Malgré quelques petits ratés au démarrage (dont une traduction assez ratée et des problèmes de portages), le huitième épisode de la série d’action RPG de Nihon Falcom, Ys VIII : Lacromosa of Dana avait su convaincre. Situé chronologiquement quelques années après les autres épisodes, et délaissant les plages de l’île de Seiren pour une expérience carcérale dans une ville surplombée par un immense pénitencier, le neuvième épisode d’une épopée débutée il y a plus de 30 ans était attendu des fans du genre plus d’un an après la sortie du jeu au Japon.
On a du mal à l’imaginer, mais aux origines de la saga, Ys était une proposition concurrente à la franchise Zelda de Nintendo qui avait sur cette dernière une bonne longueur d’avance technologique. Plus beaux, plus nerveux et plus flashy que les autres RPG bourrins de leur époque, les premiers Ys étaient des objets de pop culture incroyablement cools, qui ont été littéralement mis à terre à la fin des années 90 par un passage à la 3D que Falcom n’a jamais réussi à tout à fait négocier et qui n’a fait que confirmer année après année que la série abandonnait peu à peu ses ambitions ludiques et graphiques pour se concentrer sur son ambiance, son scénario et sa mythologie. Le tout sur fond de speed metal bourrin et de combats à la subtilité d’une tractopelle dans une cristallerie. Ys IX : Monstrum Nox est l’illustration la plus criante de l’impasse dans laquelle la série risque de s’enfoncer : à mesure que son univers continue de s’enrichir et de proposer des aventures de grande qualité, ce qu’on y fait manette en main est de plus en plus inintéressant, et de plus en plus moche. Et ce malgré des idées qui pourraient et même devraient transformer ce neuvième épisode en grand jeu d’action et d’aventure.
Six aventuriers à la Porte de Balduq
Ys IX : Monstrum Nox est un jeu qui vous séduira sans problème si vous aimez les bonnes histoires. Même mal racontées. Même incarnées par un univers gris et flou. Parce qu’à ma grande surprise, le dernier jeu de la série est capable de surprendre par son scénario, et ce malgré une structure rythmée comme un métronome. Il serait simple de résumer ce jeu à : « après s’être échappé de ruines mystiques, d’un continent oublié et d’une île déserte, cette fois-ci Adol se sauve de prison ». Effectivement, on pourrait résumer YS IX à cette triste Reductio ad Prisonbreakum. Mais ça serait ne pas rendre hommage aux détails de l’intrigue du jeu, signée par la même équipe déjà en charge du huitième épisode. Malgré sa structure assez répétitive, Ys IX surprend souvent et constitue l’une des aventures les mieux pensées d’Adol Christin.
Cette fois-ci, notre bon vieil aventurier aux cheveux rouges va faire face aux conséquences des précédents jeux. Les liens entre les différents épisodes de la série sont souvent assez ténus (et pas toujours chronologiquement racontés dans le bon ordre), et les événements d’un jeu n’ont pas toujours de conséquences dans un autre. Ici, on fait le bilan : à peine arrivé, un peu par hasard, dans la ville de Balduq surplombée par une immense colonie pénitentiaire, Adol se fait jeter en prison par les soldats de l’Empire Romun, bien contents de mettre enfin la main sur l’aventurier qui a fait échouer leurs plans à de nombreuses reprises. Après une séquence d’évasion teintée d’éléments surnaturels, Adol va obtenir la capacité de se transformer en « Roi Rouge », un Monstrum, sorte d’alter ego doté d’un super pouvoir unique, une sorte de grappin téléporteur. Le Roi Rouge est chargé avec six autres personnes de protéger la ville de Balduq d’attaques de monstres invisibles issus d’une dimension parallèle. Bien entendu, chaque Monstrum dispose de sa capacité unique (escalader, voler, se téléporter…), bien pratique quand on a toute une ville, immense et verticale, à explorer. Et chacun d’entre eux a une excellente raison de protéger son identité secrète…
Rapidement, Adol constate que tant qu’il a la capacité de se transformer en Roi Rouge, il sera incapable de quitter Balduq. Il doit donc petit à petit se trouver une place à la fois dans la ville, où il doit rester incognito pour en percer les mystères, et à la fois dans le groupe des Monstrum. Chaque chapitre de l’intrigue est structuré de la même manière : découvrir qui est l’alter ego d’un des Monstrum du groupe pour découvrir son histoire et ses motivations, repousser des vagues d’ennemis, explorer les différents quartiers de Balduq pour en découvrir les mystères cachés et aider les habitants via des quêtes annexes, puis terminer le chapitre en explorant via les capacités acquises un nouveau morceau de l’immense prison dominant la ville.
