d’alchimie et y passer quelques années de sa vie, se faire des amis, résoudre divers problèmes, et passer le relai au personnage suivant de sa sous-série. Car Atelier, c’est une histoire de cycle : tous les deux à quatre épisodes, on change d’univers (et de chara designer), tout en gardant un bestiaire et des principes de gameplay relativement similaires. Le tout dans une ambiance globalement feelgood qui vous fait traverser quelques années dans la vie d’un NPC en charge de la création de la meilleure boutique du coin pour que les aventuriers puissent mener à bien leurs petites quêtes. La formule a pu varier d’épisode en épisode, les curseurs ont été ajustés quand c’était nécessaire, mais en gros, Atelier, c’est une série-charentaise : on sait très bien où l’on va à chaque fois, c’est confortable, et on attend avec impatience la période de l’année où on se sent autorisé à les enfiler, enroulé dans une couverture avec du chocolat chaud. La série a donc désormais 20 ans, 20 jeux principaux et presque autant d’épisodes spin-offs. L’occasion de nous livrer ce projet Nelke & the Legendary Alchemists qui entend mettre tous les personnages de ces 20 jeux dans un même chaudron de jeu de gestion pour vous faire construire la plus belle cité alchimique de tout le multivers. Si la série n’est pas étrangère aux jeux de gestion (le méconnu Atelier Annie sur DS était déjà dans ce registre), c’est la première fois qu’Atelier entend proposer un best of de cette ampleur. Et à ma grande surprise, c’est vraiment chouette.
Tout le monde est là, je crois que tout le monde est là !
La série Atelier a pour coutume de nous faire incarner des personnages d’origine modeste : Lydie et Suelle ont l’atelier le plus délabré de leur ville, Firis ou Klein sont des vagabonds, Rorona se lance dans l’alchimie pour éponger les dettes de sa famille, etc. Après tout, dans ces jeux, on est rarement l’élue, mais plutôt une modeste dirigeante de petite entreprise en train de courir après le temps et l’énergie pour maintenir sa boutique à flot. Le bas de la pyramide du capitalisme, que vous devez escalader à la force de vos bras menus. Rien de tout cela dans Nelke & the Legendary Alchemists, qui ne nous fait même pas incarner une alchimiste, mais une fille de noble, désireuse de s’émanciper de la tutelle d’un papa-poule qui ne vous fait absolument pas confiance pour vous débrouiller seule dans le grand monde. Votre ennemi est donc littéralement le patriarcat. Ainsi, votre vilain papa, fort marri de vous avoir vu réussir haut la main votre diplôme de gestion, vous confie la planification du développement du village décrépi de Westwald. Ça tombe bien : à ce qu’il paraît, une mystérieuse relique serait enterrée dans le coin. Votre mission sera donc tout à la fois d’enquêter là-dessus, et de respecter les directives de plus en plus ardues de votre lord de père en terme de planification urbaine, bien déterminé à vous voir échouer pour vous ramener à la maison la queue entre les jambes.
Ce principe est certes assez classique dans la série Atelier : nombre de jeux de la série impliquent surtout de finir des quêtes en un temps imparti pour éviter une banqueroute, une humiliation ou une expulsion. Mais on est dans un épisode gâteau d’anniversaire, et Nelke va bientôt voir débarquer dans sa ville une jeune alchimiste du nom de Marie, attirée ici depuis un autre monde. Puis cela sera au tour de sa camarade Elie… puis de Firis, Klein, Rorona, Lira, Sophie et tous les autres : Nelke & the Legendary Alchemists utilise le bon vieux principe du multivers pour peupler votre ville de dizaines et de dizaines de personnages issus des nombreux jeux de la franchise, jusqu’aux titres les plus obscurs, et jusqu’aux épisodes les plus sombres (car oui, dans un passé lointain, la série a eu des scénarios assez sombres et ambitieux). Et plus votre ville va prendre de l’ampleur et passer de petit hameau poussiéreux à comptoir commercial florissant, plus tout ce petit monde va débarquer par paquets de douze, créer des boutiques, générer des quêtes, devenir amis, et faire avancer l’intrigue principale.
