Ne vous fiez pas à ce que vous voyez sur la jaquette et les screenshots criards d’un jeu comme Atelier Lydie & Suelle. Loin d’être un simple RPG moé pour Otaku décérébré, ce jeu d’alchimie et de vie quotidienne dans un village paisible est l’aboutissement de vingt ans à perfectionner une formule qui est loin d’être dénuée de sincérité. A perfectionner aussi, hélas, la pire politique de DLC vue dans un jeu de ce style depuis longtemps.
Il était une fois Gust, un mignon petit développeur japonais qui avait décidé de sortir chaque année au moins un petit jeu avec de petites alchimistes mignonnes qui vivraient des aventures dans des petits villages mignons grâce à un mignon petit éditeur nommé Koei. Et puis un jour, patatras, dans un malentendu, la bonne fée du JRPG avait transformé la série Atelier en une série de trois bons jeux PS2 (la trilogie Iris), jusqu’à ce que le méchant sorcier Next Gen la renvoie dans les enfers des RPG de niche dégueux pour otakus au milieu des années 2000. Commença alors une longue remontée de l’abîme de la série Atelier, à coup de trilogies bancales modifiant peu à peu les règles rigides d’un gameplay rouillé jusqu’à l’os, de lent apprentissage des moteurs 3D, d’une remise en cause d’un chara design douteux, et de la pénible recherche d’un « ton » qui distingue la série des myriades de JRPG Vita génériques. La trilogie « Mysterious » entamée en 2015 avec Atelier Sophie and The Mysterious Book, est peut-être la première qui a réussi à véritablement réinventer une formule totalement grippée depuis Atelier Rorona en 2006. Plus jouables, plus drôles, plus beaux et mieux rythmés, les jeux Mysterious marquent chacun un progrès notable sur le jeu précédent. Malgré son titre complètement stupide, Atelier Lydie & Suelle: The Alchemists & The Mysterious Paintings est l’aboutissement de quelque chose : un RPG feel good, plutôt innocent, consciemment décérébré, pastel et sucré jusqu’à la nausée, mais plutôt malin et loin d’être dénué de profondeur.
Magie et Appels d’Offre
Lydie et Suelle (on va l’appeler Sue, si vous voulez bien), deux jeunes sœurs jumelles, ont bien des soucis. Au lieu de s’occuper correctement de leur petite boutique d’alchimie minable sise dans l’ensoleillée ville balnéaire d’Adalet, leur papa est très occupé à fabriquer des inventions plus nazes les unes que les autres et à peindre des croûtes dans le sous-sol. C’est donc quasiment toutes seules que les deux ados doivent assurer la survie de la boutique. Lydie, la costaude, s’occupe de la récolte des ingrédients et de la bagarre avec les monstres qui constituent une source première de matériaux magiques. Sue, le cerveau, s’occupe plutôt de la magie défensive, et d’avoir de nouvelles idées de recettes alchimiques. Et bien que la boutique vivote dans l’ombre de l’Atelier de la grande famille d’alchimistes de la ville, tout ce pathétique quotidien sera modifié par l’annonce de subventions d’Etat pour les Ateliers les mieux notés, et par la découverte de peintures maudites dans lesquelles nos deux héroïnes vont être amenées à se glisser, en quête d’éléments rares et de monstres inédits.
Oui, dans Atelier Lydie, on est avant tout en quête de subvention gouvernementale, et on cherche prioritairement à remporter des appels d’offre auprès des services compétents chez M’dame le Maire. Une réalité très banale dans la vie des petites et moyennes entreprises, mais rassurez-vous, tout cela est ludifié à l’envie par la perspective d’obtenir une série de permis correspondant eux-mêmes à une série d’objectifs (fabriquer tel objet, tuer tel monstre…), généralement atteints de manière très organique en accomplissant les diverses missions confiées par les différents habitants hauts en couleur de la ville.
