Annoncé il y a fort longtemps, Tunic est un jeu d’action aventure très attendu de ce début d’année, avec sa promesse de combats ardus et de narration cryptique le rapprochant autant de Zelda que de Dark Souls. Alors, l’attente en valait-elle le coup ?
C’est donc en 2015 que Tunic, alors connu sous le nom de Secret Legend, a été annoncé par le Canadien Andrew Shouldice. Alors en solo, le développeur s’est depuis entouré d’une équipe, a trouvé un éditeur (Finji) et même publié une démo de ce jeu très attendu il y a un peu moins d’un an, histoire de faire monter la sauce. Démo qui nous avait légèrement inquiété à l’époque : le jeu était superbe, mais son gameplay et son rythme semblaient largement perfectibles. Et hélas, alors que la version finale est entre nos mains, difficile de ne pas être un peu dubitatif devant le résultat légèrement abscons (une démarche revendiquée par son auteur), pas toujours très agréable à manipuler et plombé par des problèmes de lisibilité de l’action et des décors qui entachent des idées pourtant proprement charmantes.
J’ai perdu mes papiers
Dans la compétition de l’idée la plus bizarre vue dans un jeu en 2022, Tunic entre en lice avec « la notice du jeu est livrée sous forme d’objets à collecter », et n’aura sans doute pas de mal à en sortir avec une médaille d’or. Oui, dans Tunic, les instructions les plus élémentaires du jeu sont livrées sous forme de page à ramasser un peu partout, tout au long de l’aventure. Ce qui pourrait être un tutoriel déguisé s’avère en fait rapidement être un exercice particulier de frustration organisée : vous récupérez tout ça dans un ordre étrange, l’essentiel est rédigé dans un langage crypté et certaines mécaniques centrales du jeu ne sont tout bonnement pas expliquées du tout.
À l’image du petit renard étendu sur une plage mystérieuse que vous allez incarner, Tunic vous fait débuter quasiment à poil et sans aucune information sur ce que vous « devez faire ». Une démarche plutôt intéressante, qui instaure dès les premières minutes une ambiance de mystère et de danger. Pourquoi notre héros est-il venu dans cette contrée lointaine ? Quels trésors y sont cachés ? Que s’est-il passé pour que toute la contrée en soit réduite à l’état de ruines hantées par des monstres et des golems ? C’est via l’exploration et la déduction que Tunic nous propose de découvrir tout cela. Le problème, c’est que Tunic ne se contente pas d’être mystérieux : il omet également délibérément à plusieurs reprises de vous livrer certaines informations plutôt importantes. À vous de deviner, par exemple, que pour faire progresser votre personnage, il faut activer le menu à proximité d’une statue de sauvegarde, sélectionner des items non décrits de votre inventaire, puis les échanger avec une quantité d’or en échange d’un buff de stats permanent.
En réalité, le choix est assez étrange : ce n’est pas tant l’univers, le scénario ou encore les secrets qui sont cachés dans cette notice éparpillée que les instructions mêmes liées au gameplay. On s’en sort beaucoup en tâtonnant, mais Tunic nous fait hélas pas mal perdre de temps en cachant des instructions nécessaires à la progression, ce qui m’a par exemple conduit à errer de longues minutes sans comprendre comment activer un mécanisme caché dans le décor. Un choix de game design vraiment inhospitalier qui n’est, hélas, pas le seul marqueur d’un jeu plein de bonnes intentions mais dont l’auteur ne semble pas avoir pris la mesure des problématiques d’accessibilité et de lisibilité de son œuvre.
Renard, chenapan
Tunic est ainsi presque autant un jeu d’enquête qu’un action RPG. Une enquête dont la seule question serait « Bon : je vais où maintenant ? ». Si on a toujours une idée générale de ce qu’on doit faire (sonner deux cloches, récupérer trois médaillons, les grands classiques), on est souvent assez perdu dans le petit open world tortueux du jeu. Non pas que sa géographie ou son level design soient particulièrement retors. Bien au contraire : le monde de Tunic est assez varié, assez inventif, plutôt logique, et digère bien ses influences sans copier de manière trop éhontée. La réussite graphique et sonore du jeu est ainsi indéniable. Mais Tunic, c’est aussi le choix pour le moins étrange d’un jeu dont la plupart des objectifs s’avèrent dissimulés par l’angle de caméra du jeu, qui vous placera la plupart du temps en vue 3D isométrique, au risque de ne pas y voir grand-chose.
