C’est après une dizaine de jours intensifs et 44h de jeu que j’ai reposé la manette : Tifa, Aerith, Cloud, Barret et Red XIII ont quitté Midgar, et c’est le début du voyage qui commence. Sous quelle forme vidéoludique ? On ne le sait pas encore très bien. Les dernières déclarations des responsables du projet ne nous en disent pas beaucoup plus. D’autres épisodes. D’autres jeux. Un jour. Mais ce que la fin du jeu nous apprend, c’est que si FF7 Remake se dote un jour d’une suite (elle est d’ores et déjà en développement), elle a de fortes chances de ne pas du tout ressembler au voyage qui amena en 1997 la bande de Cloud Strife des bidonvilles du village de Kalm au Cratère Nord. À cet égard, la dernière heure de FF7 Remake est une passionnante note d’intention, oscillant entre deux tentations : suivre la ligne étroite tracée par le jeu d’origine, ou en dévier tout à fait. Cet article est, de manière évidente, un spoiler géant des deux versions de FF7 : vous voilà prévenus.
FF7 était le portrait d’une marionnette incapable de voir les ficelles qui le manipulent. Pas FF7 Remake.
On résume trop souvent l’intrigue de Final Fantasy 7 à « une course pour retrouver et tuer Sephiroth ». Il y a un fond de vérité, car FF7 avait un scénario assez simple et qui s’éparpillait assez peu, c’est ce qui faisait sa force. Mais ce ne serait pas rendre justice au scénario de Yoshinori Kitase de 1997, qui ne se résumait pas à une simple course poursuite. Parce que les détails sont parfois un peu lointains, et que le premier FF7 – sa traduction médiocre jouant contre lui – n’était pas toujours très limpide à ce sujet, rappelons que dans FF7, le joueur est persuadé de poursuivre Sephiroth, mais il n’en est en réalité rien. Laissé pour mort dans le flux d’énergie vital de la Planète, Sephiroth, rejeton du viol de sa mère par le professeur Hojo et d’une injection artificielle de cellule d’une entité extraterrestre, passe les deux premiers CD du jeu prisonnier dans un cristal, en stase. Utilisant ses pouvoirs mentaux pour manipuler une bande de clones décérébrés capable de prendre son apparence, il passe en réalité l’essentiel du jeu à guider Cloud de point en point pour lui faire accomplir ses quatre volontés, jusqu’à manquer de le faire assassiner Aerith. Cette dernière sera finalement tuée non pas par Sephiroth, mais par des cellules de Jenova ayant pris la forme du SOLDAT légendaire. Tout dans le jeu, des souvenirs de Cloud à ceux de Tifa en passant par la perception du reste du groupe vis à vis de Sephiroth n’est qu’une vaste manipulation dont les personnages et le joueur sont victimes.
Très tôt, dès le 2ème chapitre sur les 18 que compte le jeu, FF7 Remake donne plusieurs informations au joueur concernant ces points essentiels de l’intrigue du premier FF7. J’en vois trois essentiels :
- Le jeu pose quasiment immédiatement et explicitement le fait que Sephiroth ne soit pas physiquement présent à Midgar. Ses visions sont essentiellement des hallucinations de Cloud présentées comme telles, aucun autre personnage (jusqu’à la quasi fin du jeu) n’interagit avec lui, les hommes encapuchonnés et tatoués sont explicitement présentés comme les réceptacles physiques de Sephiroth. Il est également établi verbalement que Cloud est manipulé par Sephiroth et que ce dernier le guide (ce pan de l’intrigue n’apparaissait que très tard dans l’intrigue originale, et ne devenait évident que lors de la mort d’Aerith).
- Les intrigues de FF7 et FF7 Remake ne sont pas les mêmes, du moins pas exactement. Dès le sabotage du premier réacteur Mako, c’est l’évidence même, puisque les coupables de l’explosion changent (dans FF7, c’était Avalanche. Dans FF7R, c’est la Shinra qui sabote son propre réacteur, la bombe de Jessie faisant long feu). Très tôt, dès la première heure de jeu, les scénaristes de FF7R affirment donc que les points considérés comme acquis par le jeu de 1997 ne le sont plus nécessairement.
- Dès la première heure de jeu, FF7R introduit un élément clé totalement absent du jeu d’origine, les « Fileurs » (Whispers si vous faites le jeu en anglais) ; agissant dans un premier temps comme des murs invisibles vous guidant dans la bonne direction, et révélés être diégétiquement exactement cela dans le dernier chapitre : des entités présentes pour s’assurer que les personnages iront exactement dans la bonne direction, en respectant un futur déjà écrit. Le remake de Square Enix se permet donc l’ajout d’éléments totalement nouveaux.