Se déroule alors une histoire semi-linéaire, où vous alternerez entre examens d’alchimie, exploration des mondes situés de l’autre côté des peintures magiques, vadrouille dans la campagne environnante et avancées régulières dans l’arc narratif de chaque habitant (presque tout le monde dans le village vous considérant comme des larbins à leur service pour résoudre leurs petits problèmes : c’est un RPG). Vous faites tout cela un peu dans l’ordre qui vous arrange, mais la progression de l’ensemble des fonctionnalités et des sous-quêtes du jeu se débloque par palier, à mesure que la notoriété de votre boutique progresse. Pas de pression ici : contrairement à nombre d’anciens jeux de la série Atelier, le passage des heures et des jours n’est ici pour l’essentiel qu’indicatif, et vous aurez tout le temps nécessaire pour faire tout ce que vous souhaitez avant de clore un chapitre et de passer à la suite. Une quarantaine d’heures, un peu plus si vous voulez vraiment TOUT faire, un rythme doux mais constant, cet Atelier Lydie (19ème jeu de la franchise hors spin-of) est le mieux équilibré depuis longtemps.
Moche, bête, mais charmant
Vous l’aurez compris : on ne tient pas là une révolution en terme de performance narrative. What Remains of Edith Finch peut dormir tranquille. Bien que n’étant pas dénué de surprises, Atelier Lydie a un scénario qui oscille entre « anecdotique » et « inexistant », misant bien davantage sur son ambiance et sur une multitude de scénettes rigolotes mettant en scène les différentes aventures quotidiennes de la vingtaine de personnages qui composent l’intrigue. Il y a bien une vague histoire de malédictions et de maman disparue qui infuse derrière tout cela, et quelques moments d’émotion, mais ne nous leurrons pas : dès qu’Atelier Lydie ouvre la bouche, c’est pour dire des âneries (et souvent avec un doublage strident et irritant). Mais ce n’est pas grave, car le propos n’est pas là.
Tout l’intérêt d’un jeu comme Atelier Lydie est sa capacité à installer ou non une ambiance. En l’occurrence, une ambiance tranquille et mignonne, servie par des personnages assez stéréotypés, mais pas bâclés, et des événements venant régulièrement perturber la routine de la petite boutique. Avec sa carte et ses zones qui se déploient de chapitre en chapitre, et ses secteurs qui proposent chacun une ambiance différente (la ferme, la forêt, le marais hanté, etc.), le titre de Gust se dévoile petit à petit et laisse le temps au joueur de bien connaitre chaque protagoniste et chaque aspect du jeu (bestiaire, ingrédients, missions secondaires) avant de passer à autre chose. En résulte l’impression d’avancer en charentaises dans un titre stupide, mais parfaitement confortable, où tout est fait pour votre confort. A ce titre, on ne peut que louer les efforts graphiques et musicaux considérables consentis pour arracher cet épisode aux affres habituels du « titre PSVITA un peu moche et ça pique un peu quand on a la version PS4 en main ». Sans aller jusqu’à dire qu’Atelier Lydie est un beau jeu, c’est un titre qui a tout de même une vraie patine visuelle -on ne pouvait pas en dire autant des précédents épisodes de la trilogie, bien plus génériques-. Avec sa ville aux couleurs méditerranéennes, ses héroïnes aux tenues farfelues et ses peintures magiques doucement inquiétantes, Atelier Lydie se distingue et se traverse sans qu’on ne tique jamais sur des décors recyclés ou une paresse de game design : il y a encore quelques années, cela aurait constitué une prouesse pour Gust. L’absence quasi-complète de fan service gratuit est d’ailleurs appréciable, la série n’ayant pas toujours été exemplaire de ce point de vue.
Le même soin a été apporté au gameplay pour en arriver à ce qu’un quadragénaire un peu pathétique qualifierait de simple et fonky. Car j’ai peu parlé, au fond, de ce qu’on fait concrètement dans Atelier Lydie. Armé de votre petite équipe de chasseurs-cueilleurs (trois membres maximum), vous déambulez dans des espaces relativement petits, en quête de matériaux à ramasser au sol, à miner ou à cueillir dans des arbres, ainsi que de monstres à combattre dans des joutes au tour par tour assez banales. A la différence près avec un JRPG classique qu’un focus énorme est mis sur l’utilisation des objets. Les personnages ont peu de points de magie, et des jauges de vie limitées : normal pour des adolescentes peu versées dans les arcanes des arts martiaux. Aussi il faudra vous équiper en conséquence de puissants objets magiques : ça tombe bien, vous êtes alchimistes.