Comparé à la moyenne du genre crossover, Nelke & the Legendary Alchemists possède une histoire assez bien tenue et assez cohérente, mais dont les diverses subtilités resteront assez opaques aux nouveaux venus de la série. L’idée au cœur du fan service épisode est avant tout de faire interagir des dizaines de personnages d’âges, de mondes voire de dimensions différentes sans faire exploser le lore assez complexe de la franchise au passage. Mais, bon gré mal gré et non sans éviter un petit effet « eh tiens, si machin parlait à machin ça serait rigolol » qui peut finir par gaver, force est de constater que les scénaristes de cet épisode ont écrit une histoire qui tient debout, chaque « groupe » de personnages étant une partie de la solution à l’énigme qui se cache dans les environs de la ville de Westwald. On est évidemment à mille lieues de l’écriture de Red Dead Redemption, mais on ne voit pas passer la cinquantaine d’heures nécessaire à boucler le jeu : c’est riche, il y a des rebondissements, et on évite la simple collectionite de guests bonus. Et côté planification urbaine, on est servi : il y est question d’entretien des sentiers, fusion de communes, attractivité du centre-ville, tourisme et j’en passe. Bienvenue dans le cabinet du maire et ses subtilités bureaucratiques !
Les interactions entre tout ce beau monde se font sous la forme d’un simili Visual Novel. Avis aux allergiques : il y a des pâtés et des pâtés de textes qui parlent de tout et de rien, des goûts alimentaires de telle alchimiste aux aventures de telle autre dans son propre monde. Encore une fois : c’est très plaisant si vous aimez la franchise, mais ce n’est sans doute pas un bon épisode de départ si vous ne connaissez personne dans le casting. Et, petite bizarrerie à prendre en compte : les personnages gardent leur chara design d’origine, ce qui donne lors de certains dialogues un côté Into the Spider-verse fauché qui peut rebuter les esthètes. Mais bon, ils viennent de mondes différents, ils ont le droit de ne pas être dessinés pareil, pas vrai ?
Un jour je serai la meilleure Directrice Générale de la Communauté de Commune
Cette partie Visual Novel, pour sympathique qu’elle soit, n’est pas l’essentiel de ce que vous ferez lors d’une phase de jeu de Nelke & the Legendary Alchemists. Le jeu se déroule en deux phases principales. Une phase de vacances. Puis une phase de travail. Vous allez bosser dur dans les deux cas, mais vous ne ferez pas exactement la même chose.
Les vacances, tout d’abord. C’est la journée de temps libre de Nelke, qui vous permet de parler à vos résidents pour devenir amie avec eux, de lancer des recherches scientifiques pour progresser dans l’intrigue, mais surtout de vous lancer dans des enquêtes, qui sont ni plus ni moins que du RPG sous sa forme la plus minimaliste : vous sélectionnez un secteur de la carte (qu’il vous faut d’abord déverrouiller à coups de brouzoufs), vous créez une petite équipe de combattants, et vous avancez sur une ligne droite, en récoltant des ingrédients et en combattant des monstres, le tout en devant gérer une jauge de vitesse, une zone n’étant validée que quand vous arrivez à la fin de la route dans le temps imparti. Si cela peut sembler plutôt ennuyeux, on réalise rapidement qu’une fois qu’on a pigé le truc, ces moments de light RPG se résolvent en moins de deux ou trois minutes. Ils ont pour principal intérêt de vous faire découvrir de nouveaux matériaux que vous pourrez récolter automatiquement par la suite, et de vous proposer des combats à la difficulté qui augmente graduellement et qui constituent une excellente surprise.
