Sun Haven est un bon jeu. Nous l’avons reçu à la rédaction du Pixel Post peu après son entrée en accès anticipé, et son « elevator pitch » tient en quelques secondes : « C’est Stardew Valley, mais dans un monde tirant davantage sur le Steampunk et la Fantasy ». Bref, une sorte de croisement entre Stardew Valley et Rune Factory. C’est aussi un jeu entré relativement tôt en accès anticipé, il est donc encore un peu difficile de rendre un avis très argumenté à son propos, au-delà de ses ambitieuses promesses. L’essentiel du contenu est là, mais il manque encore énormément de fonctionnalités de base, reste énormément d’environnements à implanter, de bugs à régler, etc. Néanmoins, pour peu que vous ayez envie de vous plonger dans cette expérience encore un peu cabossée, Sun Haven est sans doute un des clones les plus réussis de sa catégorie. Mais au fait, quand est-ce que le clonage est devenue une pratique aussi omniprésente dans la sphère indé, et est-ce vraiment un problème ?
Entre les codes de genre et le copier coller
Un jeu comme Sun Haven arrive à se distinguer assez largement de son modèle, même si ce n’est pas évident au premier coup d’œil : mêmes couleurs inspirées de l’ère 16-bit, mêmes mécaniques (ou presque) de construction de ferme, mêmes mécaniques de romances avec les villageois. Néanmoins, les développeurs de Pixel Sprout ont ajouté assez de variations et de modifications à la formule pour qu’on n’ait pas complètement l’impression de jouer exactement à la même chose. Néanmoins, l’évidence est là : sans le succès immense de Stardew Valley, Sun Haven n’existerait probablement pas. Pas sous cette forme. De même que My Time At Portia et Hokko Life (variants 3D), Traveller’s Rest (variant gestion d’auberge), Littlewood (variant médiéval), et ainsi de suite… Alors que le genre « simulation de ferme » est un sous-genre du jeu de gestion et de rôle depuis des décennies, le sous-genre « clone plus ou moins avoué de Stardew Valley » est, lui, apparu depuis quelque temps, et on peine désormais à les suivre. Je pourrais d’ailleurs continuer cet inventaire d’exemples pendant dix paragraphes : Staxel, Serin Fate, Spiritea, Moonlighter, Alchemic Cutie, One Lonely Outpost… Summer in Mara.
Sans entrer dans les détails qualitatifs de l’ensemble de ces feuilles où le papier calque se voit plus ou moins facilement, force est de constater que le phénomène n’est pas (plus) circonscrit à un seul genre de jeu. J’ironise souvent sur le sujet dans les miettes de l’actualité, mais quelle semaine n’arrive pas avec ses 3 Metroidvania quasiment indiscernables les uns des autres et ses 4 jeux plus ou moins honteusement copiés à la va-vite sur Slay the Spire, la magie en moins ? Mi-symptôme, mi-cause de la surproduction vidéoludique en 2021 qui rend quasiment suicidaire la sortie d’un jeu vidéo sans un éditeur très solide, le clonage de plus en plus intense des jeux à succès trois à cinq ans après leur triomphe commercial s’est imposé en pratique systémique. Leur taux de viabilité, en revanche, confine à l’anecdotique. De combien de clones pixellisés de Doom façon Fast FPS (mode de l’année dernière à l’E3) vous souvenez-vous un an plus tard ? Et combien de simili Left For Dead développés à toute berzingue cette année pour tenter de rafler la vedette à Back 4 Blood tomberont immédiatement dans l’oubli ?
Il n’est pas anormal qu’un jeu à succès modifie en profondeur les codes d’un genre (ayant vécu les années 90 du gaming, je peux vous le dire : gare au jeu de combat qui ne s’inspirait pas visiblement d’Art of Fighting ou de Street Fighter II). Mais quand, il y a vingt ans, une poignée de jeux sortaient par mois, laissant un marché relativement viable pour les copies éhontées, nous faisons aujourd’hui face à un océan de productions se copiant allègrement les unes les autres, au détriment de leur individualité. Alors que certains créneaux vidéoludiques semblent n’offrir qu’une poignée de jeux notables chaque année et maintenir tant bien que mal la production à un niveau raisonnable (le point and click, la simulation automobile ou le 4X, pour ne citer qu’eux), d’autres semblent engagés dans un entonnoir continuel de sorties qui ne laisse pratiquement plus personne émerger : platformers hardcores, thrillers psychologiques à la première personne, jeux de survie…
La curation est devenue impossible
C’est un lieu commun que de dire que « pouvoir traiter tous les jeux » est devenu impossible : rien que sur Steam, il en sort parfois plusieurs chaque heure. Chaque semaine, entre 5 et 15 jeux marquants sont déversés sur les différentes plate-formes, seule la Switch maintient encore un semblant de calendrier lisible (et encore). Ces derniers sont accompagnés de dizaines, parfois de centaines de shovelwares douteux, de jeux pornographiques bricolés en deux semaines, de trucs à peine terminés, de logiciels bugués jusqu’à l’os. La situation perdure et s’aggrave depuis des années, au point d’atteindre un état où il n’est tout simplement plus humainement possible de faire une curation efficace dans un genre donné : même avec toute la bonne volonté du monde, il est désormais devenu impossible de recenser de manière satisfaisante tous les jeux inspirés, mettons, de Stardew Valley.
