Undernauts : Labyrinth of Yomi est un JRPG vous proposant une tâche a priori banale : explorer un donjon macabre rempli de monstres prêts à vous dévorer tout cru. Mais c’est sans doute une des seules fois où vous le ferez en tant qu’employé d’une entreprise japonaise tyrannique et désorganisée exploitant sans vergogne votre force de travail.
Je n’ai pas un rapport très amical au genre du dungeon-RPG (à quelques franchises près), particulièrement dans ses itérations les plus japonaises à la Etrian Odyssey : souvent, je trouve ça atrocement répétitif et ennuyeux. Même si, bien entendu, ça peut être quali, voire touchant, c’est quand même souvent une boucle à base de avancer/cartographier/mourir en boucle pendant 50 heures fastidieuses ne racontant rien d’autre qu’une longue montée en puissance de héros dans un dédale hostile. Comment expliquer alors que ce Undernauts : Labyrinth of Yomi, développé par Poppy Works pour l’éditeur japonais Experience Inc. et distribué par les usual suspects des bizarreries nippones d’Aksys Games, soit parti pour être très très bien placé dans mes meilleurs jeux de l’année ? Tout simplement parce qu’il se concentre sur trois axes majeurs de manière excellente sans forcément chercher à briller partout ailleurs : son scénario, son ambiance et… son incroyable système de fast travel.
Ma petite entreprise connait la crise
Dans le Japon du miracle économique des années 1970, tout allait bien, quand soudain descendit du ciel un énorme bloc de la taille d’une immense ville, à l’intérieur duquel se trouvaient richesses, matières premières et démons répugnants : Yomi. Autant d’opportunités pour les entreprises locales d’y envoyer des Undernauts, moitié mercenaires, moitié employés de bureau pour se sacrifier afin de looter tout ça. Au fil des années, alors que les premières strates du labyrinthe sont déjà largement asséchées, les coûts d’exploitation de ces expéditions explosent au point que presque plus personne ne trouve très intéressant de fouiller la structure et ses mystères. Plus personne ? C’est sans compter sur les Black kigyō, ces boîtes louches versées dans l’art de l’exploitation des travailleurs, du contournement de la loi et autres pratiques borderlines de maximisation des profits en minimisant les coûts. Pas de bol, c’est pour le compte de l’une de ces compagnies véreuses que vous allez explorer Yomi… pour vous faire étriper par le premier démon venu quelques heures plus tard, laissé pour mort ou morte au fond d’une grotte répugnante.
Miraculé·e, vous arrivez à ramper jusqu’au camp de base de l’entreprise où vous apprendrez bien vite que presque tout le monde (à part quelques Undernauts de légende) a été massacré et que, pour couronner le tout, une mystérieuse panne électrique vous empêche de quitter la structure. Bon pied bon œil, votre manager vous refourgue une demi-douzaine de compagnons misérables et inexpérimentés (certains pouvant même être des enfants ou des chats, on n’est pas là pour respecter le code du travail) et vous dit que votre nouvelle mission est d’explorer les tréfonds de Yomi pour essayer de trouver une solution. Vous n’auriez peut-être pas dû quitter votre job précédent, pas vrai ?
Ce qui frappe immédiatement lors des premières explorations dans Undernauts : Labyrinth of Yomi, c’est la manière dont l’ambiance « entreprise japonaise abusive » fonctionne à merveille avec celle, incroyablement bien fichue, du « donjon glauquissime ». Je me suis senti pendant des dizaines d’heures mis en tension entre les rouages cruels de cette boîte merdique (avec son manager bizarre obsédé par les nouilles instantanées, cette patronne cynique nous envoyant à la mort dans la joie, les messages radio avec des slogans de motivation, etc.) et les horreurs qui m’attendaient à l’extérieur : démons gluants, hybrides insectoïdes ou encore morts-vivants en pleine décomposition, le bestiaire déployé par le jeu est à peu près aussi répugnant que les conditions de travail qu’il dépeint et servi par une direction artistique toujours plus surprenante (et repoussante). Seuls les décors du jeu sont un poil monotones, mais le design sonore, les artworks des monstres et des boss sont absolument sublimes.
