L’éditeur suédois Thunderful Publishing avait un programme chargé pour cette fin d’année, ayant coup sur coup sorti White Shadows (on avait bien aimé), Firegirl (on avait moins aimé) et The Gunk. Ce dernier cas est cependant atypique : exclu destinée aux plateformes Microsoft, il s’agit d’un puzzle platformer 3D très scénarisé mettant en scène un duo haut en couleur… Bref un pitch qui semble tout droit sorti d’une jaquette de jeu des années 90.
La philosophie de game design du studio Image & Form Games (créateur de la saga Steamworld) s’est toujours appuyée sur une vibe assez retro et nostalgique, mais rarement un de leurs jeux n’aura à ce point ressemblé à un mélange de différentes expériences issues des différentes générations de consoles. Avec son gameplay d’aspiration de trucs qui évoque Super Mario Sunshine et Luigi’s Mansion et son intrigue coincée quelque part entre Jak & Daxter et Beyond Good and Evil, on aurait pu craindre que cette histoire de boue spatiale tourne vite à la farce rétrograde… Mais ô surprise, il n’en est rien, et The Gunk, sans rien révolutionner, se place comme l’une des expériences les plus solides et carrées de cette toute fin d’année vidéoludique. Parfois, il suffit de quelques belles idées bien agencées.
Les ferrailleuses de l’espace
Dans un futur indéterminé mais assurément super lointain, Rani l’exploratrice et Beck la pilote sont deux ferrailleuses de l’espace dans la panade : endettées jusqu’au cou, incapable de réparer leur petit vaisseau et encore moins de faire le plein, elles se posent un peu en catastrophe sur une planète inexplorée en quête de trésors à ramasser, histoire de se tirer de ce mauvais pas financier et de dénicher quelques bricoles à vendre à leur retour. Mais bien vite, en commençant à crapahuter sur l’astre désolé, Rani la casse-cou découvre que ce dernier est pollué par une mystérieuse matière mi-nuageuse mi boueuse, le Gunk. Coup de pot : elle a un gros aspirateur dans le dos, et l’intention de s’en servir. Après avoir nettoyé une première zone, Rani et Beck découvrent qu’une fois le Gunk retiré, la planète semble revenir à la vie et se couvrir de verdure.
Vous l’aurez saisi : l’essentiel de l’intrigue de The Gunk est simple mais efficace et va surtout consister à envoyer Rani à droite et à gauche pour nettoyer divers endroits de ses couches de pollution, et ainsi essayer de faire la lumière sur l’origine du phénomène tout en récoltant des ressources nécessaires à la réparation du vaisseau de Beck. Tout au long d’une aventure assez ramassée et scénarisée puisqu’il faut moins de 8h pour en voir le générique de fin et le terminer à 100%, le jeu déploie une histoire certes pleinement insérée dans les canons du genre mais plutôt efficace et servie par quelques rebondissements inattendus.
Au cœur de cette intrigue : la redécouverte progressive d’une civilisation disparue et l’évolution de la relation entre les deux héroïnes, oscillant entre une affection évidente et une relation de travail parfois complètement dysfonctionnelle. Si Beck est prudente et réfléchie, souhaitant éviter un maximum de dangers, Rani est au contraire une fonceuse invétérée, faisant passer son envie de découverte avant toute notion élémentaire de sécurité. Au fil du jeu, cette relation va donc se tendre, parfois se trouver proche de la rupture, et toujours chercher une nouvelle forme d’équilibre de manière plutôt organique. Avec un nombre de personnages très réduit (on ne croise quasiment personne d’autre que les deux héroïnes pendant une grande partie de l’aventure), The Gunk se concentre sur la qualité de l’écriture de la relation entre Rani et Beck, qui parvient à être beaucoup plus naturelle et vraisemblable que dans nombre de jeux du genre (on pense à Haven et ses dialogues d’exposition un poil forcés).