Si les affrontements ne brillent pas par leurs qualités graphiques, le jeu étant globalement laid, il propose des systèmes beaucoup plus astucieux qu’à première vue. Vous devez gérer deux types de combattants : les alchimistes qui attaquent automatiquement et les combattants que vous contrôlez directement. Chaque personnage possède un nombre de points d’action que vous pouvez stocker ou dépenser pour utiliser des objets une seule fois par expédition et communs à l’équipe, le tout étant soutenu par une jauge de burst qui vous permet d’accélérer l’acquisition des points, et donc de vos furies potentielles, et qu’il vous faudra donc déclencher à des moments stratégiques. Si les diverses subtilités de l’ensemble vous sembleront superflues au début où l’auto-attaque suffit à éclater n’importe quel monstre, on réalise bien vite que la difficulté devient assez vite conséquente, et vous force à réfléchir à vos actions et à utiliser les subtilités du système pour surmonter certaines étapes-clés.
La deuxième phase de jeu, c’est donc votre semaine de travail. Et c’est là que vous allez passer le plus clair de votre temps, dans un jeu de gestion étonnamment complexe et riche, malgré des premiers tours décourageants où on ne vous laisse pas faire grand-chose. Nelke & the Legendary Alchemists mélange diverses saveurs du jeu de gestion. Un aspect de construction de ville tout d’abord, où vous devez débroussailler des quartiers abandonnés et choisir quels bâtiments vous souhaitez y construire (vergers, boutiques, ranchs, mobiliers urbains, bâtiments bonus…). Un aspect de planification des ressources ensuite : c’est là qu’il devient retors.
Des tableaux dans les yeux
Au cœur de Nelke & the Legendary Alchemists, il y a la planification. Ce qu’on vous demande concrètement de faire, c’est de créer des objets pour des boutiques d’une part, et de répondre à des requêtes particulières d’autre part : récolter telle quantité de choses, vendre 10 fois tel objet, etc. Pour alimenter une boutique, il faut créer des ressources dans des bâtiments appropriés, par exemple du lait dans un ranch. Mais vendre ces simples matières premières ne suffit pas : il faut faire passer ces objets par des ateliers d’alchimie où ils seront transformés, en fusionnant des ressources, en denrées plus précieuses. Ainsi, vendre un lingot de fer rapporte peu, vendre une armure infusée dans un bouillon magique peut rapporter jusqu’à 10 fois plus. Sauf que vous ne pouvez pas tout faire, étant en permanence en train de courir après les matières premières.
Rapidement, il vous faudra spécialiser les ateliers : un pour les requêtes des habitants, un pour alimenter les boulangeries, un pour la recherche scientifique, un pour répondre aux demandes de votre papa… Mais bien entendu, le jeu vous laisse vous planter en beauté, et ne vous empêchera jamais de mettre en vente un objet que vous aviez initialement prévu pour être transformé dans un atelier d’alchimie, fichant par là même en l’air vos objectifs de production et de rentabilité. Un peu à la manière des vieux épisodes de Settlers ou du récent Dawn of Man, Nelke & the Legendary Alchemists vous force à être logique, à penser chaîne de production, prix de vente, priorisation des tâches, tableaux dynamiques croisés, le tout heureusement aidé par une interface assez complète qui vous expliquera à chaque tour de jeu ce que vous avez fait de travers et ce que vous avez mieux réussi. J’ai néanmoins dû plusieurs fois sortir un papier et un crayon pour être sûr que je n’étais pas en train de faire la bêtise de demander à deux de mes alchimistes de créer des trucs avec la même ressource dont je n’avais aucun stock.
Une difficulté qui peut surprendre
Nelke & the Legendary Alchemists commence comme une partie de plaisir et ne vous opposera quasiment aucune résistance lors des quatre ou cinq premières heures de jeu, au point où on peut presque finir par le prendre pour un simple Visual Novel entrecoupé de création de boulangeries. Il faut cependant signaler à nos lecteurs qu’une fois la phase introductive terminée, le jeu vous pousse assez brutalement de la falaise en vous disant « maintenant, tu voles » : les objectifs à remplir sont beaucoup plus difficiles, les monstres se mettent à frapper comme des brutes, et la planification urbaine devient chère et exigeante, vous forçant à vous creuser la tête pour la moindre décision. Si ce genre de pic de difficulté brutal est courant dans la série Atelier, il pourra surprendre un nouveau venu qui, après quelques tours vraiment pépères, se fait mettre de gros taquets par le jeu en milieu de partie.
