THQ Nordic, mon cher ami Autrichien. Nous avons tous un ami qui a des passions étranges et un peu déviantes et qu’on aime malgré tout. Ta passion à toi ? Ramener des franchises complètement oubliées dans un état de semi-vie pour en faire des jeux bizarres qui ne plaisent qu’à l’étrange peuple des joueurs des zones Polonophones, Russophones et Germanophones du globe. Racheter des fonds de catalogue pour brasser des remakes de titres dont plus personne n’a de souvenirs précis, fonder des studios consacrés à la réalisation de suites improbables, le tout baignant souvent dans une certaine forme de marron-ocre propre aux rendus des jeux PC d’il y a quinze ans. Oui, THQ Nordic, tu es cet ami étrange qui a décidé de donner une nouvelle vie à Spellforce, série en sommeil depuis dix ans, mélangeant sans pudeur aucune jeu de rôle et jeu de stratégie. C’était une époque où Warcraft 3 avait posé la première pierre d’un genre qui ne devait jamais faire souche. Et pourtant, toi, THQ Nordic, qui n’est au fond ni THQ ni Nordique, tu as décidé de nous pose, presque sous le sapin, un improbable Spellforce 3. Rien que pour cela, je te le dis sans ambage : Merci.
Un concept Germanique
A ton tour, Spellforce 3. Je voudrais te dire que, contrairement à ton papa THQ Nordic, toi et moi ne serons jamais bons amis. Déjà, parce que quand un jeu est impossible à pitcher en deux phrases simples, c’est probablement que son concept a quelque chose d’un peu vermoulu. Tu es… tu es une sorte d’hybride étrange, presque inquiétant, entre un jeu de rôle en vue de dessus à la Baldur’s Gate/Pillars of Eternity, mais auquel on aurait ajouté une dose de gestion de village, de collecte de ressources, de MOBA et de stratégie en temps réel à l’ancienne. Tu vois, Spellforce, même moi je ne comprends rien à ce que je raconte. Oui, tu ne ressembles à rien d’autre. Mais comme tu as du mal à faire chaque chose que tu fais de manière claire et lisible, tu ne ressembles à rien de cohérent du tout. Faire caca dans une soupière et renverser le tout sur du maïs concassé est certes original, mais je crains que ça ne soit au fond ni de l’art, ni de la cuisine.
Cependant, je sais, Spellforce 3, que ce n’est pas à moi que tu parles. C’est, davantage, à cette frange curieuse mais réelle de la communauté des gamers qu’on nomme « le joueur de jeu de stratégie polonais trentenaire qui était abonné à des fanzines de wargame dans les années 90 ». Tu parles à ces gens qui ont passé leur enfance, nuque-longue, cassette de post-punk et mauvaise pizzas dans des caves froides à jouer à Das Schwarze Auge dans les banlieues pourries de Dortmund. Pendant que je jouais à la Nintendo, ils programmaient des donjons austères dans des simulateurs de mercenariat en Bavière Médiévale Fantastique. Eux et moi on a peut-être des choses à se dire, au fond. Mais toi, Spellforce 3, c’est à eux que tu parles. Pas à moi. Jamais.
Une direction artistique Germanique
A l’instar de bien des produits issus de l’imagination des afficionados de fantasy de l’est de l’Europe (The Witcher, Two Worlds et même, pourquoi pas, Gears of War), Spellforce 3, tu te distingues par cette touche très reconnaissable à base de virilité exacerbée presque au premier degré, par un univers bien assis sur des bases très classiques, et par une certaine propension à te dérouler dans des forêts maronnasses moches. Ici on ne tourne pas autour du pot : les orcs sont sanguinaires, les autels forcément maudits et les morts-vivants déboulent nécessairement en grappe de cent en grognant. Ce n’est pas forcément un défaut en soi : alors que l’histoire principale prend à peine le temps de présenter ses enjeux en quelques phrases mal fagotées, on a néanmoins l’impression d’enfiler de vieilles pantoufles confortables. On sait qui sera gentil, qui sera méchant, et après quoi on va courir l’essentiel du temps. C’est un univers facile, banal et borné : pas envahissant. Ce qui laisse de la place pour le gameplay. Le choix se défend.
Un poil regrettable tout de même est cette sempiternelle généricité de tes environnements, tes décors parfaitement interchangeables et sans personnalité, ton chara design à la fois rétro et insipide, et le fait que, excuse moi de l’expression Spellforce 3, tu n’es jamais moche, mais tu ne prends jamais non plus la peine d’être beau. Les atours de n’importe quel jeu de stratégie du milieu des années 2000, mais en version 4K. Tes couleurs pâlottes et tes unités anecdotiques nuisent même carrément, par moment, à la lisibilité de ton action. Reconnaissons au moins que les équipes de Grimlore Games (une filiale de THQ Nordic) t’ont parfaitement optimisé : tu tournes sans broncher en ultra de manière fluide sur une configuration modeste.
