Il fait tellement partie du paysage, est tellement implanté dans l’industrie sous tellement d’aspects et tellement de philosophies, on ne fait plus vraiment attention au jeu dit rétro, qu’il s’agisse d’émulation, de remakes, de remasters ou de jeux originaux « comme on faisait avant ». On avoue (Chloé et Shift) ne plus tellement faire attention quand sortent des remasters à la pelle, ou le énième jeu en pixel art en hommage à telle ou telle gloire passée. Et nous pensons que ce phénomène est en partie dû à un savant mélange d’esthétiques, concepts et gameplays datant des années 80 et 90, et d’innovations en termes d’accessibilité, de game design et d’intention : ces jeux semblent « comme avant », du moins comme on s’en souvient, par le prisme forcément déformant de notre nostalgie, mais bénéficient en réalité du riche bagage de presque 50 ans d’histoire du jeu vidéo.
C’est le cas de titres comme Celeste, qui de prime abord ne paye pas de mine, avec son pixel art et ses mécaniques somme toutes classiques de plateformer, mais qui fait preuve d’une inventivité incroyable quand il s’agit de narration par le gameplay, d’accessibilité et de game feel, et qu’il aurait probablement été impossible d’atteindre à l’époque d’un Super Mario World, autant pour des raisons techniques que d’évolution du média. Le même type d’exemple s’applique aux autres genres, en témoigne Ikenfell, avec sa revisite aussi fidèle qu’innovante de tactical RPG aussi variés que les Paper Mario, Mario & Luigi, Mega Man Battle Network ou Mother 3, pour en tirer un jeu étonnamment personnel et original. Il en sera de même pour le très bon Axiom Verge, qui capte comme aucun autre l’esprit et l’esthétique des Metroid, ou de Wargroove, qui se pose comme un très bon héritier d’Advance Wars, l’ergonomie et la finesse technique en plus. Des titres qui ont l’intelligence de ne pas reprendre la formule de leurs modèles au pied de la lettre, en prenant en compte l’évolution du média, du public, des problématiques et des standards, que ce soit en termes d’interface, de maniabilité, de conception, d’accessibilité, bref, du rétro certes, du pixel art et de la musique 8-bits, d’accord, mais au service d’un jeu qui répond aux attentes d’un titre de 2021.
Mais. Mais il y a toute une partie du jeu dit rétro à ne pas suivre ce qui s’apparente à du bon sens, et à faire du jeu vidéo réellement à l’ancienne, reprenant sans recul les concepts et mécaniques sans se soucier de si elles ont encore un sens ou un intérêt de nos jours. Pire, certains font des jeux encore plus datés et surtout encore plus méchants et difficiles, pour coller à la fois à leurs souvenirs et probablement un peu à cette idée de vrais jeux pour vrais gamers – et donc une vraie difficulté insensée et éculée, à base de vies limitées pour rien, de die & retry mal calibré et de checkpoints espacés ou absents. Des titres qui confondent exigence et méchanceté, qui oublient à quel point certains de leurs jeux d’enfance et adolescence étaient rigides et perfectibles et qui se perdent un peu dans cette démarche de reproduction à l’identique, sans se questionner au préalable de sa pertinence.
Et c’est complètement ce que nous avons pu constater ce mois-ci avec deux jeux reçus pour TPP. Shift a halluciné devant l’absurdité de Dragonborne, et Chloé a perdu son calme sur la difficulté aberrante de Golden Force. Deux titres complètement perdus dans leur désir de rétro et sacrifiant tout plaisir de jeu sur l’autel de la nostalgie et du « c’était mieux avant », deux titres qu’il va s’agir de décortiquer pour mettre en lumière pourquoi le rétro à tout prix n’est pas pertinent et peut se poser comme une démarche vaine et stérile.
Golden Force
Après un trailer vif et coloré sorti en septembre, Golden Force me semblait être assez intéressant pour sortir de ma zone de confort et naviguer vers de nouveaux horizons. Attirée par la diversité des niveaux et les couleurs flashy, j’étais bien loin de la réflexion critique quant aux (mauvais) jeux rétro proposée ici par Shift et moi-même. Question du jeu rétro qui m’a pourtant frappée quelques minutes après avoir lancé le tutoriel de Golden Force, le dernier jeu 2D et en pixel art développé par Storybird Studio. Un tutoriel qui consiste à nous lancer dans le grand bain (au premier sens du terme puisque l’on se retrouve sur un bateau, à devoir se familiariser avec les différents sauts, dashs et attaques en se battant contre un énorme poulpe mauve pas très gentil). Le boss du tutoriel étant déjà extrêmement difficile, il est étonnant que Golden Force ait choisi cette façon d’introduire son jeu, tant les 10 premières minutes peuvent en rebuter plus d’un.
