« Un petit studio sort, chez un éditeur de taille modeste, un jeu à esthétique 16 bits, avec une scène d’introduction en animé, et au gameplay mélangeant allégrement deux styles de jeu semblant pris au hasard », voilà qui pourrait être une définition de la moitié des jeux à petit budget du marché. Néanmoins, quand ces derniers font l’effort de ne proposer ni craft, ni deck building, ils sortent heureusement un peu du lot. Et quand ils convoquent une référence devenue aussi obscure qu’ActRaiser, ils retiennent forcément notre attention.
Le mode actuel de distribution des jeux vidéo, avec son côté frénétique et mondialisé, a bien des défauts, mais le fait de nous donner accès de manière quasi instantanée à de petites productions japonaises qui n’auraient il y a dix ans, sauf exception (Cave Story), jamais quitté l’archipel est tout de même bien agréable. Smelter est un cas particulièrement atypique : réalisé à Osaka par une équipe internationale au sein d’une compagnie non spécialisée dans le développement de jeux, il s’agit d’un projet porté et édité par Dangen, spécialiste de ces « jeux-fusion », mélanges d’inspirations issues à la fois de l’âge d’or des consoles japonaises et des expériences indés occidentales de ces dernières années. On leur doit par exemple l’édition ou la distribution de CrossCode, Minoria, Iconoclasts ou encore Bug Fables. Et en termes de fusion, nous sommes ici servis, puisque si on créait un diagramme de Venn à trois cercles avec le city building-tower defense d’Actraiser, la plateforme frénétique de la série Mega Man et l’exploration soumise à un arbre de compétences déblocables de Metroid, on trouverait Smelter tout au milieu. Une expérience étrange, originale, insolite… et un peu bancale.
L’évangile selon Saint-Mech
Concédons-lui au moins cela : Smelter tente quelque chose d’assez inédit au niveau scénaristique, puisqu’il y est question d’Ève, oui celle du Jardin d’Éden, qui part à la recherche de son Adam disparu à la suite de la destruction apocalyptique du Paradis, et finit dans une dimension infernale et chaotique, fusionnant avec un démon nommé Smelter qui lui confère une armure cybernétique. Je sais, c’est bizarre. Ensemble, Ève et Smelter vont petit à petit reconquérir ce royaume infernal : elle, à la recherche de son amour perdu, et lui euh… visiblement à la recherche de conquête et de domination, mais vous savez on a vu des alliances plus improbables.
Le scénario farfelu de Smelter reste assez léger et ne vous réservera pas beaucoup de surprises, il est surtout le prétexte à vous faire parcourir son univers mi-infernal mi-science-fiction qui évoquera tantôt le bestiaire issu d’un Castlevania, tantôt les robots décadents du Dr.Wily dans les premiers Mega Man de Capcom. Cela n’a pas beaucoup de sens, et le ton faussement léger du jeu ne sonne franchement pas très bien : on ne comprend jamais vraiment si les auteurs du jeu avaient la moindre idée de ce qu’ils souhaitaient raconter. Mais cela n’a pas beaucoup d’importance, le prétexte étant surtout de vous trimbaler un peu partout dans les fameuses Terres Chaotiques et alterner les deux phases principales du jeu. De ce point de vue, la bizarrerie du scénario de Smelter entre en résonance avec l’étrangeté de son rythme de jeu.
Est-ce que j’ai une gueule d’ActRaiser ?
Enfant, j’étais fasciné par les photos d’ActRaiser dans les magazines de jeux vidéo : je n’arrivais pas exactement à saisir comment pouvaient s’articuler des phases de jeu incluant construction de royaume en vue du dessus d’une part et platformer bourrin à scrolling horizontal d’autre part. De manière évidente, le jeu de Quintet de 1993 constitue à la fois un petit miracle de synergie vidéoludique et une prouesse technique repoussant assez loin les limites graphiques et sonores de la Super Nintendo. Une fois en ma possession après moult investissement d’argent de poche, j’avais découvert que ce qui fonctionnait très bien dans le jeu, et n’a jamais été vraiment reproduit à ma connaissance, c’est la manière dont l’extension de votre royaume semblait (c’était en réalité très scripté) influer sur les phases de combat. Vous étiez à la fois le Dieu créateur et son Avatar réglant pied à pied les problèmes impossibles à régler de loin. Plus votre peuple devenait puissant, plus vous étiez fort. Et plus vous terrassiez les dangers des donjons, plus votre peuple pouvait prospérer.
Pas étonnant que les « ActRaiser-like » ne soient pas devenus un sous-genre vidéoludique, même si des héritiers indirects évidents existent : on retrouvera par exemple une partie de l’esprit du jeu dans Valkyrie Profile, également édité par Enix quelques années plus tard. Smelter tente de reproduire cet exploit, en faisant dialoguer deux phases de jeu distinctes : dans la première, vous incarnez Smelter, le démon, qui gère son royaume et doit, dans un jeu de construction très simple, bâtir les routes et les structures de son royaume démoniaque : choisir où placer ses soldats (si possible près des points de spawn des démons adverses), créer des fermes pour les nourrir, et activer un certain nombre de bâtiments spéciaux générant tantôt des ressources, tantôt des compétences pour Ève. Cette phase de jeu est assez simple, bien plus simple que ne l’était la construction des différents royaumes d’ActRaiser, et va surtout consister en une recherche d’optimisation spatiale que je résumerai à : éloigner les paysans du front, et bourrer les points sensibles de militaires assez nombreux pour que vous n’ayez pas à vous tracasser de leur apporter des renforts quand ça commence à chauffer.
