En 2016 sortait une véritable petite bombe indépendante et française dans le paysage vidéoludique : Furi. Avec ce boss rush exigeant et intense, le studio montpelliérain The Game Bakers s’est hissé directement dans la liste des studios de jeux vidéo à suivre absolument. Furi fut un succès critique et commercial dans le monde entier. Mais vendre des palettes entières de leur jeu n’a pas arrêté The Game Bakers dans leur volonté de proposer des expériences originales et qualitatives, les fameux triple i si chers au co-fondateur du studio, Emeric Thoa. Plus de 4 ans plus tard sort donc Haven, leur nouvelle production. Un jeu à des années lumière de Furi, aux qualités bien présentes mais qui, à l’instar de son aîné, risque de diviser sur sa proposition.
Dans Haven, le joueur prend le contrôle de Kay et Yu, un couple qui a décidé de fuir leur planète pour aller vivre leur amour interdit le plus loin possible de leur société dirigée par un Conseil tout puissant et surtout, par l’Apaireur, sorte d’entité chargée de mettre les habitants en couple en fonction d’un pourcentage de compatibilité. Yu et Kay n’ont pas été choisis par l’Apaireur pour être ensemble, c’est pourquoi ils deviennent en quelque sorte des hors-la-loi qui ne rêvent désormais que de liberté. Leur vaisseau, appelé à juste titre le Nid, atterrit sur la planète Source. Ils se rendent vite compte que la paix et la solitude recherchées ne sont pas vraiment au programme et ils devront explorer les îlots flottants (créés par l’explosion mystérieuse de la planète) pour découvrir ce qu’il s’y passe et trouver des pièces pour réparer leur vaisseau endommagé peu après l’atterrissage.
Quand l’amour n’est pas réciproque
Haven est un jeu bien particulier. Et je dois vous avouer que j’ai dû attendre et laisser reposer mes pensées avant d’écrire cette critique. J’ai dû assez longuement réfléchir, même lorsque je jouais, à comment j’allais tourner cet article. En faire un papier personnel, sur une expérience douloureuse récente qui a pu jouer sur mon ressenti vis-à-vis du jeu ? Non. Délivrer un essai philosophique sur ce qu’on est en droit d’attendre ou pas d’un jeu ? Je n’allais pas vous ennuyer avec un sujet trop long et trop complexe pour ce que je visais. Comment alors ? Eh bien j’ai décidé de vous montrer que je n’ai pas aimé Haven tout en vous expliquant que c’est un jeu plein de qualités.
Oui, mes 14h de jeu sur Haven n’ont pas été une partie de plaisir et la cause principale a été l’histoire et les personnages de Kay et Yu. En préparant cet article, en revisionnant les trailers et en lisant les publications d’Emeric Thoa sur les intentions du jeu, je me suis rendu compte que j’en attendais beaucoup trop. La communication autour de Haven a surtout tourné autour de l’histoire d’amour que le studio veut nous conter. Cette relation entre les deux personnages qui est au centre du gameplay du jeu. J’en attendais alors une histoire profonde, complexe et nuancée entre Kay et Yu. Mais, si amour il y a bien dans Haven, je n’ai jamais réussi à le ressentir pour les personnages. Si histoire il y a dans Haven, elle ne m’a jamais vraiment transporté et je ne me suis jamais senti impliqué. La faute selon moi aux deux gros points noirs du jeu qui sont l’écriture et le jeu des acteurs. Une écriture simple délivrant des banalités de couple lors de séquences de dialogues beaucoup trop longues et nombreuses. Et un jeu d’acteur tellement froid et désincarné, que j’en suis venu à ne pas aimer les personnages (en plus de leur personnalité assez agaçante).
Il y a aussi ce côté couple trop parfait avec une belle gosse et un beau gosse qui sont super heureux ensemble et qui ne se quitteront jamais jamais. Une vision assez fantasmée je trouve de ce qu’est une histoire d’amour. Alors oui, on comprend que Kay et Yu ne sont pas ensemble depuis très longtemps, on peut donc mettre leur enthousiasme trop prononcé sur le dos de la fameuse “période bisounours” qu’on a tous vécue. Mais je n’arrive pas à me dire qu’ils ne sont pas insupportables. Donc, forcément, à partir de là, je vais me détacher. Et comme le jeu entier est tourné autour de nos deux tourtereaux, si on détache la locomotive, c’est tout le reste du train qui va se retrouver abandonné sur la voie, quoi qu’il transporte dans ses wagons.