Au moins, Golden Force annonce la couleur : ce sera un jeu difficile.
Il s’inscrit, loin de s’en cacher, dans la lignée des platformers les plus connus (et donc plus anciens) qui consistent à passer un certain nombre de niveaux en combattant petits monstres et très gros boss et en faisant un peu d’exploration pour récupérer des pièces qui nous serviront plus tard à acheter des objets pour enrichir notre stuff. Il s’inscrit également, sans progression de ce côté, dans ce qu’il y a de pire dans les jeux des années 80-90 : c’est-à-dire sa difficulté débile et son imprécision au point de vouloir balancer sa manette ou sa console par la fenêtre (ne faites pas ça).
Dans sa volonté de bien faire (uhum) mais surtout d’en faire un jeu rétro, Golden Force reprend le même système de gameplay qu’un Castlevania ou Wonder Boy (plusieurs zones à traverser, où il faut courir, sauter, battre des ennemis, tout en faisant attention à sa barre de vie et tout en cherchant des potions ou objets pour se régénérer, comme dans Super Mario Bros). Ma maîtrise, ou plutôt non-maîtrise de Wonder Boy se limite au remake de The Dragon’s Trap sorti en 2017, mais pas besoin d’être un pro dans le domaine pour soulever le fait qu’il s’agit du même genre de jeu et surtout que Golden Force puise dans les platformers du passé pour en faire un jeu qui manque cruellement d’originalité et de modernité. Le jeu modernise tout de même la direction artistique, à la manière de Shantae, qui sort au début des années 2000 (Zali vous en parlait d’ailleurs ici) et qui met en avant des personnages et des antagonistes assez diversifiés et des couleurs plus punchy.
Golden Force ne peut pas cacher son inspiration première pour les vieux jeux, et particulièrement pour Shantae, puisqu’il lui ressemble jusqu’à la palette de couleurs utilisée, qui est parfois (souvent) quasiment identique, ainsi que sur le choix des personnages, tous différents en apparence (et faisant d’ailleurs tous sensiblement référence à des icônes de la pop culture comme Berserk, Dragon Ball et Shantae, donc), mais ayant sensiblement le même gameplay de combat. L’univers pirate et maritime de Shantae est repris par le jeu de Storybird Studio, les boss, colorés, se ressemblent également, et c’est à se demander si le studio a réfléchi un jour à son jeu, tant il pompe sur une licence qui a déjà fait ses preuves. Quelques secondes sur Golden Force suffisent à comprendre cet hommage lourdingue… mais après tout, pourquoi pas, Golden Force se présente comme un jeu rétro, autant l’assumer jusqu’au bout… jusqu’à puiser dans le pire des jeux des années 80-90.
Le jeu se divise en 4 grandes parties, 4 îles, avec chacune plusieurs niveaux, dont un boss. On peut y rencontrer plusieurs paysages, comme la forêt, les fonds marins, la montagne… tout ça avec plusieurs ennemis qui veulent nous taper dessus, des plateformes volantes, des boules de feu qui jaillissent de partout [énumération à compléter par plein de trucs relous]. Normal, dans un platformer qui se veut difficile tout en rendant hommage aux anciens jeux me diriez-vous. Oui, mais non. Parce que la difficulté est telle qu’elle devient absolument ridicule : vous ne voyez pas comment aller à cet endroit ? Ah mais il fallait utiliser un combo secret-ultra-secret-turbo-secret que le jeu ne vous explique pas de lui-même, tant pis pour vous.
Vous sautez dans le vide ? Ne vous attendez pas à avoir une idée de ce que vous pouvez trouver en dessous. Des monstres, des pics, peut-être une plateforme, si, par chance (c’est-à-dire 1 fois sur 5) vous tombez au bon endroit. Des objets pour vous améliorer ? Oui il y en a. Comptez 3000 ou 4000 pièces pour chacun d’entre eux, ce qui vous pousse à en récupérer autant que possible dans le niveau, sauf que plus vous vous attardez, plus les ennemis vous enlèvent de points de vie. La thune ou la vie, il faut choisir. Un jeu extrêmement punitif donc, d’autant plus que vous n’avez que 5 vies au début du jeu, et qu’il est extrêmement rare de trouver du soin.