Ces trois différences majeures impliquent beaucoup de choses. Tout au long du remake, le joueur est incapable de savoir ce qui se déroulera comme dans l’original et ce qui variera un peu, voire complètement, bien que l’essentiel des points nodaux demeurent (les deux réacteurs, le Wall Market, l’explosion du pilier, etc.). Plus le jeu avance, et plus les déviations par rapport au jeu d’origine se multiplient : Cloud et Barret n’ont plus du tout la même relation, le sabotage du second réacteur n’a qu’un rapport lointain avec celui du premier jeu, un chapitre entier (assez médiocre) est consacré à Jessie, Biggs et Wedge et seule cette dernière meurt dans l’épisode de l’écroulement du pilier. Don Cornéo apparaît plus longtemps, Avalanche possède plusieurs factions en activité et des personnages issus de la continuité des romans (Leslie, Kyrie) ont été ajoutés à l’intrigue. Le déroulé des événements dans la Tour Shinra remet sur le devant de l’intrigue l’aspect écologique du jeu, et modifie en profondeur la mort du Président Shinra. Bref, si FF7 Remake nous répète bien quelque chose, parfois à coup de surligneur pas très subtil, c’est que rien ne garantit que ni les péripéties ou les enjeux même de cette nouvelle version aient tant de rapport que cela avec ceux de la version originale.
Je ne sais pas si j’ai envie que FF7 devienne un gros fouillis à base de lignes temporelles et d’univers alternatifs, mais ce n’est peut-être pas ce qui va se passer
La dernière heure de jeu de FF7 Remake consiste, presque littéralement, à tuer le destin personnifié, et donc ce qui était déjà écrit depuis 1997. Suivant en cela à la fois les recommandations de Sephiroth et d’Aerith (deux personnages particulièrement maltraités par le jeu d’origine, puisqu’ils en étaient les principales victimes), Cloud est amené à passer dans un portail magique et à zigouiller l’entité qui, depuis le début du remake, empêchait l’intrigue de dévier de ses rails d’origine, avec un autre coup de surligneur sur le personnage de Barret « t’es mort / pouf t’es plus mort » pour illustrer le procédé.
On ne va pas se mentir, l’exécution de cette péripétie manque d’élégance, et on tombe quand même pas mal dans les habituels travers des scenarios supervisés par Kitase, Toriyama, Nojima et Nomura depuis une vingtaine d’années : phrases cryptiques, personnages masqués, embrouillamini de causes/conséquences inutilement compliquées, et ouverture de tiroirs narratifs dont on sent qu’ils ne seront jamais vraiment refermés (les flashback concernant Nibelheim laissent entendre qu’on se dirige vers du bon vieux n’importe quoi pas franchement cohérent). Plus une intrigue est complexe, plus elle a de chance de ne pas avoir beaucoup de sens au final, mais il faut bien admettre que la proposition de fin de FF7 Remake consistant à dire au joueur « eh bien, ce n’est pas un Remake » possède une force narrative intrinsèque vraiment forte. Personne ne s’attendait vraiment à ce qu’une décision si audacieuse soit envisagée, tant FF7 et ses moments clés appartiennent à l’imaginaire collectif du jeu vidéo. Pour tout dire, je pense que c’est une des premières fois où je vois un jeu à ce point personnaliser ses fans et ses gardiens du temple (sous forme de fantômes relous) pour leur dire, passez-moi l’expression, d’aller se faire voir ailleurs. Rares sont les jeux qui disent à la frange des quadragénaires nostalgiques habituellement chouchoutés par l’industrie que ce ne sont pas eux qui commandent.
J’ai très envie de penser que tout ce que propose FF7 Remake en termes de relations entre ses personnages (très réussies), d’univers, de variations sur les souvenirs des joueurs et d’immense potentiel aille quelque part, et que ce quelque part soit le début d’une série de jeux qui rendent enfin honneur à un univers étendu qui a jusque là été assez desservi à coup de Dirge of Cerberus et autres apparitions foirées dans les premiers Kingdom Hearts. Le canon de FF7, son univers foisonnant et ses thématiques archi actuelles méritent mieux qu’une simple redite avec des graphismes modernes. Les 45 premières heures de cette proposition nous prouvent que c’est possible.
Mais j’ai aussi peur que cet acte de meurtre littéral contre le destin ne soit que le prétexte au début d’un n’importe quoi généralisé permettant de ressusciter des personnages à gogo, de multiplier les voyages dans le passé et dans le futur comme dans un vulgaire épisode filler de Dragon Ball Z, et que le tout soit servi par des multitudes de personnages cagoulés aux noms plein de X et d’apostrophes grommelant des clichés sur la destinée, le pouvoir de l’amour et le cycle de la vie. À ce titre, le personnage inédit de Rochey-le-motard-du-SOLDAT est un repoussoir absolu et livre les séquences de loin les plus mauvaises du jeu. Bref, il y a un risque que le lore de Final Fantasy 7 voie sa sauce épaissie par un gros tas de crème chantilly à la graisse de canard, et tant pis si ça devient impossible à avaler.