Bouilleurs de Craft
Vous passez en fait un temps assez important dans votre atelier, à trier, organiser et choisir des ingrédients récoltés lors de vos aventures, pour fabriquer des objets tirés de votre livre de recette, qui s’étoffe à mesure que Sue développe des « idées », sortes d’intuitions liées à des choses vues ou entendues, qui vous permettent de créer de nouveaux objets, ou des variations des précédents. Le système laisse assez peu de place à l’improvisation : il est difficile de créer des objets par erreur contrairement à certains des plus vieux titres de la série qui ne vous cantonnaient pas à une liste pré-établie de combinaisons. Cela n’en fait pas un exercice simple pour autant.
Davantage que la variété des objets, c’est sur leur qualité que vous serez jugé. Chaque ingrédients possède plusieurs attributs liés à sa qualité (une fleur fanée aura par exemple des qualités différentes d’une jeune pousse). Les attributs, symbolisés par des carrés de couleur, sont à répartir sur une grille elle-même constellée de symboles, et les combinaisons de tout ce petit monde sont susceptibles de créer des objets plus puissants que leur version de base, ou dotés d’effets secondaires parfois très utiles au combat. Ça on le rappelle : le menu « item » constituera votre principal atout une fois face aux monstres les plus coriaces. Assez astucieux, mais pas très instinctif quand on essaye de le maîtriser à fond pour obtenir les objets les plus pointus et les objectifs annexes les plus compliqués, ce système de craft a le mérite de se dévoiler très progressivement dans les dix premières heures de l’intrigue, et de posséder des systèmes de tutoriels peu envahissants, mais très complets.
A l’inverse des premiers Atelier en 3D, le niveau de difficulté de la quête principale est assez bas, et prévu pour ne pas freiner le joueur qui aurait peu d’intérêt pour les expériences alchimiques complexes. De fait, vous accomplirez la plupart de vos objectifs pour passer chaque examen alchimique sans même vous en rendre compte, simplement en vous baladant et en résolvant les principales quêtes du jeu. Il révèle toutes ses subtilités et s’avère bien plus rude à maîtriser si vous décidez de créer l’ensemble des objets, équipements et armes d’Atelier Lydie. Ajoutez plusieurs dizaines d’heures à la durée de vie si vous voulez le compléter à 100%.
Par contre, c’est pas pour chipoter, mais…
Le portrait que je dresse d’Atelier Lydie est, vous en conviendrez, assez élogieux au regard de l’ambition assez faible du titre. L’éditeur a largement mis en avant le côté graphique (particulièrement les différents mangakas invités pour le chara design de cet épisode) et a célébré avec force les 20 ans de la série à coup de Platinum Box et autres éditions collector. Il a cependant occulté que malgré tout ce que j’ai pu dire de sympa sur le titre, il reste malgré tout bourré de petits défauts qui pourraient faire disjoncter le plus conciliant des joueurs.
Je passerai rapidement sur ceux qui sont habituels dans la saga en cela qu’elle s’adresse avant tout à quelques milliers d’otakus japonais aux goûts un peu spécifiques : dialogues interminables et insipides, voix criardes, lourdeurs dans l’interface, humour au raz-des-pâquerettes, manque d’enjeux et endgame trop porté sur le grind. Techniquement, et malgré tous les efforts que j’ai souligné, il faut reconnaître qu’Atelier Lydie souffre aussi de graphismes en-deça de la plupart des titres concurrents, et d’un moteur 3D qui continue encore et toujours à patauger. Ce n’est jamais fluide, on reste coincés dans les murs, les arbres et les cailloux, la caméra est mal pensée et les commandes sont imprécises. Plus dommageable encore : alors qu’Atelier Lydie ferait objectivement un excellent premier RPG pour des enfants (mécaniques simples, combats rigolos et ambiance mignonne), son absence de traduction en français le coupe de toute possibilité de rencontrer un jeune public. Dommage, mais pardonnable, Gust n’ayant sans doute pas beaucoup de ressources de ce type à consacrer à un titre aux ventes si modestes. Le jeu s’est extrêmement mal vendu, particulièrement sur Switch, constituant une catastrophe surprise pour l’éditeur. Hélas, ces points discutables cachent un bien plus gros caillou dans la chaussure du 19ème Atelier.