Dit comme ça, ce n’est pas spécialement engageant ni original. En pratique cependant, tout fonctionne à merveille : les mystères de la ville sont vraiment bien pensés (un deuxième Adol semble hanter la prison, des conflits éclatent entre les soldats et les religieux, l’identité de certains des Monstrums est réellement surprenante, etc.), et l’acquisition progressive des pouvoirs permet de réexplorer chaque quartier avec une nouvelle perspective à chaque chapitre. En privilégiant un univers semi-ouvert de petite taille plutôt que des maps immenses, Falcom arrive à créer une vraie densité narrative, servie par un casting assez cliché, mais qui fonctionne bien. La dynamique de groupe est là, et presque tous les habitants de la ville ont une petite histoire assez agréable à suivre, grâce à un système de quêtes annexes et de gestion de base plutôt efficace qui peut en partie être sous-traité ou automatisé pour gagner du temps. Et l’ambiance de mystère qui plane sur le jeu en se dévoilant petit à petit est admirable. En y repensant, malgré ses petits défauts (des dialogues un peu niais qui trainent parfois en longueur), YS IX est une des histoires les plus attachantes dans un JRPG sorti ces dernières années. Le problème, c’est que tout cela est servi par une réalisation où rien ne tient vraiment debout.
C’est moche et c’est pas très agréable à jouer
Comme je le disais, la série Ys a subi un décrochage technologique sévère depuis le passage de la série en 3D. Jusqu’ici, cela ne m’avait jamais heurté : Ys VIII compensait même son retard technique et ses graphismes simplistes par une direction artistique tropicale inspirée et attachante. Cependant, près de cinq ans ont passé depuis Lacrimosa of Dana, et le moteur de jeu de Nihon Falcom est resté le même. Et ce qui pouvait passer pour charmant et joyeux sur une île ensoleillée en 2016 accuse quand même sérieusement le coup en 2021 quand l’essentiel des environnements proposés sont des murs grisâtres, de l’eau trouble, des nuits rouges baveuses aux décors en noir et blanc… L’essentiel de l’action de Ys IX : Monstrum Nox se déroule soit dans des couloirs de pierre, soit dans une ville verticale bardée de murs gris, soit dans des champs verdâtres et monotones faiblement éclairés par une météo maussade. Difficile de se voiler la face, même avec toute l’indulgence du monde : Ys IX est un jeu terriblement laid, avec trois bonnes générations de retard.
Cette direction artistique simpliste et sinistre n’est hélas même pas sauvée par l’emballage : les combats sont illisibles (pas spécialement difficiles, mais brouillons et dotés d’une caméra aux fraises), l’interface est un antimodèle d’ergonomie, avec une map orientée en fonction de la direction du joueur et pas du Nord, qu’il faut régler en permanence, et l’idée même de verticalité au cœur du jeu se heurte à un gameplay absolument pas taillé pour la plate-forme. C’est bien beau de pouvoir escalader, sauter, voler ou user du grappin ou encore de super-sens pour détecter des indices. Mais n’est pas Yakuza, Assassin’s Creed ou GTA qui veut : le moteur physique s’emballe régulièrement, les bugs de collision se multiplient et on se retrouve souvent coincé contre des parois que l’on cherche désespérément à escalader. Ys IX ajoute même des séquences de course-poursuite parfaitement inutiles et dysfonctionnelles qui, loin de briser la monotonie, illustrent surtout les faiblesses du moteur physique de jeu.
À l’inverse, certains éléments des décors n’ont pour ainsi dire aucune physique du tout, et on se retrouve parfois à traverser des murs, des arbres, des toiles tendues qui semblaient pourtant être des obstacles. J’ai également trouvé dommage que vers la moitié du jeu, la ville de Balduq où se déroule l’intrigue se retrouve agrandie et augmentée par la possibilité d’explorer la campagne environnante… Qui s’avère tristement vide, inutilement grande et globalement hors-sujet tant le début du jeu nous rabâche que l’intrigue sera concentrée intra-muros : certes, on peut aller tuer des plantes carnivores dans la pampa, mais c’est une manière assez fastidieuse de rallonger la sauce qui a surtout pour effet de nous éloigner de la densité du hub central.
