J’aurais eu beaucoup de mal à rédiger une critique de Mario Party Superstars sous un angle purement qualitatif, pour la simple et bonne raison qu’il s’agit d’un de ces jeux dont Nintendo et ses studios affiliés ont le secret (à de rares exceptions près) : riche, beau, accueillant et ciblant un public large et globalement familial. Pour peu que vous cherchiez un jeu de société vidéoludique fun et instinctif, capable de vous faire passer la meilleure soirée avec vos amis ou vos proches, Mario Party Superstars est un must have de plus sur Switch. Mais une fois qu’on a dit ça, reste en ce qui me concerne un petit sentiment de malaise : Mario Party Superstars, c’est aussi l’illustration parfaite d’une certaine « culture du coffre-fort« , dont Nintendo n’a pas le monopole mais dont il commence à être un des représentants les plus patentés. On possède des licences, on les presse jusqu’au citron, on récompense un public acquis pour sa fidélité et on oublie au passage d’innover, refourguant un peu toujours la même chose avec un emballage différent. Avec ce que cela comporte de confort et de sentiment accueillant, mais aussi d’ennui.
Ton père c’est un voleur, il a pris tous les Mario Party pour les revendre à 60€
Mario Party Superstars sur Switch se présente donc sous la forme étonnante non pas d’un véritable nouveau Mario Party à part entière, mais plutôt d’une super mega giga compilation de divers autres jeux d’une série qui compte déjà plus d’une quinzaine d’épisodes. Un choix pas forcément surprenant dans le fond car le précédent épisode est relativement récent. La compilation reste un bon moyen de refourguer une formule efficace et éprouvée et de satisfaire nouveaux venus et vétérans. Un moyen particulièrement efficace dans mon cas personnel, n’ayant pas touché à un Mario Party depuis plus d’une quinzaine d’années et ayant particulièrement apprécié la facilité d’entrée de cette assemblage de bric et de broc de cinq plateaux et d’une centaine de mini-jeux de la série, le tout avec la finesse et la fluidité propres à la direction artistique contemporaine de Nintendo (qui a au passage perdu en compétence s’agissant de la pure auto-émulation, mais passons).
Si on ne peut pas accuser Nintendo de ne pas bichonner sa console, qui en retour se vend toujours par palettes (n’étant freinée dans sa course que par la pénurie mondiale de composants), force est de constater que le cliché voulant que la firme se soit fait une spécialité de resservir les mêmes produits avec un nouvel emballage HD ou sous forme de semi-suite assez mollement innovante (bien que super efficace) n’a jamais été aussi vrai. Il me semble que ce Mario Party Superstars est, après le coffre à jouet géant constitué par Super Smash Bros Ultimate, un nouvel avatar un peu dérangeant de cette même soupe resservie à l’infini.
C’est si accueillant que l’ennui point
Concrètement, Mario Party Superstars fait absolument tout pour que vous soyez parfaitement à l’aise : vous connaissez déjà les plateaux, vous connaissez déjà les personnages, toutes les parties sont personnalisables à l’envi avec des options d’accessibilité appréciables, vous vous baignez dans du Mario, du Waluigi et du Bowser, le tout servi par des graphismes et des bruitages parfaitement conformes à tout ce que Nintendo propose depuis le passage à la HD. Encore une fois, tout est là pour que vous puissiez passer une bonne soirée, qui que vous soyez.
Mais au bout de quelques heures, cette gigantesque compilation donne l’impression de n’être rien d’autre qu’un énième fort joli musée de l’univers Nintendo, univers dont on ajoute ou ne retranche plus rien ni personne, dont les musiques, les assets, les attendus semblent définitivement figés dans le temps. Mario sera toujours Mario, Donkey Kong aura toujours sa cravate, Charles Martinet fera toujours les exacts mêmes petits cris bizarres pour incarner tout ce petit monde. On est à la maison, et c’est toujours exactement la même maison.
Cette remarque n’est pas propre à Nintendo : Disney, Microsoft, Sony, HBO, Banpresto, Square Enix, toutes les firmes ayant dans leur besace des licences commercialement exploitables ont entrepris depuis quelques années une politique consistant à protéger et sécuriser au maximum ces licences, et à les placer si possible derrière un paywall. C’est ainsi qu’on se retrouve par exemple avec une explosion du nombre de plateformes de SVOD depuis quelques années, chaque firme mettant en avant ses propres licences pour attirer des millions de clients forcément incapables d’avoir le temps et l’argent pour être membres de l’ensemble de l’offre légale. Cette logique de compétition de licences me semble cependant avoir un désavantage : pour être familier, c’est un peu chiant.
Le capitalisme tardif n’aime pas l’innovation
Aussi plaisant que soit Mario Party Superstars, sa proposition est en fait assez rébarbative : c’est un produit esthétiquement et thématiquement tout à fait conforme à ce qu’un fan de l’univers Nintendo peut attendre d’un jeu Nintendo. D’un point de vue rationnel et comptable, c’est une décision parfaitement appropriée à cette propension des géants du capitalisme de proposer diverses facettes de produits connus (ou fidèles à un même cahier des charges) en boucle : le risque et les coûts de développement demeurent relativement faibles, et le public cible est proportionnel au nombre de gens possédant un attachement à l’univers en question. Pour un jeu Nintendo, ce public est très vaste, et très habitué à ce qu’on lui refourgue en boucle les mêmes bidules. Super Mario Superstars a donc dans sa besace l’argument massue d’être tout sauf clivant. Et on finit par avoir du mal à imaginer qu’il puisse en être autrement avant des années.
Est-ce que Mario Party pourrait proposer un épisode de rupture, véritablement innovant et changer une formule vieille de plus vingt ans ? Sans doute pas : trop hasardeux, trop cher, trop casse-gueule, trop de risques de voir des gros bébés de Twitter se rouler par terre en hurlant qu’on leur a volé leur enfance. Mais cet épisode est l’exact inverse, conglomérat bricolé de choses déjà vues et revues, à peine dépoussiérées. Cet état de fait finit par dessiner une question plus large : jusqu’à quand va-t-on devoir avaler très exactement la même soupe au prétexte que ça imprime de l’argent ? Maintenant que l’âge des compilations est arrivé, avec ses jeux sommes, ses mini-consoles, ses ressorties de trilogies HD, ses catalogues par abonnement, que va-t-il se passer ensuite ? Des remasters de compiles ? Des compilations de compilations ? Des remixes de best-of ? Tant que la formule « je vous en ressers un peu parce que vous aimez ça » fonctionnera commercialement, personne n’aura aucun intérêt à innover. Et aussi plaisantes soient les soirées à s’amuser avec ce Super Mario Superstars, je trouve tout de même cela très dommage.
Super Mario Party Superstars a été testé sur Nintendo Switch via une clé envoyée par l’éditeur.
Le sentiment final procuré par ce jeu est étrange : on ne peut que se réjouir que Nintendo soit arrivé à un tel niveau de polish et de perfection et avec une telle montagne de propriétés intellectuelles qu’ils puissent se contenter de ça pour livrer d’excellents jeux trimestres après trimestres. Et c’est sans doute se comporter en enfant gâté de ma part que de questionner ce manque désormais chronique et systémique d’innovation dans la plupart des fermes à licence. Surtout qu’en étant honnête, il est évident que Nintendo n’a pas abandonné l’innovation, mais la sous-traite ponctuellement à des éditeurs tiers. Mais je quitte Super Mario Party Superstars avec la détestable impression qu’aussi efficace soit-il, il n’est qu’un exercice paresseux d’accommodage des restes tenant lieu de politique économique générale.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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