Contrairement à d’autres jeux de gestion qui peuvent vous laisser récupérer de vos erreurs, Nelke & the Legendary Alchemists a plutôt tendance à vous les faire ressentir sur une partie entière (une run dure une centaine de tours), en simulant bien la mécanique d’une économie qui déraille : plus assez de matières premières dit des ateliers en panne, des boutiques vides et moins de ressources pour accomplir vos objectifs. Aussi, il ne sera pas anormal de voir le game over arriver au milieu du jeu si vous n’avez pas assez bien anticipé certaines difficultés, ou accumulé les retards de production en acceptant trop de quêtes annexes, par exemple. Heureusement, le jeu vous permet de recommencer depuis le début en conservant certains éléments de votre run, et les événements étant assez scriptés, vous pouvez mieux anticiper ce qui va vous tomber dessus lors d’une seconde partie.
Moche, exigeant, terriblement attachant
Je l’avais déjà pointé l’an dernier lors de la sortie du sympathique Atelier Lydie & Suelle : Gust propose de plus en plus d’idées et de maîtrise sur sa série produite au rythme industriel d’un ou deux épisodes par an. Encore une fois, cet épisode propose énormément de contenu et d’idées, le contenu étant aussi riche et intéressant que le contenant semble mièvre. Cet épisode prouve une nouvelle fois qu’Atelier est une série qui refuse de ronronner, et qui entend s’adapter petit à petit à la modernité.
Cela a un prix, et c’est le prix de la laideur. Plus encore que d’habitude, cet épisode propose une 3D hideuse, des couleurs alternant entre le criard et le marron-caca, un recyclage d’assets qui confine au grotesque. Bref, pris comme un RPG 3D, c’est vraiment limite sur un écran de grande taille (c’est sans doute moins agressif sur le petit écran de la Switch). On s’y habitue cependant, vu qu’on passe bien plus de temps dans les menus de production et dans les phases de dialogues en Visual Novel que dans les combats en 3D minimaliste. Mais une fois de plus, on notera que la fin de génération de console approchant, il va falloir que Gust change son moteur de jeu prévu pour faire les beaux jours de la PS Vita, et n’étant lui-même qu’une refonte de celui utilisé au début de l’ère PS3. Sans quoi la série, pourtant ultra dynamique et gagnant en qualité ces dernières années, restera confinée à un cercle de fans de plus en plus restreint.
Dommage, aussi dommage que le plantage d’Atelier Lydie qui s’est largement vautré dans les chartes et n’a même pas profité de l’effet MAIS SUR SWITCH. Dommage aussi parce que Nelke & the Legendary Alchemists: Ateliers of the New World est un excellent jeu de gestion pensé pour les consoles (c’est rare !), à l’interface léchée, au contenu gigantesque, et qui arrive à être beaucoup plus qu’un simple cadeau aux vieux fans de la série, pour proposer une expérience complète, riche, dense, et exigeante. Et puis, bon, comme d’habitude, comme c’est mignon !
Nelke & the Legendary Alchemists: Ateliers of the New World a été testé sur PS4, via une clé fournie par l’éditeur.
Incroyablement plus haut que notre maigre horizon d’attente, Nelke & the Legendary Alchemists: Ateliers of the New World est un exemple rare de jeu de gestion parfaitement bien pensé pour l’expérience console, un jeu de management et de planification urbaine assez ambitieux et un RPG truffé de très bonnes idées. S’il souffre toujours de l’esthétique fluo et un peu niaise propre à la série Atelier qui en rebutera plus d’un et d’un dosage de la difficulté qui peut surprendre, cette étonnante simulation de Direction Générale des Services d’une ville de taille moyenne est une excellente surprise et un pic de qualité pour une franchise foisonnante en bonnes comme en mauvaises choses. Cette fois, on est clairement du bon côté de la tartine, on ne va pas s’en plaindre.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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