Je dois dire au fond que je m’attendais à cette déception technique, tant les trailers et les critiques import du jeu laissaient entendre que Ys IX : Monstrum Nox constituait une contre-performance technique et une sorte de « Ys VIII en moins bien ». Cependant, j’ai été chagriné que même les aspects les plus classiques de la franchise, à l’image de sa bande-son de Speed Metal instrumental, soient cette fois-ci une quasi-parodie d’eux-mêmes, ou que quelques bonnes idées du précédent épisode (la défense de base) soient ici réduites à des séquences d’action brouillonnes. Ajoutons à cette (longue) liste de reproches que la traduction française du jeu est une nouvelle fois un peu limite, visiblement traduite intégralement hors contexte et conduisant à des approximations, des contre-sens ou des formulations ambiguës voire incompréhensibles. Mis bout à bout, cela fait beaucoup de problèmes.
La franchise Ys doit passer à autre chose
Je ne sais pas si je peux vous recommander Ys IX : Monstrum Nox ou non. Mis bout à bout, et malgré cette enfilade de défauts techniques et esthétiques, le jeu reste très correct, avec un rythme globalement bon, une écriture solide et une foule de petites idées admirables. Par exemple, les réglages de la difficulté, la gestion des checkpoints et grosso modo les efforts faits pour adapter le challenge à tous les joueurs sont exemplaires et beaucoup d’autres jeux devraient en prendre de la graine. De même, Ys IX est un jeu qui gère beaucoup mieux son exploration de la carte que quasiment tous les open worlds de la génération précédente, et possède une progression des quêtes si organique qu’arpenter Balduq est un plaisir constant. C’est même une preuve par l’exemple qu’un open world à collectibles peut être à la fois riche et dense sans pour autant saturer les sens du joueur de milliers de babioles à récupérer tous les deux mètres. Sa durée de vie, aussi, est un juste compromis entre la densité de l’intrigue et le nombre de donjons… On pourrait lister pendant longtemps tout ce qui fait de Ys IX un jeu terriblement attachant malgré ses défauts.
Mais je ne veux pas être trop indulgent avec un épisode qui patauge autant dans son propre héritage et ses propres mécaniques rincées. Ys VIII était l’aboutissement d’une formule, et son succès commercial était amplement mérité. Ys IX est l’épisode de trop, qui recycle sans innover, et où il est évident que Nihon Falcom commence à être à l’étroit dans son concept, et victime du nombre de projets dans lesquels il est engagé : plus d’un jeu par an depuis dix ans (sans compter les multiples portages et ressorties sur toutes les machines existantes), partagés entre la franchise Ys, les jeux Legend of Heroes et des projets annexes comme Tokyo Xanadu. Il est évident que la photocopieuse tourne à plein régime, les gameplay et les assets des jeux de l’éditeur étant répliqués à l’envi pour permettre cette production intense, et ça commence à se voir.
On l’a vu pour d’autres JRPG, à l’instar de la franchise Atelier, réinventée par l’épisode Ryza ou, avec une toute autre dimension, FFVII remake : prendre un temps de recul pour revoir sa copie de fond en comble est souvent bénéfique pour les vieilles franchises du jeu vidéo qui ont besoin de se renouveler. Non, Ys IX : Monstrum Nox n’est pas un mauvais jeu, ni même un mauvais épisode de la franchise, j’en garderai un excellent souvenir. Mais il est urgent que Nihon Falcom fasse une pause, retravaille les aspects techniques et ludiques de sa série et offre une entrée digne de ce nom à Adol Christin et sa bande dans la next gen. Ce travail de modernisation et de clarification est nécessaire, pour que le dixième épisode, dont le développement est un secret de polichinelle, débouche sur un jeu satisfaisant et pas sur une catastrophe technique à peine rendue attachante par une écriture bien ficelée.
Ys IX : Monstrum Nox a été testé sur PS4 via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch et PC.
Ambitieux par sa narration, truffé de personnages surprenants et misant tout sur le côté organique d’une gigantesque ville prison où se déroule l’essentiel de son intrigue, Ys IX : Monstrum Nox aurait dû être un des grands RPG de son début d’année, s’il ne trainait pas une ambiance de jeu de fin de règne en retard sur tout le reste de la production rôlistique japonaise. Il n’en reste pas moins que cette histoire reprenant à la fois les codes de la fantasy et des histoires de super héros ajoute une pierre solide à l’édifice de la mythologie de la saga d’Adol Christin, qui vient conclure une bonne partie des intrigues entamées depuis le premier jeu. Une conclusion satisfaisante pour tous les amateurs de la série dans sa période PS4, une porte close assez hermétique pour les autres. Dommage, ce jeu méritait mieux.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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