On peut reprocher beaucoup de choses aux RPG nippons de chez Gust (fan service, graphismes indignes, écriture imbécile), mais on ne peut certainement pas leur reprocher de ne pas essayer. Depuis la fin de l’ère PS2 et du cycle Atelier Iris, la firme court désespérément après la technique, et la modernité du gameplay lui échappe. Elle se retrouve condamnée à enchaîner des productions (pas toujours ratées) pour un public minuscule d’Otakus avec trop d’heures de transport. Mais de titres en titres, les équipes de Gust essayent, et essayent encore avec une abnégation indéniable. Par exemple en tentant avec Blue Reflection une sorte de Persona-like uniquement peuplé de gamines un peu neurasthéniques, au rythme lent et au design de maison de poupée. Si ça se trouve, ça peut suffire à faire un bon jeu.
Un RPG entre Tradition et Modernité Mollesse et Rapidité
Blue Reflection n’y va pas par quatre chemins pour vous mettre dans le jus. A rebours de nombreux RPG Japonais, le titre de Gust vous explique tout à la vitesse de l’éclair : vous êtes Hinako, une adolescente ayant dû renoncer à sa passion pour le ballet à la suite d’une blessure. Vous entrez dans une académie de jeunes filles pour prendre un nouveau départ et, quelques minutes plus tard, vous récupérez une bague enchantée qui vous permet de rentrer dans le subconscient de vos camarades de classes quand elles ont des soucis pour éviter qu’elles ne deviennent des monstres dégoulinants. Vous découvrez que d’autres lycéennes ont le même pouvoir, vous vous transformez en Magical Girls et c’est parti pour une quarantaine d’heures à alterner donjons, sorties entre amies et changement de tenues dans les cabines d’essayage parce que Blue Reflection n’oublie pas sa cible prioritaire supposée : l’Otaku-solitaire-qui-aime-jouer-à-la-poupée.
Avec son casting 100% féminin et son côté très droit au but, Blue Reflection semble à première vue détonner après des Persona, Shin Megami Tensei Apocalypse et autres Final Fantasy XV sortis la même année qui prenaient un temps fou pour poser leurs enjeux et avaient des castings plutôt variés, au risque de lasser les plus habitués à l’adrénaline de la récompense immédiate. Pourtant, Blue Reflection a un rythme paradoxalement indolent et nonchalant, d’aucun diraient effroyablement mou. Tout s’enchaîne assez vite, tout en baignant dans une mélancolie de salon de thé un dimanche après-midi d’automne pluvieux dans une ville moyenne.
Les différentes héroïnes ont l’air de se sentir peu concernées, la musique et la mise en scène se déclinent au fil de douces notes au piano, et même les combats semblent se dérouler dans l’ambiance cotonneuse d’une sieste éveillée. La direction artistique se repose sur des couleurs pâles, des ambiances ensoleillées, des costumes bleuâtres à froufrous transparents, débordants de guimauve et de sucre. Les donjons sont remplis d’astres flottants, de feu follets et autres montagnes brumeuses, quelque part entre les Portes de la Perception et les « peintures » de votre tantine un peu zinzin. Vous savez, celle qui fait du Biodanza et des peintures « cosmiques » dans le garage où elle entrepose ses infusions détox achetées au kilo à la coopérative autogérée du coin. Le tout est loin d’être affreux (pour un jeu Gust), et possède un rendu très personnel, sans être exempt de points irritants.
L’emphase parfois gênante, mise sur du fan service un poil glaireux pour des héroïnes de quinze ou seize ans, nous ramène parfois à la réalité. Par chance ou à force d’un dur labeur, le jeu arrive à instaurer une certaine ambiance qui pourra plaire ou non. Moins pop et funky que Persona, mais ne nions pas que Blue Reflection sort de la généricité collant parfois à ce genre de titres. Cependant, au fil de scènes impliquant douches, maillots de bain, gros plan sur des culottes, étirements et tutoriels pour apprendre à changer de costume nous revient la petite musique agaçante d’un produit qui, certes, cherche à élargir sa cible, mais ne peut s’empêcher de retourner à sa dynamique principale : offrir du réconfort et un support masturbatoire à un public masculin japonais.