La politique de DLC d’Atelier Lydie est à peu près la même que celle des précédents épisodes, à l’exception des généreux remakes Vita des anciens titres de la série : envahissante et irritante. Outre les dizaines de DLC plus ou moins cosmétiques qui envahissent la boutique du jeu (costumes pour les héroïnes, armes spéciales…), Gust a une fois de plus retiré de son jeu des éléments qui auraient dû s’y trouver dès la version de base : zones de recherche d’ingrédients, événements scénaristiques, personnages entiers manquent à l’appel. Loin d’être anecdotique et cantonnée à des éléments secondaires, cette politique de tronçonnage va jusqu’à transformer certains personnages jouables en simples PNJ, alors que tout le scénario tend vers leur intégration à l’équipe… Qui deviendra effective si vous mettez les quelques euros nécessaire pour les débloquer un par un. Mais ne vous en faites pas, Koei a tout prévu. Avec. Un. Season. Pass. à. 80. Euros.
80 balles, pour un jeu qui vous en coûtera d’ores et déjà 60€ à l’achat. 140€ pour profiter de l’expérience Atelier Lydie telle qu’elle a été pensée par ses développeurs, et pour pouvoir profiter de manière normale de son scénario et de sa world map. Qu’est-ce que vous voulez ajouter à ça ? C’est un foutu scandale. Bien sûr, le jeu est déjà très amusant sans ses personnages et ses quêtes en DLC. Quarante heures à bricoler des potions magiques pour devenir les meilleures alchimistes de la ville, c’est déjà pas si mal, et pour peu que vous soyez client du genre, vous n’aurez aucun regret. Mais gardez en tête qu’à l’ombre des loot boxes, précommandes et accès anticipés abusifs qui empoisonnent l’actualité du jeu vidéo, continuent de perdurer de bonnes veilles arnaques au contenu retranché d’un titre pour être refourguées sous forme de taxe visant les plus accros, les quelques baleines comme on en vient à désigner ces joueurs si accros à tel ou tel titre qu’ils n’en regardent plus à la dépense. C’est cher, c’est de l’arnaque, ne versez pas là-dedans, et préférez toujours une expérience amputée de quelques chapitres à une extorsion honteuse. Gust et Koei se trouveront un modèle économique plus propre, faites leur confiance.
Nous vous l’avions déjà dit pour le mi-figue mi-raisin Blue Reflection : Gust va dans la bonne direction, et parvient à enfin dissocier « JRPG de niche » et « Jeu de merde ». Atelier Lydie, avec ses mécaniques claires et intuitives, son rythme doux et confortable et son ambiance joyeusement neuneue parvient à la quintessence du RPG de craft. Mettons-nous d’accord : il faut être un farouche amateur de jeux japonais très manga-moé-kawai pour trouver son bonheur là-dedans, et la simplicité se fait au détriment de mécaniques qui excluent toute forme de challenge (pas de « bad endings », pas de jauge de temps contraignante, etc). Mais le progrès accompli par Gust en une dizaine d’années est si évident qu’il serait dommage de ne pas le souligner. Atelier Lydie & Suelle, malgré quelques défauts irritants (à commencer par des dialogues stupides et un chara design en dent de scie) est un jeu qui fait très bien ce qu’il essaye de faire : être une sorte de Rune Factory idiot racontant avec bienveillance la vie quotidienne d’une famille dysfonctionnelle tentant de gérer une TPE dans un secteur un peu trop concurrentiel. Dommage que ce plutôt joli tableau soit très légèrement assombri par une des politiques de DLC les plus honteuses de l’année, pas vrai ?
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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