Voici donc un jeu qui est l’exemple parfait du « il vaut mieux faire peu, mais bien, que trop mais n’importe comment ». Avec un fil directeur simple, des personnages clairement posés et un dénouement logique mais touchant, The Gunk ne sort certes pas des rails mais livre une intrigue dense et plaisante à suivre, à savourer en une ou deux sessions, quasiment dénuée de temps mort et de remplissage. On appréciera aussi particulièrement que le jeu parvienne à pousser certaines thématiques importantes (le handicap, l’écologie…) sans se sentir obligé pour autant de les surligner et de les marteler avec force tambours et trompettes : ici on fait confiance à l’intelligence du joueur ou de la joueuse pour comprendre tout ce qui se dit en creux de l’aventure, et c’est fort reposant.
Et qui c’est qui nettoie ?
J’avais un peu peur au vu des premières minutes de jeu que The Gunk ne soit qu’une sorte de walking simulator vaguement paré d’un artifice de gameplay en forme d’aspirateur magique. Cependant, à ma grande surprise, le jeu d’Image & Form n’oublie pas de varier les plaisirs. Certes, la plupart du temps, les interactions avec le décor se résumeront au plaisir simple consistant à arriver dans une pièce, à aspirer toute la bouillasse du coin et à regarder le décor reprendre vie. Mais bien vite, The Gunk arrive à varier les plaisirs : quelques petites énigmes parsèment l’aventure, quelques secrets à dénicher ici ou là dans les recoins ou encore quelques phases de plateformes plutôt équilibrées et agréables. On note aussi quelques phases de craft et d’amélioration de l’équipement, mais ces dernières sont pensées pour être fluides et se déclenchent assez naturellement à mesure que vous avancez sans jamais vous pousser à farmer : c’est un plaisir.
Tout juste déplorera-t-on quelques ombres à ce tableau très plaisant, à commencer par la présence de combats, qui arrivent comme un cheveu sur la soupe et semblent avoir été rajoutés un peu au forceps dans un jeu qui n’en a pas franchement besoin. On se retrouve ainsi de trop nombreuses fois à perdre du temps à aspirer les mêmes monstres pour les balancer dans le décor, ou à affronter le même boss dans différentes arènes. Le bestiaire est réduit, les affrontements pas franchement intéressants, et le gameplay pas très bien taillé pour rendre l’ensemble satisfaisant ou lisible. Ce n’est pas un gros problème, particulièrement parce que ces affrontements ne présentent aucun challenge et qu’il faut quasiment le faire exprès pour ne pas les remporter, mais cela gâche quelques séquences qui auraient été beaucoup plus fluides sans eux.
On aura aussi quelques petits bémols sur le tout dernier niveau parcouru dans le jeu : si toute l’aventure propose des décors variés, assez spectaculaires et une architecture alien inspirée, la dernière heure va au contraire vous proposer d’escalader (deux fois !) la même structure maronnasse et enchaîner de manière un peu soporifique arènes de combats et arènes d’énigmes à base de leviers à pousser, le tout sans plus renouveler les sensations de jeu et sans faire beaucoup avancer un scénario quasiment déjà bouclé. Ce n’est pas assez pour gâcher l’aventure, mais tout de même une ombre au tableau, puisqu’on aurait aimé une qualité d’exécution constante jusque dans les dernières minutes du jeu.
The Gunk a été testé sur PC via une clé envoyée par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur les consoles Xbox.
The Gunk n’a, à proprement parler, strictement aucune originalité. Tout ce que vous verrez et ferez dans ce jeu, de la réalisation au gameplay en passant par les thématiques abordées ou encore le ton mi-sérieux mi-léger des aventures de Rani et Beck, vous l’avez sans doute déjà joué ailleurs. Néanmoins, The Gunk c’est aussi une écriture assez fine, une exécution très solide et une aventure parfaitement calibrée presque jusqu’à la fin. Dans une année qui aura été marquée par nombre de jeux trop ambitieux ne parvenant pas à atteindre leur cible en s’éparpillant dans tous les sens, The Gunk s’inscrit au contraire dans ce qu’on aimerait voir plus souvent : c’est court, c’est carré, c’est maîtrisé, et on s’amuse. Une vraie belle surprise qui sauve un peu ce mois de décembre en demi-teinte.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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