De son petit nom complet Prinny Presents NIS Classics Volume 2: Makai Kingdom: Reclaimed and Rebound / ZHP: Unlosing Ranger vs. Darkdeath Evilman, cette deuxième compilation (sur au moins trois) de Nippon Ichi consacrée à des jeux oubliés de son histoire est un peu plus que le simple repackaging de deux jeux PS2. Elle s’inscrit en effet pleinement dans l’histoire chaotique d’un éditeur qui, après être passé par pertes et fracas, a mis en place une politique de préservation de son catalogue… Dont on regrettera cependant le faible niveau de restauration.
Les meilleurs du Japon
Si Nippon Ichi Software (littéralement « les jeux créés par les meilleurs du Japon ») est désormais un acteur bien installé du jeu japonais, et si sa filiale américaine a désormais une place assez centrale dans l’édition et la distribution de jeux nippons en Occident, il aurait pu en être largement autrement. Fondé au début des années 90 au centre du pays, dans la préfecture de Gifu, le studio a passé ses premières années à développer des party game et des jeux de puzzle (littéralement), uniquement destinés au marché intérieur.
C’est à partir de 1998 que le studio va progressivement se tourner vers le développement de RPG, particulièrement de RPG tactiques, et assembler une équipe socle qui va créer un univers dense et semi-cohérent à base de portes dimensionnelles, de parodie de pop culture japonaise et de démons rigolos. La première tentative marquante sera le très étrange Rhapsody: A Musical Adventure, sorte de fusion encore aujourd’hui assez unique entre le RPG… Et la comédie musicale. À mesure que les projets de Nippon Ichi gagnent en ambition, dans un contexte d’explosion du JRPG en Occident, les jeux du studio commencent à être distribués en Amérique du Nord, d’abord via des éditeurs tiers, puis via une filiale américaine à compter de 2003.
La véritable renommée internationale de Nippon Ichii commence avec la parution courant 2004 de Disgaea: Hour of Darkness partout dans le monde, seulement quelques mois après sa sortie japonaise : une proposition radicale et étrange mélangeant comédie et RPG à système permettant de monter ses personnages jusqu’au niveau 9999, voire plus en cassant volontairement les règles du jeu. La série va connaitre un certain nombre de suites et d’épisodes dérivés, pour la plupart localisés en anglais et bénéficiant de ressorties régulières sur consoles portables, installant la série dans une notoriété de jeux de niche plutôt qualitatifs. Nippon Ichi s’installe dans la surproduction, inonde le marché avec six ou sept jeux par an, alors que le domaine du JRPG est lui en train de décliner rapidement. Ce qui devait arriver arriva donc : en 2009, l’éditeur frise la banqueroute.
Élargir la cible
Passage extrêmement difficile à l’ère PlayStation 3, échec des ventes de jeux de studios tiers (NIS America distribue alors les jeux de Gust en Occident), multiplication de projets dérivés foireux : en 2010 le couperet tombe : Nippon Ichi a vu ses ventes baisser de 97,5% (ouch) lors de l’exercice fiscal 2008-2009, forçant même la bourse japonaise à bloquer le cours de l’action du studio pour éviter qu’elle ne tombe à zéro.
À cette époque, le pronostic vital de Nippon Ichi était tout sauf bon : le studio réduit drastiquement la voilure et les effectifs et se recentre sur des projets PSP et iOS à destination du marché local. Seul le discret Disgaea 4 surnage un peu dans cet océan d’adaptations de jeux d’idols et autres portages de RPG ultra-niche au public forcément très réduit. Ce n’est qu’à partir de 2012 que Nippon Ichi va déployer une nouvelle stratégie, mélange de son ancienne surproduction et d’une approche nouvelle : rendre massivement, largement et facilement abordable l’essentiel de son catalogue à un maximum de joueur⸱euses.
Alors que la pratique faisait encore figure d’exception à une époque où les ressorties de JRPG se faisaient uniquement des consoles de salon vers la PSP puis la Vita, Nippon Ichi va effectuer un portage méthodique de son catalogue non seulement sur console portable, mais également sur Steam, avec une politique de prix attractive et des soldes régulières. Disgaea, Phantom Brave ou encore la série d’horreur Yomawari débarquent sur Steam au cours de la décennie, tandis que NIS America met la main sur la distribution de nombreux studios tiers, au moins pour leurs portages PC : Chara-ani Corporation (Langrisser), Falcom (YS, Trails of Cold Steel), Granzella Inc. (Disaster Report) ou encore MAGES (Psycho-Pass). De plus, le studio se lance dans la production et l’édition de jeux à l’esthétique plus indé, proche du livre de conte cruel : ce sont les htoL#NiQ: The Firefly Diary, A Rose in the Twilight et autres The Cruel King and the Great Hero.