Ce type d’angle de caméra a souvent été critiqué pour son manque de lisibilité, particulièrement dans les jeux impliquant des plateformes ou des combats précis. On pense aux antiques Equinoxe et Landstalkers, mais aussi à des jeux plus récents comme Dead Estate ou Black Legend. Néanmoins, l’histoire vidéoludique est aussi pavée de jeux avec des angles de caméra déplaisants qui se sont avérés parfaitement lisibles : pensons à Hades, Fallout ou encore le triomphal Disco Elysium. Le principal problème de Tunic, c’est qu’il fait le choix de cacher énormément d’éléments cruciaux de l’intrigue, allant du simple coffre à des donjons principaux dans des zones cachées uniquement par cet angle de caméra particulier. Tunnels invisibles, escaliers dissimulés sous des ponts, couloir hors-champ : on a sans arrêt l’impression d’incarner un protagoniste myope comme une taupe incapable de voir à plus de deux mètres devant lui. Pire, la caméra se permet parfois des fantaisies (visiblement involontaires) en se mettant à yoyoter, ne sachant plus si elle doit suivre le héros ou un projectile ennemi, ajoutant de la confusion au peu de lisibilité.
Résumons : dans Tunic, on ne sait pas trop où on doit aller, et on ne voit pas trop où on va. Il en résulte un rythme de jeu particulièrement mou où l’on est sans arrêt conduit·e à visiter encore et encore des zones déjà connues par cœur, en essayant de dénicher LE couloir raté planqué dans un bout de décor qui mène à la suite de l’aventure. Quand Tunic avance, il est très satisfaisant, mais hélas, le plus souvent, l’aventure patine complètement. Tunic veut nous laisser nous débrouiller par nous-même, et c’est très bien. Mais ce faisant, il nous met sans arrêt des bâtons dans les roues, et c’est rarement satisfaisant.
Le corps beau et le renard
Par bonheur, Tunic, ce n’est pas qu’une quinzaine d’heures d’errance et de frustration, et le jeu de Finji offre régulièrement quelques moments pleinement satisfaisants. Comme je le disais plus haut, sa direction artistique quelque part entre le livre de conte et le Zelda animalier est adorable, tout en dégageant une certaine mélancolie. De ce point de vue, la découverte de chaque nouvelle zone est un moment absolument délicieux et on regrette presque de devoir passer tant de temps dans le hub central et dans des catacombes et si peu à explorer d’autres environnements (cité céleste, nécropole, forêt…).
Enfin, Tunic propose aussi un système de combat qui s’avère, à la longue, particulièrement créatif et parvenant sans peine à se démarquer de ses modèles : le début du jeu est un peu laborieux, mais une fois l’épée, le bouclier et quelques items clés récupérés, on commence à beaucoup s’amuser, à jouer avec les pouvoirs magiques, les bombes et les contre-attaques. Si le niveau de difficulté est parfois un peu relevé et nécessite hélas de faire un peu de grind pour débloquer davantage de vie et d’endurance, Tunic s’avère le plus souvent juste et équilibré pour qui prend le temps de maîtriser un peu ses subtilités.
Des subtilités qui s’avèrent largement mises à l’épreuve par les combats de boss, moments culminants du jeu, rares mais intenses et qui tiennent autant du jeu d’action que de séquences de puzzles pour trouver la bonne manière de contrer leurs différentes attaques. Pour le moment, ces affrontements restent encore un peu plombés par les bugs de caméra et de micro soucis d’équilibrage, mais constituent dans l’ensemble des séquences assez appréciables, bien que finalement trop rares tout au long de l’aventure. On finit par penser que Tunic aurait été largement plus agréable à parcourir s’il avait été plus démonstratif et avait davantage accompagné les joueureuses dans la découverte de sa proposition atypique.
Tunic a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur les consoles Xbox.
Il y a une frontière assez fine entre un jeu cryptique proposant une difficulté élevée (le modèle FromSoftware) et un jeu mettant délibérément des bâtons dans les roues de l’utilisateurice pour le faire tourner en rond. Entre ses problèmes de caméra, ses mécaniques centrales assez mal exposées et sa 3D isométrique entravant beaucoup trop la lisibilité de la map, Tunic frustre davantage qu’il n’amuse. Non pas à cause d’une difficulté élevée (le jeu n’est pas si difficile) que par la construction de son univers, certes enchanteur et mystérieux, mais dans lequel il est extrêmement fastidieux de s’orienter. Tunic pourra sans doute plaire aux fans hardcores du tout premier Zelda et à ceux qui seront ravis par son univers coloré et mélancolique, mais il y a fort à craindre qu’il laisse aussi beaucoup de monde de côté.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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