Rien n’est jamais véritablement scandaleux dans Blue Reflexion, mais bien des éléments liés à la sexualisation latente d’adolescentes auraient gagnés à être traités autrement. Avoir autant de sous-entendus lesbiens dans un scénario et adresser si peu les problématiques LBGT tout en insistant autant sur le « Territoire Absolu » de chaque membre du casting, c’est au minimum dommage. Moins dommage cependant que le casting lui-même, franchement au raz-des-pâquerettes en terme d’écriture et de charisme. Difficile de s’attacher à ces discussions insipides et à ces problématiques survolées par des dialogues qui font rarement mouche.
Blue Reflection aurait largement bénéficié à affronter beaucoup plus frontalement les problèmes et les traumatismes de ses héroïnes, et à dessiner leurs différentes personnalités avec un crayon beaucoup plus épais. Comparé à certains des épisodes les plus anecdotiques de la série Atelier sortis ces dernières années, tout de même, reconnaissons sans mal qu’il y a du mieux, et que tout cela se laisse suivre sans déplaisir, pour peu qu’on accélère certains échanges manifestement sans intérêt et qu’on se dispense d’interroger une foule de NPC qui ont si peu à raconter que c’en est effarant.
Un Gameplay en Béton (solide mais indigeste)
C’est applicable à l’intégralité des jeux de Gust depuis dix ans : manette en main, le principal reproche à faire à Blue Reflection est une incapacité chronique à l’épure. A l’instar d’un mauvais chanteur rajoutant des trémolos et de l’autotune sur ses poésies insipides, Blue Reflection noie le joueur sous une tonne de systèmes et de sous-systèmes dispensables. Il y a trop de menus, plusieurs systèmes d’expériences parallèles, des costumes, des pouvoirs à débloquer, des statistiques débloquant des pouvoirs sous condition, trop de fioritures dans l’équipement et les fiches de personnages, du crafting, des tutos en veux-tu en voilà, sans qu’aucun de ces éléments ne fasse vraiment sens avec les autres.
Alors qu’au fond, tout ceci n’est au service que d’un gameplay au tour par tour efficace mais relativement banal, reprenant pour l’essentiel le savoir faire de Gust sur les innombrables jeux de la série Atelier, à savoir des affrontements nombreux, très orientés sur la magie et la gestion de l’ordre d’attaque des différents combattants. Certaines compétences peuvent ralentir l’ennemi, d’autres permettent de frapper plus fort, il y a un peu de buff et de debuff et c’est à peu près tout. Concrètement, cela fonctionne et n’est jamais ennuyeux, mais était-il besoin de le noyer sous pléthore de menus et de sous-systèmes ? Les voies des Games Designers Japonais sont parfois impénétrables. Il en résulte tout de même une lourdeur à la prise en main pour se retrouver quelques heures plus tard aux commandes d’un navire à deux boutons. Rien de rebutant si ce n’est l’impression de se retrouver face à un jeu gâchant par son côté bavard une simplicité pourtant appréciable.
Et comparé à la tambouille habituelle de fantasy générique des jeux estampillés Gust, un soin assez étonnant a été porté au bestiaire, un peu plus varié et intéressant qu’à l’accoutumée, ainsi qu’au level design des donjons matérialisant les angoisses des héroïnes. Les comparer au génie retors de ceux de Persona 5 serait absurde, mais nier leur agréable dynamique et les quelques bonnes surprises croisées en chemin ne serait pas juste. Eux-aussi savent instaurer un rythme paisible tout en évitant la plupart du temps l’ennui. Bref, comme le reste du jeu, les phases de donjon se traversent avec la même impression moelleuse d’assister à un rêve après s’être pris une flèche de tranquillisant dans la fesse gauche. Pas passionnant, mais pas déplaisant. Les combats de boss, basés sur un twist de gameplay plutôt surprenant, parviennent même à instaurer de surprenants moments de tension dramatique (dommage que le jeu n’offre aucune résistance pour peu qu’on en comprenne un peu les mécaniques).