Cette période va également être marquée par la création de studios tiers et de création de filiales, puis de rachats de studios donnant une structuration plus large à Nippon Ichi : NIS Asia en 2012, NIS Vietnam en 2015 ou encore FOG Inc, entreprise spécialisée dans les jeux d’aventure en 2016. La stratégie est couronnée de succès, et cette politique de très large disponibilité à bas pris, portée par un succès retrouvé des séries principales, s’avèrera payante, avec des bénéfices avant impôt multipliés par dix entre 2015 et 2021, un résultat presque aussi spectaculaire que ne l’avait été la chute de la décennie précédente. Cependant, la dynamique de ce succès reposait sur une multiplication des projets tiers et une ressortie presque ad nauseam de versions enrichies, amplifiées et farcies de DLC des principaux succès de l’éditeur. En gros, une nouvelle version d’un vieux Disgaea tous les six mois en attendant les nouveaux épisodes. Cette politique laissait une grosse, grosse partie du catalogue de Nippon Ichi Software dans les limbes.
Le retour des classiques
Aujourd’hui, peu importe votre machine de jeu de prédilection, vous avez de très fortes chances d’avoir accès à une grosse partie des blockbusters de Nippon Ichi : les différents Disgaea sont ainsi presque tous sortis sur PS Vita, PC, PlayStation ou Nintendo Switch, ou sont en passe de recevoir des portages ou des versions GOTY. Néanmoins, ces jeux plus ou moins marquants ne doivent pas faire oublier que le Netherworld, ses démons, ses héros masqués, ses pingouins parlants et ses humains stupides ont été déclinés dans de très, très nombreux autres jeux, dont certains s’avèrent être des pépites cachées des générations précédentes.
Solide sur ses appuis, Nippon Ichi a donc entrepris depuis quelques années une politique de revisite de son patrimoine allant un peu au-delà de ce qui avait été testé jusque là. Outre les différents épisodes de Disgaea, Nippon Ichi publie en 2016 une réédition de Phantom Brave, un des premiers spin-off de la série. Un premier essai bien accueilli mais au succès modeste. Idem pour la réédition de Criminal Girls qui ne trouve qu’un tout petit public d’afficionados. C’est uniquement après le gros succès commercial de Disgaea 5 sur console, amplifié par son portage sur PC, que l’éditeur va commencer à mettre le paquet sur la réédition de titres de son fond de catalogue.
Mi-2021, c’est le très très étrange Soul Nomad & the World Eaters, tactical RPG doux-amer au scénario absolument radical et au déroulé fort en rebondissements inattendus, qui débarque sur PC. Et ce n’est pas la moitié d’un symbole : en effet, si Soul Nomad avait bien bénéficié d’une sortie en Occident, cette dernière était exclusive à la PlayStation 2, une version parue mi-2008 alors que la console de Sony était déjà quasiment abandonnée. Cette tentative de portage d’un jeu semi-obscur de l’univers de Nippon Ichi se double d’une compilation pour consoles en septembre 2021 : Prinny Presents NIS Classics Volume 1: Phantom Brave: The Hermuda Triangle Remastered / Soul Nomad & the World Eaters est un repackaging à petit prix de ces deux titres oubliés, et constitue la première étape de cette politique de réédition. Et il n’aura fallu que quelques mois avant que la suite nous soit proposée et que nous puissions en comprendre davantage sur l’esprit de cette série de rééditions.
Deux jeux oubliés remis en lumière
Si Soul Nomad avait sa petite réputation à cause de son scénario à embranchements et si Phantom Brave avait déjà été remis sous les feux de la rampe suite à plusieurs portages, Prinny Presents NIS Classics Volume 2: Makai Kingdom: Reclaimed and Rebound / ZHP: Unlosing Ranger vs. Darkdeath Evilman nous propose de redécouvrir des produits nettement plus marginaux dans le catalogue de Nippon Ichi. Le premier parce qu’il avait déjà largement divisé à l’époque et le second étant tellement obscur que sa sortie sur PSP en novembre 2010 n’avait suscité presque aucun commentaire ni quasiment aucune review (on était au cœur de la fameuse crise ayant poussé NIS au bord de la faillite). La ressortie de ces deux titres ancre donc l’éditeur dans une politique de remise en lumière assumée de certains jeux ayant peiné à trouver leur public dans un contexte défavorable aujourd’hui bouleversé.
Le premier jeu de la compilation, Makai Kingdom, paru en 2005, est une déclinaison étrange de l’univers du premier Disgaea au système de combat louchant moins vers le côté de la comédie et davantage du côté de l’expérimental : si l’intrigue reste loufoque (on y incarne un livre parlant renfermant l’âme d’un démon qui doit reconstruire un univers ravagé), le jeu est ultra-tourné vers ses systèmes bizarres. Dans Makai Kingdom, on crée ses compagnons à partir d’objets ramassés au sol, les bâtiments sont considérés comme des unités combattantes que l’on peut lancer sur le terrain et le gameplay ajoute une couche de gestion de véhicules assez confuse à l’ensemble. Tout ça rend le jeu à la fois extrêmement profond et extrêmement difficile à prendre en main. On notera l’idée particulièrement bizarre de remplacement de la grille de combat découpée en carrés par des déplacements circulaires plus ou moins libres, qui posent davantage de problèmes de lisibilité qu’autre chose. Mais tout a constitué dans Makai Kingdom un terrain d’expérimentations évident pour le studio, nombre de ces mécaniques se retrouvant reprises et améliorées dans des jeux ultérieurs.