Golden Force assume son côté rétro à travers une difficulté complètement débile et une direction artistique qui se rapproche de celle de Shantae. Le jeu manque d’imagination et de modernité, et il a l’air d’en être très fier. Moderniser le gameplay ? Mais pour quoi faire ? C’était tellement mieux avant. Golden Force est un jeu de boomer, qui aime placer mille références à la pop culture, même si elles ne veulent rien dire, tant qu’elles sont là (Steven Spielberg on te voit). Ajoutez à la soupe du jeu vidéo conservateur des points de sauvegarde incohérents et injustes et ça vous donnera Golden Force. Le jeu s’inscrit dans la lignée des jeux d’Infogrames, l’éditeur français réputé pour avoir créé, en passant par des licences destinées aux enfants (Tintin, Les Schtroumpfs), des jeux extrêmement difficiles, et ceci, dès les premiers niveaux.
Si plusieurs jeux nous montrent que le rétro a du bon quand il est bien mis en avant, ce n’est pas le cas de Golden Force qui s’engouffre dans un hommage ridicule, incapable de remplacer et de moderniser les défauts des jeux des années 80-90. Ne pas forcément chercher à réinventer le genre est une chose normale, créer un jeu aussi punitif et difficile, calqué sur certaines normes des vieux platformers en 2021 en est une autre.
Golden Force a été testé sur Switch via une clé fournie par l’éditeur.
Dragonborne
Dans le genre improbable, je ne m’attendais pas franchement à écrire cette phrase en 2021 : j’ai reçu un jeu Game Boy. Enfin, pour être plus précis, j’ai reçu la version PC d’un jeu sorti en même temps sur Game Boy. Je veux dire, si vous voulez, vous pouvez acheter la cartouche de Dragonborne (pour 42£, faut être motivé), ou, pour moins cher, la ROM de Dragonborne à faire tourner sous émulateur. Je suppose qu’un tel objet doit attirer les collectionneurs, les nostalgiques et quelques autres personnes qui doivent trouver ça drôle d’acheter un jeu en cartouche cette année, mais je continue de me poser la question de qui y jouera réellement sur la console de poche. Mais peu importe, l’existence de Dragonborne soulève tant d’autres interrogations.
Le fait qu’un studio prenne la décision de développer un jeu sous Game Boy, mette en place les précommandes de versions physiques, et que cette campagne fonctionne au point de finir en rupture de stock, c’est intéressant. C’est intéressant, car ça en dit finalement assez long sur le rapport qu’a toute une partie des joueurs avec la nostalgie, la quantité d’argent qu’ils sont capables de lâcher quand on leur fait miroiter des retrouvailles avec leurs souvenirs d’enfance, et cette capacité impressionnante de déni dont ils savent faire preuve quand ledit objet s’avère décevant. J’aimerais être capable d’un tel flex. Car oui, si la sortie et l’existence de Dragonborne sont intéressantes, le jeu, lui, l’est beaucoup moins et nous fait une Shenmue III en ne remplissant aucune de ses promesses correctement, et en ayant mal vieilli dès la semaine de sa sortie.
Critiquer Dragonborne avec les yeux et standards de 2021 n’aurait que peu de sens, puisque ce dernier est allé jusqu’à reprendre les limitations techniques de l’époque – un défi pas inintéressant, cela dit – pour son développement sur cartouche. Le souci, c’est que même selon des standards des années 90, le titre de Spacebot Interactive n’est toujours pas bon. En se voulant comme un hommage aux RPG de Nintendo de l’époque, Dragonborne savait exactement qu’il tapait en plein dans le cœur de fans hardcores qui n’attendaient que ça, mais il n’a malheureusement pas l’air de savoir pourquoi ces jeux étaient bien, ni ce qu’il était judicieux de garder et de jeter.