Sun Haven, pour revenir à lui, surnage un peu et a réussi à attraper ici ou là un peu de presse, et un petit bouche-à-oreille l’accompagne. Il faut dire que le studio Pixel Sprout a eu la bonne idée de mettre en avant certains plans impressionnants de la direction artistique, parfois sublime, du jeu. Mais pour être honnête, et j’espère me tromper, je ne suis pas certain que cela suffise à en faire un grand succès sur le long terme.
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Quand Stardew Valley est arrivé en février 2016, le contexte était déjà à la surproduction, mais le genre « Harvest Moon-like » était encore à défricher. Aujourd’hui, ce sont des centaines de jeux qui se partagent le créneau, pour un nombre de joueurs qui croît relativement lentement, et plus d’une centaine (je n’exagère pas) d’autres jeux prévus sur ce créneau pour les prochains semestres. L’E3 écoulé était assez révélateur de cette situation où être exposé ne serait-ce qu’une seconde à des jeux de cet ordre relevait presque du miracle : si les conférences des gros éditeurs pouvaient passer plusieurs minutes sur un jeu phare, les conférences fourre-tout destinées à mettre en lumière les plus petites productions (Guerilla Collective, Wholesome Direct…), même les plus réussies, consistaient souvent en un enchaînement frénétique de trailers où l’annonce d’un jeu était parfois réduite à quelques petites secondes de mise en lumière au milieu d’un fouillis dont, au final, on peine à retenir quoi que ce soit.
Le pire, c’est qu’il n’y a pas vraiment de solution
La situation actuelle ne satisfait personne. Mais que voulez-vous y faire ? Chaque année, des dizaines de créateurs se lancent sur le marché, et une part importante d’entre eux cible des styles de jeux qui ont eu du succès pour en faire leur propre sauce : parfois par opportunisme, parfois par sincère amour du genre, parfois parce que c’est plus simple de piquer les assets des autres que de créer les siens (on vous voit quand vous le faites). La situation s’aggrave sans cesse, divisant le gâteau en part de plus en plus petites, et puisque les principales plateformes ne filtrent pour ainsi dire presque plus rien à l’entrée, les jeux qui sortent du lot (et c’est le cas de Sun Haven) se noient au milieu du reste.
Les studios les plus chanceux ou plus talentueux (parfois les deux, mais ça ne se superpose pas toujours) finiront édités et distribués. Les autres perdront parfois des années de travail et sombreront immédiatement dans l’indifférence, contribuant involontairement au sentiment que, les grands succès de l’année mis à part, la production vidéoludique indé végète dans une semi-médiocrité dont peinent à émerger des propositions fortes quand elles ne sont pas soutenues par des gros capitaux à la manière du Game Pass. C’est faux, bien sûr ! Il sort d’excellents jeux indés audacieux et innovants chaque semaine. Mais comment ne pas rater les pépites quand tout concourt à ce qu’on ne les distingue plus de la masse ?
C’est un des rares sujets qui me rend pessimiste sur l’état de la production vidéoludique actuelle : pour qu’un jeu comme Sun Haven arrive jusqu’à moi, il aura fallu une veille scrupuleuse (nous avons des outils internes pour ça à la rédaction), des rappels réguliers sur les réseaux sociaux, ne pas rater l’annonce de l’entrée en early access, et obtenir une clé de la part des développeurs. Tant mieux, mais je suis à peu près certain que pour un Sun Haven obtenu, j’en rate désormais, et systématiquement, cinq ou six du même calibre. Et honnêtement : je ne sais pas quoi faire.
Sun Haven a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Les jeux vidéo en sont arrivés au même stade que la littérature : une surproduction si structurelle que l’intégralité du pouvoir est désormais concentré dans les mains de quelques gros acteurs de l’édition ou de la distribution, et où les succès, en dehors de leurs grosses mécaniques, tiennent désormais du miracle statistique, sur fond de surproduction alimentée par la multiplication d’œuvres clones étouffant partiellement toute velléité d’innovation. Par chance, l’esprit de création, d’aventure et de surprise reste vivace, mais les obstacles séparant les bons jeux méconnus des joueurs et des joueuses se multiplient, leur modèle économique est plus précaire (voire inexistant) chaque année, et c’est dans le fond tout sauf une bonne nouvelle.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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