Impressions mi-figue mi-raisin
Il y en a pourtant des choses dans ces wagons ! Et des choses intéressantes, même si tout n’est pas parfaitement exécuté. Déjà le gameplay de Haven qui est tourné autour de deux points centraux. Le couple de Yu et Kay, déjà, mais aussi l’Onde. L’Onde, c’est, dans cet univers, un courant naturel issu du cœur des planètes, présent dans tout l’univers, qui sert à alimenter en énergie tout ce que les humains construisent. L’utilisation de l’Onde est donc primordiale tout au long de l’aventure. Les deux personnages se déplacent en lévitant au-dessus du sol grâce à des bottes fonctionnant à l’Onde, les courants naturels d’Onde leur permettent de gagner en vitesse ou d’accéder à des endroits inaccessibles autrement, les attaques utilisent l’Onde, etc. Si les déplacements manquent parfois de précision (impossible de tourner la caméra avec le stick droit en lévitant, obligeant donc à faire de grands tours pour se repérer sur les îlots), ils procurent tout de même un sentiment grisant de mobilité et de liberté, notamment lorsqu’on emprunte un flux d’Onde qui nous fait voler encore plus haut pour atteindre le sommet d’une petite montagne.
Ces flux d’Onde par contre révèlent selon moi un certain problème de level design. Pour accéder à des endroits inaccessibles, il faut parcourir les îlots (heureusement pas trop grands, mais très nombreux) et essayer chaque flux d’Onde pour voir où celui-ci nous mène car sa trainée bleue se dévoile au fur et à mesure de notre avancée dessus, donc on ne voit jamais son point d’arrivée avant d’y être. J’ai souvent tourné en rond sur les îlots pour essayer de trouver le bon flux qui m’amènerait au bon endroit, me perdant parfois et n’arrivant plus à m’orienter ou à me souvenir de quels flux j’avais déjà essayé. Des flux qui, pour couronner le tout, me laissent à penser qu’ils ont été programmés spécialement pour nous faire rencontrer le chemin d’un ennemi et enclencher un combat. Ce n’est sûrement pas vrai pour la plupart des cas, et je dois céder au syndrome du “dans un jeu en monde ouvert, quand tu prends un véhicule et qu’un arbre se présente sur ton chemin, tu vas obligatoirement te le prendre, même si c’est le seul arbre au milieu d’un désert”.
Mais cela m’offre une bonne transition pour parler des combats que je n’ai pas aimés. Je vais d’abord commencer par dire que fort heureusement, ceux-ci sont évitables pour la plupart. Mais lorsque affrontement il y a, c’est une autre paire de manches alors que l’originalité est bien là. C’est peut-être d’ailleurs un des meilleurs exemples de cette histoire de couple mise au service du gameplay.
En jouant en solo (faire le jeu en coopération c’est possible mais il faudra que l’autre joueur possède aussi une manette) la croix directionnelle et les touches de la manette sont associées à un personnage. Les attaques de Kay sont effectuées avec la croix et les attaques de Yu avec les touches. Il faut donc réfléchir pendant ces phases de combat dans une forme de tour par tour mais en temps réel, inspirées des RPG japonais, aux actions et synergies à effectuer en fonction des ennemis qu’on affronte. Préparer un bouclier pour Kay afin qu’il se protège ou protège Yu d’une attaque à venir, tout en faisant charger une attaque au corps à corps pour Yu. Charger ensemble une attaque explosive afin d’infliger plus de dégâts mais avec un temps de préparation plus long, au risque donc de se prendre aussi plus de dégâts.
Des possibilités nombreuses, qui demandent certes de la réflexion mais dont la mécanique est freinée par les nombreuses attaques des ennemis. On a rarement le temps de réfléchir entre deux attaques (et on ne veut pas forcément perdre trop de vie parce que cela voudrait dire un énième retour au Nid ou à un campement pour se soigner et au bout d’un moment c’est chiant de faire ces allers-retours) et on martèle les boutons en essayant de se souvenir quelle attaque était la plus efficace contre cet ennemi. Bref, une mécanique un peu hasardeuse et frustrante à mon sens mais qu’il est heureusement possible d’éviter la plupart du temps.
Pour le dernier point négatif que je voulais aborder je vais faire court : je n’ai pas aimé cueillir la flore locale pour la cuisiner ou fabriquer des objets de soin. Je détestais devoir faire la cuisine dans Breath of the Wild, je détestais devoir faire la cuisine dans les Sims, les jeux de survie m’énervent, je déteste donc naturellement devoir faire la cuisine dans Haven. Cela prend du temps, c’est répétitif (quand tu dois cuisiner 15 plats d’affilée pour être SÛR d’avoir de quoi faire) et cela ne m’a pas semblé utile, ajoutant plutôt une certaine pression avec l’ajout d’une barre de faim qui, une fois vide, nous oblige à devoir faire demi-tour pendant notre cheminement jusqu’à un îlot où il est possible de manger et se reposer et donc se farcir encore des écrans de chargement et des séquences de discussions pas intéressantes.