Par exemple, devoir faire le tour de tout un village dont 95% des habitants n’ont rien d’intéressant – voire littéralement rien – à dire, en espérant trouver le seul PNJ dont le dialogue fait avancer l’histoire, c’est pénible. Devoir tester tous les arbres de la forêt pour trouver à travers lesquels on peut passer, pousser tous les cailloux car certains bougent, d’autres non, essayer de passer entre chaque espace, car des fois ça passe, des fois non, ce n’est pas restituer l’âge d’or du jeu vidéo, ce sont d’effroyables erreurs de conception. Des erreurs qui étaient pardonnables en 1999, quand Pokémon Bleu nous incitait à parler avec chaque fichu personnage de chaque fichu patelin, ou en 1993, quand Link’s Awakening nous faisait tourner en rond lors de cette saleté de quête des échanges, mais qui ne sont plus acceptables maintenant que plus de vingt ans d’innovation en game design et écriture ont eu lieu.
Acceptables pour deux raisons. La première, c’est bien évidemment que le média en était encore à ses débuts et que les concepteurs tâtonnaient, la preuve étant que les vénérables sagas Zelda, Mario et Pokémon ont depuis évolué globalement pour le mieux, se débarrassant épisode après épisode des éléments les plus pénibles ou datés, quitte à expérimenter et rétropédaler quand une innovation ne s’avérait pas si judicieuse. Je pense sincèrement qu’il faut être d’une mauvaise foi assez colossale pour trouver Pokémon Bleu plus ergonomique, équilibré ou mieux conçu qu’un Pokémon Or ou Rubis. Et je dis ça en étant immensément attaché à Pokémon Jaune, au point de l’avoir récemment refait sur émulateur, mais bien plus pour les souvenirs d’enfance auxquels il me renvoie que pour son confort de jeu.
La seconde, c’est qu’en dépit de quelques erreurs de conception, de contrôles rigides ou de manque d’ergonomie, ces titres avaient de vrais bons aspects, de bonnes idées de gameplay, d’ambiance, de bonnes B.O. Ils sont ainsi certes datés de nos jours – ce qui explique les nombreux remakes et remasters, histoire de rendre accessible aux nouvelles générations des licences comme Resident Evil – , mais restent inventifs et globalement agréables ou au moins intéressants à jouer ou observer. Et surtout, ces titres des années 90 mettent la honte à des projets comme Dragonborne, qui semble n’avoir repris que le pire de ces années. Les boucles musicales (très très) courtes et agressives, les dialogues insipides, les énigmes absurdes, les approximations de level design, les changements de règles impromptus : tout y passe, tout y est désagréable. Même sa mécanique principale, le combat au tour par tour façon Pokémon, est d’une fadeur alarmante, proposant très peu de coups et d’ennemis différents et se résumant à un échange de coups d’épée jusqu’à ce que mort s’ensuive, sans visiblement avoir compris que tout le sel de ce système venait de la logique pierre-feuille-ciseaux, complètement absente de Dragonborne.
Est-ce une mauvaise compréhension des qualités et défauts des RPG des années 1990 qui a mené à cet objet gênant et franchement incompréhensible ? Une maîtrise trop faible des outils de l’époque pour être capables de produire un titre intéressant avec de telles contraintes techniques ? Une vision trop fermée et radicale de ce que devrait être un jeu rétro ? Je ne suis pas complètement fixé sur les raisons de ce naufrage, mais une chose est certaine : Dragonborne tient plus du jeu obscur pour youtubeurs fâchés que du classique de la Game Boy. Et c’est bien dommage, car au-delà de la démarche réac du « C’était mieux avant », se lancer dans la production d’un tel jeu en se fixant les limitations de l’époque reste une initiative plutôt intéressante et pertinente (contrairement au rendu), et dont j’espère au moins un post-mortem.
Dragonborne a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
En reprenant tels quels les défauts des titres des années 80-90 sans le moindre recul, en confondant difficulté et méchanceté, en répétant consciemment des erreurs depuis corrigées en les faisant passer pour de la nostalgie, Dragonborne et Golden Force véhiculent un message profondément réac, en nous serinant que c’était mieux avant, tout en échouant à proposer des jeux intéressants, d’un point de vue contemporain ou rétro. Vouloir faire du jeu vidéo « comme avant » est une intention qui peut être louable, à condition de ne pas uniquement tabler sur la nostalgie des enfants de la NES et de la Game Boy devenus adultes et proposer des expériences de jeu vidéo tenant compte des innovations du média. S’il ne faut pas jeter ou oublier ce que la production vidéoludique d’il y a trente ans a pu produire, la glorifier et la reproduire à l’identique, ou pire, via son prisme déformant d’éloge à la difficulté crasse et la pénibilité est une impasse. Golden Force et Dragonborne y ont malheureusement sauté à pieds joints, comme tant d’autres productions récentes.
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