Le second, plus étrange encore, ZHP: Unlosing Ranger vs. Darkdeath Evilman est une parodie parue en 2010 de Super Sentaï mâtiné de rogue-like : pour faire progresser votre héros, un gros nul ayant hérité par hasard d’une tenue de héros, vous allez devoir progresser dans un donjon sans fin pour en extraire de l’expérience. Là aussi très tourné vers ses systèmes bizarres et sa mécanique de leveling unique en son genre, il s’agit également d’un jeu qui poussait à fond les potards de l’humour puéril et référentiel, au point d’en être parfois un peu épuisant. Mais sa redécouverte, là encore, donne une assez bonne idée de l’origine des systèmes de leveling et de progression dans des donjons aléatoires que l’on retrouvera bien plus tard dans l’excellent Disgaea 5.
Un patrimoine préservé, des portages a minima
Une troisième compilation a d’ores et déjà été annoncée pour cet été. Prinny Presents NIS Classics Vol. 3 regroupera des jeux beaucoup plus anciens du studio : d’un côté, La Pucelle Tactics (rebaptisé La Pucelle Ragnarok à l’occasion de son prochain portage PC), sorte de brouillon extrêmement ambitieux de tout ce que sera la série Disgaea par la suite et notoirement connu pour son ambitieux système d’endings internes à chaque chapitre. De l’autre, le fameux Rhapsody : A Musical Adventure, l’obscur JRPG/Comédie Musicale évoqué plus haut et qui demeurait jusque-là totalement inédit dans nombre de pays, dont l’Europe. Une liste de nouvelles adaptations qui confirme définitivement la volonté de Nippon Ichi de faire vivre son catalogue, même le plus ancien, tout en se tenant à sa politique de prix abordable (40€ pour deux jeux, avec des soldes régulières).
Il faut néanmoins souligner que par bien des côtés, ces compilations patrimoniales ne reçoivent pas du tout le soin apporté aux ressorties des jeux Disgaea dans leur version Complete. D’une part, aucune modification ne serait-ce que de confort (accélération des combats, sauvegarde automatique, etc.) n’est consentie, et d’autre part, les jeux marinent totalement dans leur jus de l’époque : même résolution, absence de contenu bonus, traductions non retouchées, bref, on s’approche davantage d’une émulation de vieilleries rapidement fourrée sur des cartouches Switch que de véritables remasters. Pire, il arrive que quelques légers bugs d’interface figent brutalement les jeux, comme si la compatibilité avec les manettes de la Switch n’avait pas été totalement bien pensée.
Par bonheur, on est tout de même assez loin du ratage honteux qu’a pu constituer le portage de Chrono Cross chez Square Enix il y a quelques semaines. Prinny Presents NIS Classics Volume 2: Makai Kingdom: Reclaimed and Rebound / ZHP: Unlosing Ranger vs. Darkdeath Evilman (on ne s’en lasse pas) tourne globalement très correctement, et on retrouve bien vite le plaisir de l’époque. Mais aussi ambitieuse soit la politique de ressortie de Nippon Ichi, qui semble s’accélérer et gagner en profondeur, on ne peut hélas que constater que pour le moment, elle se contente d’être une politique de remise à disposition de produits épuisés. Pas tout à fait une approche patrimoniale ni une politique de revisite modernisée, donc. C’est un peu dommage, mais on a confiance pour la suite.
Prinny Presents NIS Classics Volume 2: Makai Kingdom: Reclaimed and Rebound / ZHP: Unlosing Ranger vs. Darkdeath Evilman a été testé sur Nintendo Switch via une clé fournie par l’éditeur.
Avec son catalogue vertigineux de plusieurs dizaines de RPG plus ou moins oubliés sur des consoles désormais hors circuit, Nippon Ichi a fort à faire pour faire vivre son histoire. La ressortie de Makai Kingdom et de ZHP est une occasion parfaite de faire le point : davantage que bien d’autres sociétés japonaises, l’éditeur a parfaitement compris l’intérêt d’éviter les ruptures de stocks et de se rendre largement disponible, le tout avec une politique tarifaire à peu près cohérente et raisonnable. L’étape supérieure serait donc maintenant de prendre davantage soin de cet héritage retrouvé pour l’adapter au goût du jour et non uniquement à celui des nostalgiques de la première grande époque du studio, dont votre serviteur fait bien évidemment partie.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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