Si Undernauts : Labyrinth of Yomi n’avait pour lui que la qualité de son bestiaire horrifique, on s’en lasserait vite. Mais le jeu s’avère rapidement surprenant dans les développements de sa trame principale : si les six individus que vous incarnez et créez entièrement via des fiches de personnages très bien fichues n’ont aucune substance ni aucune personnalité, la narration n’en est pas moins brillante. Elle déploie des ambiances de plus en plus étranges et oppressantes qui parviennent à tisser la trame d’une histoire assez prenante, très riche en rebondissements. Les différentes quêtes s’entremêlent à merveille, dessinant le passé tourmenté de Yomi et des différentes factions démoniaques qui y vivent, y meurent et s’y affrontent dans des luttes fratricides. Un scénario qui se déploie par ailleurs de manière moins linéaire que prévu, les donjons pouvant en grande partie être explorés dans le désordre (si vous êtes un peu maso).
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Revenons un instant à ce que je déteste habituellement dans ce genre de jeux et qui aurait pu me gâcher l’excellent scénario de Undernauts : Labyrinth of Yomi. Souvent, un dungeon-RPG, c’est découvrir une carte quasiment à l’aveugle, croiser un nouveau monstre, se faire étriller et refaire piteusement tout le trajet pour avancer de quelques mètres de plus, et ce jusqu’à avoir passé des dizaines d’heures à péniblement tuer des slimes au début du donjon juste pour passer quelques niveaux et récupérer une armure un peu moins rouillée. Undernauts : Labyrinth of Yomi n’a pas cette approche : il mise davantage sur un équilibrage subtil des combats, soutenu par des mécanismes puissants d’accélération du leveling.
Sans entrer dans les détails, remarquons que le titre de Poppy Works est globalement difficile, mais jamais inutilement punitif. Il est assez rare que des ennemis éradiquent vos équipiers en un tour ou que vous croisiez des horreurs invincibles à moins de véritablement le faire exprès : il y a des avertissements explicites quand vous entrez en zone interdite. Il arrive bien entendu que vous vous retrouviez face à un pic de difficulté, mais le jeu compense systématiquement en distribuant des possibilités de renforcer vos armes et vos équipements, en « payant » pour vos explorations avec des boosts d’XP ou de compétences, ou encore en distribuant des « Monster Flowers », sortes de fontaines de monstres qu’il est possible de planter sur la carte et qui permettent de trouver très rapidement des trésors et des points d’expérience. C’est simple : en plus de trente heures de jeu, je n’ai jamais eu à faire une minute de farming, uniquement de l’optimisation de compétences et d’équipement.
Cette fluidité des combats est également garantie par la variété des jobs proposés (on peut en changer quasiment à la volée) qui permet de rapidement constituer des équipes très complémentaires utilisant des routines d’attaque que l’on peut accélérer à l’envi : les boss mis à part, aucun combat ne dure plus d’une minute ou deux, et leur fréquence reste assez faible une fois une section du labyrinthe exposée et des sorts bloquant les combats aléatoires acquis. On notera aussi la possibilité de débloquer en milieu de partie des compétences avancées permettant de craquer le système de combat pour faire de vos six salariés malheureux de véritables machines à tuer agissant en synergie les uns avec les autres (au moins jusqu’au labyrinthe suivant, où les monstres auront un comportement différent). Tout juste regrettera-t-on que le rythme baisse parfois, certaines parties de Yomi étant beaucoup, beaucoup trop étendues pour ne pas lasser un peu. Heureusement, c’est là qu’arrive le véritable coup de génie de Undernauts : Labyrinth of Yomi : son incroyable système de déplacement rapide.