Une interface Germanique
J’en reviens à toi, THQ Nordic. Tu as quand même ta responsabilité dans toute cette affaire. Les parents sont responsables de leurs enfants, et ce n’est pas qu’une affaire d’argent : c’est aussi une affaire d’éducation. Il semble que Spellforce 3 ait dû apprendre à marcher tout seul, faute de quelqu’un pour l’aider à se déplacer correctement. Ainsi, l’interface; qui devrait être dans un jeu de rôle comme dans un jeu de stratégie un vecteur de fluidité de l’action, se trouve être ici un handicap majeur qui rebutera immédiatement les moins patients. Des menus de leveling et d’équipements mal fichus, des arbres de compétence peu lisibles, une gestion des bâtiments moins bien troussée qu’un Age of Empire vieux de vingt ans : mais enfin, que s’est-il passé ?
La gestion de la caméra est pataude, une partie des (extrêmement nombreux) raccourcis claviers demandent un remappage patient et la courbe d’apprentissage a ceci de rude qu’une grosse partie de ce qu’il y a à savoir ne vous sera expliqué que sur le tas, une fois que vous aurez trop de choses à faire en même temps pour vous y consacrer correctement. Je sais, THQ Nordic, que tu es de la vieille école. Les menus foisonnants et austères à la fois, ça te parle, et ça parle à ton public. Mais être à ce point peu soucieux d’ergonomie et d’accessibilité, ce n’est pas de l’exigence, je crois, mais de la négligence.
Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit. Que ce soit via la campagne principale ou le mode escarmouche qui la seconde, Spellforce 3 est un titre riche, plein de subtilités et de rebondissements. Mais la marque des grands, c’est de proposer de la richesse en la maquillant sous les atours de l’accessibilité. A l’inverse et à l’image des titres de grande stratégie à la Hearts of Iron, on peut faire le choix de rendre l’expérience si ardue et touffue que le simple apprentissage du gameplay peut-être une expérience à part entière. Dans le cas de ton rejeton Spellforce 3, je crains que ça ne soit qu’un problème d’interface datée, mal pensée, optimisée pour un public habitué à cette austérité mêlée d’inconfort. Dommage, la stratégie et le jeu de rôle à l’ancienne ne sont déjà pas simples à vendre en 2017, et ce n’est pas comme ça qu’ils reviendront du côté glamour de la force.
Deutsche Qualität
THQ Nordic, Grimlore, Spellforce 3, j’ai bien conscience de vous accabler un peu trop fort. Il y a un public pour ce jeu, et ce public trouvera très facilement des billes dans un titre au contenu massif, bien équilibré, long et proposant un challenge digne de ce nom. Il me semble que Spellforce 3 ressemble exactement à ce qui était prévu. Un jeu « à l’allemande » avec ce que ça implique d’arrière goût de choucroute garnie pour la Saint Nicolas. Vous aimez les RTS austères qui feraient passer le premier Stronghold pour une chanson de la Compagnie Créole ? Votre passion dans Baldur’s Gate et Pillars c’est de configurer des raccourcis clavier pour optimiser du kill de gobelins anonymes à la chaîne ? Vous privilégiez la satisfaction d’une étagère de livres reliés brunis bien rangés au joyeux bazar coloré d’un étal d’épices multicolores baignées par le soleil d’été ? Alors ne cherchez plus, et rencontrez le petit Spellforce 3, il a sans doute lui aussi besoin d’amour. Un amour à la Hanneke, froid et distant comme son âme.
Si Spellforce 3 n’essayait pas à toute force de mélanger deux genres qui ne marchent pas très bien ensemble tout en ne maîtrisant ni la profondeur de l’un ni les subtilités de l’autre, il ferait au choix un RPG correct mais générique ou un jeu de stratégie intéressant mais mal fichu. Le mélange des deux donne quelque chose qui réussit l’exploit d’être à la fois extrêmement âpre et inutilement fouillis. Peu importe le domaine auquel il s’essaye, Spellforce 3 a un concurrent qui fait mieux que lui. Ni sauvé par sa direction artistique extrêmement quelconque ni par son histoire assommante, le titre de THQ Nordic n’a pour lui qu’une incontestable profondeur de gameplay qui promet de longues heures de stratégie assez enjouée à ceux qui arriveraient à passer outre ses défauts innombrables. Une autre nuit perdue dans une cave à Dortmünd, avec d’anciens rôlistes en jogging avec des lunettes un peu trop grosses et des lèvres supérieures un peu trop moustachues à tenter de briser les barrières culturelles entre l’approche moderne du gameplay mondialisé et la rudesse de l’approche allemande des années 90. J’ai échoué cette fois-ci mais aussi vrai que c’est moi qui teste tous les mauvais jeux chez Pixel Post, je vous fais aujourd’hui le serment de retenter ma chance.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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