Ces phases de jeu, au départ un peu brouillonnes, prennent bien vite une tournure de pilote automatique dès qu’on a compris les grands principes directeurs qui rendent vos troupes résistantes aux invasions. Seul le déblocage de quelques tuiles précises de la carte demandera un tout petit peu de méthode et de stratégie, voire, hélas, un peu de grind dans l’autre partie du jeu, qui vous occupera les deux tiers de votre temps : l’exploration des différents donjons atteints par la progression du royaume.
Dans ces phases, vous contrôlez Ève dans des niveaux semi-linéaires se présentant sous une forme oscillant entre le pur jeu de plateforme, le run and gun (beaucoup de séquences nécessitent d’être très rapide) et le metroidvania, les donjons devant être ré-explorés au gré des compétences débloquées par Smelter et Ève. Une excellente idée sur le papier, mais qui illustre en pratique le gros manque de rythme du jeu : les donjons en question sont globalement assez longs, un poil répétitifs, et si les découvrir une première fois est généralement assez plaisant, la nécessité pour débloquer les évolutions d’Ève d’en débusquer les moindres secrets s’avère assez rébarbative. Vous allez néanmoins être lourdement incités à vous y coller : l’armure de l’héroïne possède trois mods, correspondant à une palette d’attaques et de mouvements vous incitant à reparcourir les niveaux en alternant entre le double saut, le dash, la glissade ou le fait de traverser les objets. Une idée qui fonctionnerait mieux si on pouvait, à l’image d’un metroidvania classique, plus rapidement parcourir certains bouts de niveaux ou s’aider d’une carte. Ici, ce n’est pas le cas : attendez-vous à vous perdre et à devoir refaire trois ou quatre fois des niveaux pas spécialement palpitants.
Question d’équilibre
Smelter est un jeu qui ne manque pas de qualités : original, beau, doté d’une OST très efficace, et présentant à intervalles réguliers de jolies idées de game design dans ses donjons. Mais il est hélas plombé par un manque cruel d’équilibrage et de polish qui se retrouve à tous les étages du jeu. Dans la partie construction, on alterne des phases assez plan-plan d’extension et de construction de routes pour se retrouver parfois en train de ramer contre des vagues d’envahisseurs compactes qui submergent quasi automatiquement vos défenses. Dans les phases de plateforme, on peut enchaîner une dizaine de salles correctement agencées, avant de se retrouver face à une phase de poursuite mal réglée vous poussant à optimiser vos trajectoires au poil de millimètre, à échouer et à respawner parfois assez loin, en boucle. À côté de cela, des mécaniques élémentaires (comme le fait de pouvoir « Smelter », c’est-à-dire fusionner ou altérer des objets ou ennemis) sont peu ou pas opérantes, tandis que des fonctionnalités basiques n’ont tout simplement pas été envisagées par les développeurs. Il m’est ainsi arrivé de perdre une heure complète de jeu suite à un (rarissime) plantage… et de découvrir que Smelter ne possède aucun système de sauvegarde automatique, même quand vous finissez un niveau pour retourner à la carte générale. Une aberration en 2021 pour un jeu ainsi structuré.
À mon avis, le principal problème de Smelter, c’est qu’il rajoute de la complexité là où ActRaiser excellait dans la simplicité. Sous ses aspects de jeu patchwork bizarre, le jeu de Quintet se limitait en fait à très peu de variations dans le gameplay : d’une part quelques actions basiques et quelques scripts pour la partie construction dont la monotonie était brisée par les événements scriptés, et d’autre part une certaine linéarité dans les niveaux d’action, dans lesquels le personnage avait par ailleurs une palette d’actions assez réduite (trop sans doute pour un jeu actuel) qui ne variait qu’en fonction du pouvoir magique qu’on décidait de lui attribuer. Il en résultait un jeu certes assez court, mais étonnamment lisible, jouable et rythmé encore aujourd’hui. Un équilibre totalement perdu par son oubliable suite, qui ne retenait de cet exploit vidéoludique que le côté esthétique, en produisant un des jeux les plus beaux mais les plus oubliables des platformers des années 90.
La simplicité, Smelter n’en raffole pas : son city builder s’efforce aussi d’être un jeu d’exploration et un tower defense, et ses niveaux d’action essayent à tout rompre de vous faire jongler entre une vingtaine de capacités et de vous faire explorer trois fois les lieux de son action… tout en rallongeant encore la sauce avec des épreuves spéciales (faire un niveau sans se faire repérer, sans se faire toucher, etc.) assez difficiles, mais qu’il est nécessaire de boucler pour récolter certaines ressources importantes pour l’équilibrage de la campagne. Le résultat est indigeste, et semble ne pas savoir sur quel pied danser. Smelter essaye d’être un « jeu-tout », mais on en ressort avec l’impression d’avoir surtout joué à un « jeu-trop ».
Smelter a été testé sur PC via une clé envoyée par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur PS4 et Nintendo Switch.
C’est un jeu qu’on aimerait aimer, en ce qu’il essaye à la fois d’innover tout en ramenant d’outre-tombe la formule oubliée qu’était ActRaiser. Hélas, gouverner c’est choisir, et Smelter ne le fait jamais, s’éparpillant dans toutes les directions sans jamais consolider sa base ludique. Une vraie déception tant il ne manque pas beaucoup d’ajustements, d’éléments et de corrections de bugs pour que le jeu soit techniquement irréprochable. En revanche, pour son gros problème de rythme, il me semble qu’il y aurait beaucoup, beaucoup de travail avant que Smelter n’atteigne le niveau de fun nécessaire à ce que je puisse vous le recommander.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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