Voiture de sévice
Si Yomi semble dans un premier temps si étendu qu’un cartographe professionnel jetterait l’éponge assez vite, notons d’abord son système de cartographie automatique extrêmement clair et poussé, permettant d’un coup d’œil de s’y retrouver dans les différentes strates du labyrinthe. De plus, il est possible de rejoindre presque tous les points déjà explorés via une mécanique de voyage accéléré, faisant prendre à votre équipe le chemin le plus court et le moins dangereux en vitesse rapide pour rejoindre votre destination, sans que vous ayez à toucher la manette. Même si vous voulez parcourir trois-cents ou quatre-cents cases, vous n’aurez qu’à attendre quelques secondes, sans aucun risque de vous perdre en route. Les combats aléatoires occasionnels n’étant pas tous filtrés par les sorts en réduisant la fréquence, ils pourraient parfois rendre ces nombreux trajets un peu pénibles. Mais là encore, Undernauts : Labyrinth of Yomi ne manque pas de bonnes idées.
Si au début de l’aventure, les Undernauts n’ont avec eux que leur bleu de travail et une arme de mauvaise qualité, l’avancée dans l’aventure va bientôt vous distribuer différents types de « fleurs », servant à créer des raccourcis : portes cachées dans des murs, échelles, ponts, téléporteurs ou encore clés, vous aurez bientôt un appareillage complexe vous permettant de parcourir des distances énormes en quelques clics, avec la satisfaction de voir le Yomi presque « rétrécir » sous vos yeux. Le jeu offre ainsi à chaque instant une récompense forte à l’exploration, tout en laissant la possibilité de rebrousser facilement chemin si vous vous êtes aventuré trop loin, et ce sans jamais la moindre impression de perte de temps. On regrettera simplement que certaines de ces mécaniques arrivent un peu tard dans l’aventure ou que certaines fleurs soient un peu trop chères, ce qui m’a par exemple poussé à sacrifier des upgrades d’équipement pour acheter des clés ou des mécanismes d’assainissement contre les tuiles empoisonnées.
Il y aurait encore beaucoup à détailler sur toutes ces mécaniques qui font d’Undernauts : Labyrinth of Yomi un jeu particulièrement abordable, même si on est novice dans le genre. Sans jamais renoncer à son exigence ou à son challenge, il sait maintenir sa tension et se rendre agréable et accessible. Ce n’est cependant pas un jeu exempt de défauts : notons par exemple une détestable tendance des items à se voir affubler d’un descriptif approximatif et mal traduit, le fait que certaines énigmes ne soient pas spécialement lisibles ou que certaines sous-quêtes tirent à la ligne. On retient aussi la mécanique de résurrection des personnages tombés au combat, bien fichue, mais qui à terme peut légèrement plomber toute l’économie du jeu, les personnages puissants coûtant véritablement un bras à ramener à la vie.
Finalement, le jeu aurait gagné à être encore densifié et à durer quelques heures de moins. Quand on a vu une tombe de mort-vivant à déverrouiller avec un mot de passe caché dans un décor, on les a toutes vues, alors vous forcer à en retrouver sept avant de vous laisser avancer, c’est parfois un peu longuet.
Undernauts : Labyrinth of Yomi a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation et 5, Nintendo Switch et les consoles Xbox.
Quelle excellente surprise qu’Undernauts : Labyrinth of Yomi ! Véritable pépite d’ergonomie, beau, profond, bien écrit et servi par des mécaniques de plus en plus intéressantes à mesure que l’on avance, ce titre est un de mes gros coups de cœur de l’année. S’il ne parvient pas tout à fait à casser la barrière qui fait du genre si particulier du dungeon-RPG un style de jeu clivant et réservé à une niche tout de même assez réduite d’amateurs, il est un de ceux qui s’en approche le plus, et c’est déjà un petit exploit. Un voyage remarquable, qui vous passera définitivement l’envie de postuler dans une entreprise japonaise ingrate pour récurer un donjon démoniaque autrement que dans un excellent jeu vidéo, en somme.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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