Cette fois-ci dans Partie Rapide, Shift s’est plongé dans l’expérience intimiste et minimaliste de The Longest Road on Earth, et Zali évoque le remaster des deux jeux Famicom Detective Club.
The Longest Road on Earth
Les animaux, d’accord. Les animaux anthropomorphes, d’accord aussi. Mais les animaux dans un monde peuplé d’animaux anthropomorphes, non mais vous voulez me provoquer des crises existentielles ou quoi ? Ça va que The Longest Road on Earth est un jeu muet, mais concrètement il se dit quoi mon oiseau concierge sur son bateau quand il s’accoude sur le pont pour observer les goélands ? Répondez-moi Brainwash Gang je vous jure ça me met pas bien votre histoire là.
On a parcouru le plus long chemin
Plus sérieusement, Veltar vous avait déjà expliqué il y a quelques mois en quoi consistait The Longest Road on Earth quand il avait pu poser ses mains sur la démo, et je n’aurai pas grand-chose à ajouter à ce propos. Le titre est effectivement une expérience émotionnelle et sensorielle, une suite de tranches de vies sous forme de clips interactifs en pixel art, bercés par la pop mélancolique de Beícoli, compositrice et interprète de la vingtaine de pistes que composent l’album du jeu – et dont un aperçu avait été dévoilé la semaine dernière, lors du concert de pré-lancement.
Nous avions tous·tes un peu la même crainte à la rédaction, que cette magnifique DA, couplée à cette très jolie bande-son, ne soient que les seuls points forts de The Longest Road on Earth, et qu’on finisse par s’y ennuyer. Et c’est un peu ce qui m’est arrivé sur le premier tiers du jeu, quand les petites histoires ont trop eu tendance à se résumer en métro-boulot-dodo, les seules variations s’exprimant dans le personnage, son travail et son cadre de vie, entrecoupées par l’avancée de la journée d’un vieux lézard et sa boutique de préteur sur gage. Et si je ne m’attendais pas tellement à du gros gameplay, j’ai fini par me lasser assez rapidement de devoir déplacer lentement mes personnages au clavier pour vaguement interagir du bout de la touche espace, au point d’espérer que le jeu me laisse tranquillement contempler la DA et fasse tout le boulot. Car si ce premier acte ne m’a pas laissé un souvenir impérissable côté gameplay, narration ou mise en scène, il faut reconnaître que côté musique et pixel art, c’était déjà le feu.
Et puis d’un coup, la situation s’est débloquée, et, sans m’en rendre compte, je me suis laissé porter d’une traite par les récits de The Longest Road on Earth. Déjà, car on se met à suivre moins de personnages, mais sur une plus longue durée, nous permettant de nous attacher et de nous intéresser un peu plus que le temps d’une petite scénette, et surtout, car Brainwash Gang passe enfin à la vitesse supérieure en termes de mise en scène. C’est aussi là que l’idée de rendre une critique du titre trouve ses limites : il n’y aurait aucun intérêt – et serait même dommage – de vous décrire et de décortiquer ces mécaniques de narration car ça gâcherait toute la surprise, tout en étant évidemment beaucoup moins percutant que les séquences elles-mêmes, et l’on serait dans la subjectivité la plus totale. Non pas que la subjectivité soit une impasse dans la critique vidéoludique – l’objectivité tant réclamée est d’ailleurs un doux mythe, n’en déplaise à certains détracteurs – , mais on touche ici à une expérience si sensorielle et émotionnelle que je ne pourrais que vous dire quelles séquences m’ont plu ou non, sachant pertinemment que cette appréciation sera différente d’une personne à l’autre.
Je pourrais de même disserter sur la signification du titre – j’ai ma petite idée, elle est plutôt déprimante, je l’aime bien – pendant des plombes et analyser les séquences avec ma clé de lecture, et ce serait mentir que de dire que je ne l’ai pas fait tout seul devant le jeu, mais en vérité : on s’en fiche pas mal. L’intérêt de The Longest Road on Earth repose entièrement sur le côté captivant des tranches de vies – tantôt drôles, tantôt mélancoliques, souvent juste descriptives – s’enchainant chanson après chanson, et c’est très bien comme ça.
The Longest Road on Earth a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Je regrettais récemment que If On A Winter’s Night, Four Travelers soit autant le cul entre deux chaises, ne sachant choisir entre point&click à énigmes ou jeu narratif, The Longest Road on Earth a lui complètement fait son choix, embrassant un gameplay parfaitement minimaliste au service des émotions, de la narration et de la mise en scène. Sa compositrice blaguait à ce sujet : ce genre de parti pris assez radical ne pourra bien entendu pas plaire à tout le monde – ni même plaire tout du long, si les deux tiers du jeu m’ont énormément accroché, je n’oublie pas m’être ennuyé ferme sur le premier acte – mais pour peu que vous soyez sensibles à la musique de Beícoli, au pixel art et aux expériences narratives et poétiques, je ne peux que vous recommander d’y jeter un œil. The Longest Road on Earth est une petite pépite de deux heures, aux segments certes inégaux, mais toujours extrêmement jolis et soignés.