Cela serait tragique, car le tour de passe-passe de la dernière heure de FF7 se suffit à lui-même et n’a pas besoin de davantage de fioritures : puisque le destin des héros a déraillé, et puisqu’on a montré au joueur qu’il existe d’autres lignes temporelles (une ou Zack aurait survécu, par exemple, au grand désespoir de l’Aerith présentée dans le jeu), alors maintenant tout peut arriver : place à la suite, faites nous confiance, et ne faites pas confiance à vos souvenirs. Rien que cela remet largement en perspective tout ce qu’on connait de la suite de FF7, et relance à mon sens un intérêt qui se détache de la simple idée de « comment ils ont refait mon passage préféré du jeu ». Et j’aimerais vraiment que Square Enix s’en tienne à ça : une nouvelle version d’une histoire, débarrassée de la contrainte de devoir faire exactement la même chose qu’avant. Mon optimisme est prudent.
Faites fructifier ce que vous avez compris du game design moderne
Il restera, quoi qu’il arrive, quelque chose de cette insolite prise de risque consistant à balayer d’un revers de la main les souvenirs des gardiens du temple et des nostalgiques. Pour la première fois, Square semble avoir compris qu’il était effectivement possible de s’adresser tout à la fois « aux fans et aux nouveaux venus » sans insulter ni les uns, ni les autres, ni produire un entre-deux médiocre. Le plus étonnant, c’est que dans sa version actuelle, et à rebours de bien des nullités produites par Square Enix et ses filières ces dernières années, il est évident que la firme a appris.
Elle a appris à faire un système de combat : celui de FF7 Remake est excellent. Elle a appris à mettre en rapport des moyens et des ambitions : le titre a une structure en couloir parfois agaçante et voyante, mais son rythme et sa direction artistique tiennent sans agacer quarante heures en haleine. Elle a appris à écrire, et mieux que la plupart de ses concurrents, des personnages qui existent, se parlent, interagissent, ont des relations sensibles qui ne passent pas exclusivement par le héros de la troupe, à l’image des conversations attachantes entre Aerith et Tifa ou entre Red XIII et Barret. Et surtout, le jeu a enfin compris qu’un monde existait en dehors de Final Fantasy.
Le chapitre du marché des plaisirs emprunte de manière évidente à la série Yakuza, le rythme du jeu et les séquences les plus spectaculaires empruntent de manière évidente aux blockbusters à la Uncharted, les superbes combats contre les boss ne seraient rien sans une décennie de JRPG peuplés de Souls, de Tales of et de Zelda. Même la direction artistique (à commencer par l’OST, phénoménale) est un témoin constant du sérieux avec lequel Square Enix a revu sa copie après l’avoir confisquée à Cyberconnect2, dont il était absolument évident qu’ils n’avaient pas les épaules pour assumer un tel projet.
Et c’est ce qu’on viendrait à souhaiter des graines plantées dans cette dernière heure. Les producteurs du jeu ont minimisé et euphémisé l’impact de ce qui se déroule entre la mort du Héraut Fileur et la « résurrection » de Zack, en tenant à rassurer les joueurs sur le fait qu’ils allaient bel et bien retrouver tous leurs passages préférés du jeu par la suite. Évidemment, le Gold Saucer, les courses de Chocobo, Corel Nord, les Armes, le Cosmo Canyon, tout ceci a vocation à revenir et à en mettre plein les yeux. Mais s’il est établi que ces passages ne se dérouleront pas nécessairement exactement de la manière dont ils étaient présentés en 1997, puisque la prédestination n’existe plus, il reste, en gros, deux chemins possibles.
Le premier, qui me semble de loin le plus raisonnable, serait de poursuivre sur une histoire dont l’efficacité et la simplicité serait équivalente à ce que proposait FF7, quoi qu’il advienne concrètement. Qu’Aerith meure ou survive n’a pas grande importance, si tout ce qui est proposé ensuite s’inscrit dans la continuité de ce premier épisode et de la finesse avec laquelle il dépeint ses personnages, à l’exception de Jessie, Biggs et Wedge, catastrophiques caricatures d’archétypes grotesques qui ne se voient que trop quand tous les autres personnages sont si réussis.
Le second, principal danger à mon sens qui plane sur ce remake, serait de se lancer dans un cafouillage confus à base de réalités parallèles, de voyages dans le temps, de résurrections, d’entités mystérieuses manipulant des divinités, de voyages dimensionnels, de Clouds et d’Aertihs multiples coexistant dans des plans d’existence superposés, bref, tout ce qui ferait complètement dérailler FF7 Remake de son statut de jeu au gameplay et à la narration étonnement modernes et pertinents dans ce début de décennie vers une énième Kingdom-hearterie qui ne ferait le bonheur que d’une poignée de fans et des rédacteurs de wikis. Si les prochains épisodes, peu importe leur forme, évitent cet écueil, alors rarement un remake n’aura été si bien mené. Et s’il faut en passer par un combat d’une heure contre des serpillères fantômes et une montagne ténébreuses symbolisant le destin pour en arriver là, eh bien tant pis, cette dernière heure en valait la peine.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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