♫ Il en faut ♫ peu pour un grand jeu ♫, mais un peu plus que ça tout de même
A aucun moment Blue Reflection ne cherche à nier sa nature de Persona-like, mais ce n’est pas au regard de ce dernier qu’il faut le juger. Persona 5 est une superproduction à l’ambition mondiale accompagnée d’un marketing trompetant en chevauchant le train de la hype. Blue Reflection ne joue pas dans la même cour, et c’est au regard des autres productions de Gust qu’il faut le goûter. Tiraillées par un public japonais encore très attaché à la Vita, spécialement pour les jeux de ce type, les équipes de Gust ont (trop) tardé à proposer des titres techniquement pensés pour des machines modernes. La série des Atelier, loin d’être vide de qualités, accuse un retard technique à base de textures en définition baveuse, de décors vides, de recyclage éhonté d’assets et de mécaniques de jeu balourdes. Pourtant, depuis deux ans, on sent que le studio travaille à proposer mieux. Et il progresse vite.
Blue Reflection est incontestablement meilleur à tous les points de vue que ce que propose habituellement le développeur. Plus beau, plus inspiré, moins générique, mieux rythmé, ciselé par des choix artistiques contestables mais existants, il y a à la fois de la prise de risque et du talent là-dedans. Du talent encore brouillon, des idées encore alourdies par une incapacité à faire simple et à adresser son discours au-delà de la niche microscopique des amateurs de J-RPG en quête de moe. Mais du talent tout de même.
Gust commence juste à rattraper le retard accumulé, dans un marché où la plupart des autres éditeurs de RPG japonais se sont réveillés et ont commencer à tracer leur chemin. Classicisme maîtrisé pour Namco et Falcom (Tales of, Trails of cold Steel, Ys…), pop déjantée pour Atlus (Persona), jeux à système pour fous furieux pour Nippon Ichii (Disgaea), approche spectaculaire et marketing rouleau-compresseur pour Square Enix (FFXV, Nier Automata), Nintendo company doing Nintendo things (Mario X Lapins Crétins, Fire Emblem, Zelda). Tri-Ace, Monolith, From Software, tous semblent enfin avoir trouvé leur chemin après le passage à vide de la génération PS3.
Gust reste encore au milieu du guet, et Blue Reflection est une première forme de réponse : non, la firme japonaise n’est pas condamnée à produire à la chaîne et jusqu’à la fin des temps le même jeu relifté de petites filles faisant de l’alchimie en courant après les succès passés sur Playstation 2. Par contre, le chemin qu’elle emprunte avec Blue Reflection est pour l’instant celui de jeux un peu mollassons, un peu plombés par un fan service irritant, avec autant de bonnes idées que de d’éléments insupportables, mais avec un petit charme incontestable qui s’en dégage tout de même. On a hâte de voir ce que ça donnera dans quelques années, quand Gust aura peaufiné le dispositif.
Pas la peine d’être méchant pour le plaisir d’être méchant : face aux jeux dont il s’inspire, Blue Reflection est anecdotique. Perclus de problèmes d’ergonomie, alourdi par un roster de personnages sans aucun charisme et par un fanservice discret mais pénible, le titre de Gust ne manque cependant ni de cœur ni de qualités. Son histoire se raconte de manière un peu molle, mais elle ne manque pas de bonnes idées et, disons-même, à certain rares moments, de fulgurance. Le rythme très lent de sa narration contraste avec la rapidité de son action. Là ou Persona 5 met une bonne quinzaine d’heures à vous laisser la main, Blue Reflection vous assène ses enjeux et son gameplay en quelques minutes, et vous laisse aux commandes d’une bande de gamines un poil insipides pendant une quarantaine d’heures, entre Yuri Bait, Magical Girls et Thriller Psychologique. De manière surprenante, la formule fonctionne mieux que ce qu’elle laisse supposer, et techniquement parlant, Gust se rapproche jeu après jeu de ce qu’on pourrait qualifier de produit digne d’une console de la génération actuelle. Blue Reflection manque peut-être son coup, mais le rate de peu. Élève en progrès, comme les vilains professeurs disent sur les bulletins scolaires des élèves mauvais-mais-travailleurs perdus au milieu de la classe.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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