Famicom Detective Club
Nintendo est relativement coutumier du fait : profiter d’une fin de Nintendo Direct pour annoncer, comme surgie de nulle part, l’arrivée imminente d’un jeu jamais annoncé auparavant. Ce fut le cas il y a quelques mois avec l’annonce du remake de deux visual novels issus du catalogue japonais du Family Computer Disc System de la NES : The Missing Heir, et sa préquelle The Girl Who Stands Behind. Des remakes figurant discrètement au planning de l’éditeur depuis quelques semestres, mais dont l’arrivée hors des frontières japonaises est une surprise.
Deux enquêtes classiques font peau neuve
Derrière la série Famicom Detective Club, on trouve la patte de Yoshio Sakamoto, mieux connu pour son travail de réalisation sur les séries Metroid et Wario Ware. Travaillant pour ce projet dans le sous-studio Nintendo R&D1 chargé de sortir des jeux différents et expérimentaux, Sakamoto bénéficia d’une grande liberté créative qui lui permit d’accoucher de deux visual novels d’enquête tout public, dont le présent remake est signé par Mages, des spécialistes de l’embellissement et du rafraîchissement de jeux d’aventure.
Le résultat du travail de Sakamoto sur Famicom Detective Club était, pour l’époque, extrêmement impressionnant. Avec une ambiance évoquant tantôt Columbo tantôt Agatha Christie, le premier épisode, The Missing Heir, nous faisait mener l’enquête sur la mort assez peu accidentelle d’une richissime vieille femme, le jour du dévoilement de son testament à ses héritiers. Le jeu prend place dans un petit village reculé, où le poids des non-dits et des secrets ralentit nécessairement l’enquête. Le second épisode, situé chronologiquement quelques mois avant le premier, s’inspire d’avantage du cinéma horrifique de Dario Argento et fait intervenir des éléments fantastiques et surnaturels au cœur de son enquête. Bien que l’interactivité soit assez réduite (pas d’embranchements, pas vraiment de déductions à accomplir, l’histoire avance sur des rails dès qu’on comprend à qui parler et dans quel ordre…), Famicom Detective Club bluffe par sa capacité à proposer des intrigues denses et haletantes, bien que forcément très datées : les dizaines de jeux d’enquête qu’il a inspirées sont passées par là, transformant de brillantes idées en poncifs des enquêtes vidéoludiques.
Je téléphone à la Polish
L’essentiel du travail accompli par Mages a donc consisté à reprendre intégralement les décors et les animations forcément très sommaires de ces deux jeux de la fin des années 80 pour en faire des expériences visuellement à la hauteur des attentes de 2021. De ce point de vue, le remake des deux épisodes de Famicom Detective Club est exemplaire : un doublage intégral (avec pas moins que la comédienne Megumi Ogata dans le rôle principal) a été effectué, les décors et les personnages ont été entièrement animés, et le jeu propose une cohérence sonore et graphique qui fait très rapidement oublier le côté vieillot de ses mécaniques.
En réalité, il n’y a que peu d’autres choses à dire sur le remake de Famicom Detective Club : si vous cherchez un diptyque de visual novels relativement courts et classiques (comptez une dizaine d’heures par jeu), il n’y a aucune raison de vous en priver, c’est une des meilleures expériences du genre sur Switch. En revanche, on émettra tout de même un haussement de sourcil pas très satisfait au moment de passer à la caisse. Car plutôt que de vendre automatiquement le diptyque comme un seul jeu à un prix raisonnable, vous aurez à choisir entre acheter les enquêtes individuellement pour 35€ ou le pack de l’ensemble pour une soixantaine d’euros. Un prix extrêmement élevé pour des remakes de petits jeux des années 80, d’autant plus qu’aucune traduction en dehors de l’anglais ne vient justifier cette politique tarifaire assez salée.
Famicom Detective Club a été testé sur Nintendo Switch, via une clé fournie par l’éditeur.
Rien à dire sur la forme : le remake des deux Famicom Detective Club rend accessible au plus grand nombre et sous les meilleurs atours possibles un pan très méconnu mais passionnant de l’Histoire du Nintendo des années 80. Dans le fond, on regrettera cependant que cette compilation ne soit que ça : un simple remake deluxe, auquel ne viennent s’ajouter nulle traduction, nul bonus de type making of, nulle modernisation du gameplay… ou encore nulle présence du troisième jeu de la série : BS Tantei Club: Yuki ni Kieta Kako. Un poil dommage que des références à ce jeu puissent être trouvée dans Smash Bros, mais pas dans cette compilation qui s’y prêtait pourtant parfaitement, non ?
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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