Un petit cocon de douceur
Là, en me lisant depuis le début, en tant que fan de The Game Bakers (ou en tant que développeur, et je m’en excuse), vous voulez peut-être me faire une bonne tête au carré. Mais comme je l’ai dit, Haven a des qualités. Son côté tranquille (d’aucuns diraient “chill”) et son ambiance sont réussis. Sur notre îlot de départ, sur lequel est posé le Nid, on se sent vraiment en paix. Les petits animaux sauvages gambadent paisiblement, les fruits et légumes poussent dans le petit potager, le vent fait se plier les nombreux brins d’herbe de Source… Et le Nid est vraiment douillet. On a envie d’être à l’intérieur nous aussi pour profiter de sa banquette qui a l’air confortable, de son petit jardin d’intérieur ou de sa cuisine/salle à manger avec vue sur les îlots volants au loin. Le tout est souligné par une excellente bande-son signée Danger qui parvient, grâce à ses thèmes electro, à créer des ambiances en lien avec ce qu’il se passe sur les îlots. Un son plus énergique et angoissant pour les îlots infestés de Rouille (une matière qui corrompt le sol et les animaux, les rendant agressifs) et donc où le danger est présent, et un son plus joyeux, plus aéré, pour les endroits lavés de la Rouille, où tout est revenu à la normale.
Je retiens également la direction artistique de Haven avec ses couleurs chatoyantes du début à la fin de l’aventure et le travail apporté sur les créatures qui peuplent Source. Même les insectes y sont mignons et il est possible de pet quasiment tous les animaux, ce qui est toujours un bon point dans un jeu. L’interface, resserrée au plus simple, est une bouffée d’air frais, à l’heure où les jeux nous envahissent régulièrement de points d’intérêt sur l’écran, de barres d’énergie, de vie, les objectifs qui s’affichent, la map, les points de dégâts, etc. Ici, juste une petite bulle en haut à gauche nous indiquant notre réserve d’Onde et quelques petits pop up ici et là lorsqu’une action est possible. Le menu est lui aussi dans son plus simple appareil et même la map est réduite au minimum avec la possibilité de l’afficher quand on veut en jouant. Cette simplicité fait du bien.
Et du coup cela me fait revenir à tout ce que je disais au début de cet article. La volonté du studio était depuis le début de nous livrer un jeu simple. Des mots même d’Emeric Thoa, le but de Haven est de nous reposer. Après un Furi éreintant, à jouer et à développer, The Game Bakers a voulu faire l’exact inverse avec Haven. Nous proposer un jeu pour respirer, pour s’évader. Un jeu simple à tous les points de vue : pas un challenge trop élevé, privilégier les moments de détente plutôt que les combats, apporter une atmosphère agréable… Et donc, lorsqu’on y réfléchit bien, retrouver une écriture simple et une histoire d’amour simple et positive, est-ce si mal ? Non, évidemment et cela fait même du bien, objectivement, au milieu de ce paysage vidéoludique qui change à 1000 à l’heure. Peut-être que finalement mon expérience douloureuse récente m’a influencé dans mon appréciation de Haven mais, tout cela ne m’a tout de même pas intéressé.
Haven a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est aussi disponible sur PS5, Xbox Series X et Xbox One. Les versions Switch et PS4 sont prévues pour le premier trimestre 2021.
Haven est au final tout ce que The Game Bakers avait promis qu’il serait : un jeu pour faire se reposer les joueurs, pour leur changer les idées entre deux parties de battle royale ou entre une série d’essais infructueux contre un boss trop dur à battre. Un jeu centré autour de l’amour de ses personnages, qui apporte des idées intéressantes en matière de game design. Et il est en cela objectivement un bon jeu. Malheureusement, son écriture, le traitement de ses personnages et les mécaniques qui en découlent ne m’ont pas du tout plu à titre personnel. Je pense que Haven va avoir le même souci que Furi : à savoir qu’une frange des joueurs ne va pas l’aimer pour sa proposition, tout en reconnaissant ses qualités. Il m’est très difficile de vous recommander Haven, mais il m’est impossible de ne pas vous dire de l’essayer par vous-même et de vous faire votre propre avis.
Benjamin "Noodles"
Faire des jeux de mots c’est mon dada. J'aime bien tous les jeux aussi. Sauf les mauvais ou ceux qui nous prennent pour des glands.
Articles similaires
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024
Great God Grove - Queer et élastique
nov. 11, 2024