Guerrier du Printemps et autres Chevaliers aux Fleurs fraîchement débarqués de Persona 5 ou autres Tokyo Mirage Sessions avec votre bande-son pop et vos habits chinés à Harajuku : fini de rire. L’Hiver est arrivé. Un Hiver perpétuel et morbide, un Hiver antarctique rempli de démons et d’horreurs ineffables, qui vous fauchera au moindre faux pas. Remake d’un épisode de la série amirale d’Atlus, Shin Megami Tensei, l’épisode Strange Journey est un RPG impitoyable, brutal et austère. Un jeu qui vous fait comprendre, de ses premières minutes à sa conclusion en passant par ses premières missions et son tutoriel qu’il n’est pas votre ami, et qu’il n’est pas là pour vous mettre à l’aise. C’est votre premier Shin Megami Tensei ? Accrochez bien votre ceinture et ressortez votre 3DS du placard, c’est parti pour un voyage doux-amer dont vous ressortirez lessivé et changé.
On envahit l’Antarctique : ça tourne mal (no fake + explication)
Dans un futur indéterminé et sinistre, ce bon vieux « 20XX » qui n’inspire généralement rien de bon, rien ne va plus. En plus des catastrophes climatiques et politiques qui plongent la civilisation au bord de l’abîme voire au bord de l’effondrement total, une nouvelle catastrophe montre le bout de son nez. Apparu au Pôle Sud, le phénomène en expansion rapide nommé Schwarzwelt (le Monde Noir) menace d’engloutir la planète en quelques semaines. Énorme sphère impénétrable détruisant tout ce qui s’approche, rien ne semble pouvoir stopper la Schwarzwelt, ni la science, ni les armes. En désespoir de cause, les différentes nations de la planète s’allient en catastrophe et mettent leurs ressources et leurs technologies en commun pour tenter une opération de la dernière chance, en envoyant quatre vaisseaux suréquipés à l’intérieur du phénomène.
Il va sans dire que l’opération tourne particulièrement mal et ce dès les premières secondes de son exécution. Très rapidement isolé des autres, abîmé dans un désert de glace et pris d’assaut par des démons, le vaisseau du protagoniste (un soldat anonyme) s’en tire presque mieux que le reste, puisque vous êtes encore là pour vous défendre. Après un conseil de guerre particulièrement pessimiste, il ne vous reste plus qu’à partir en expédition pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être. A peine un pied posé dehors, engoncé dans votre « Tenue DEMONICA » qui fait office d’armure anti-démons au design tout droit sorti d’un comics des années 40, vous rencontrez un comité d’accueil pour le moins violent et peu amical. Bienvenue dans le début des vrais problèmes, bienvenue dans SMT Strange Journey Redux.
A aucun moment de son (long) et terrible scénario cet épisode ne vous accordera la moindre once de répit ou de rédemption. Plongée presque littérale en enfer, Strange Journey vous propose en terme de structure l’exploration méthodique des huit cercles démoniaques constituant l’intérieur de la Schwarzwelt. Chaque secteur, gardé par antagoniste bien décidé à anéantir toute trace de l’Humanité, recrée un simulacre d’un aspect éprouvant de notre civilisation (un champ de bataille, une décharge publique…). Quant aux rares espaces habités par des humains, ils vous sembleront rapidement aussi horribles que ceux peuplés de démons. Personne ne vous entendra crier. Soixante heures d’une promenade dans les affres de ce que l’Humanité sait produire de pire, le double si vous souhaitez explorer les différentes branches d’un scénario comportant grosso-modo trois issues possibles. Autant vous prévenir tout de suite qu’aucune des trois n’a une ambiance légère et primesautière. C’est glauque, même pour un Shin Megami Tensei. Vous voilà prévenus.
Ouroboros, je te choisis !
Vous aurez compris qu’ici, on est pas au joyeux pot de départ en pré-retraite de Berthier, un chapeau pointu coloré sur la tête et un verre de mousseux à la main. Le scénario morbide et abyssal qui se déroule d’heure en heure sous les pas du joueur est là pour vous angoisser et vous plonger dans un état de tension et d’anxiété permanent. Quand aux congères et aux cavernes de glace des premières heures se succèdent des espaces reproduisant de hideux lupanars et centres commerciaux décadents ou des espaces entièrement vides projetant un avenir de la planète purgée de toute vie, on en vient presque à regretter l’ambiance horrifique mais au fond familière à la The Thing du tutoriel. Plus vous plongez dans l’inconnu, et plus il devient bizarre et angoissant. Et ça ne s’arrange jamais, le pire est toujours devant vous.
Nous sommes dans un Shin Megami Tensei pur jus, et le gameplay en est à l’image : rude, impitoyable, hostile. Si vous ne connaissez de la série que les relativement bienveillants épisodes Persona, ou si le seul « vrai » SMT que vous avez pratiqué est l’épisode 4 sur 3DS, ce remake de Strange Journey pourra vous décontenancer. Il fait partie de cette petite mais solide niche de RPG capable de vous soulever sans ménagement en plein tutoriel pour vous jeter par la fenêtre. Comme dans Etrian Odyssey, comme dans un vieux Dragon Quest, ici, le moindre combat contre le moindre monstre en début de partie peut vous causer un Game Over sec et sans bavure. Et pas question de checkpoints ou autres retours au début du combat ici : on parle d’un renvoi sans ménagement à l’écran d’accueil, et tant pis pour l’imprudent qui n’avait pas pensé à sauvegarder.
Non pas que Strange Journey soit véritablement insurmontable : il a simplement une logique différente, qui vous force à une constante prudence, et à une compréhension poussée des mécaniques qu’il vous propose. Comme d’habitude dans la série, votre principal allié sera la possibilité de convaincre, soumettre, invoquer et fusionner des démons de plus de 300 espèces issues de toutes les mythologies, de tous les folklores imaginables. Avant Pokémon, il y avait Megami Tensei. Et très vite, il a été question d’y broyer, corrompre, mélanger des créatures infernales pour vous aider dans votre quête. Très semblables aux standards de la série, les mécaniques de jeu s’apprennent vite. Si le niveau de difficulté est relevé, notons tout de même que le jeu n’est pas avare en tutoriels, et que les cinq ou six premières heures vous familiariseront très progressivement avec tout cela. La route est dure, mais le combat est équitable.
Cependant le jeu enlève très rapidement les petites roues, et compte sur vous pour comprendre ce qu’il n’explicite pas. A l’instar du troisième épisode de la série, Nocturne, qui vous plaçait rapidement devant un combat quasiment impossible à gagner si vous n’aviez pas été un minimum attentif, Strange Journey vous forcera à utiliser tout ce qui en principe ne sert jamais dans les JRPG classiques : les buffs et debuffs, les sorts de mort, de poison ou de confusion, les affinités élémentaires, les sorts de scan d’ennemis, et la fuite. Le jeu n’attend pas de vous que vous soyez le plus fort : il veut que vous soyez le plus malin. Que vous compreniez que chaque boss est un puzzle, et que ce n’est pas votre niveau qui déterminera votre capacité à vaincre, mais votre rapidité à comprendre ce qui vous donne l’avantage. Shin Megami Tensei plutôt tardif (le jeu est sorti une première fois il y a dix ans sur DS), Strange Journey est assis sur une vingtaine d’années à peaufiner un système assez solide, et n’entend pas le révolutionner en profondeur. Tout le lore MegaTen est là, toutes les mécaniques habituelles aussi. Un plaisir immédiat pour les vieux roublards de la série, mais une porte d’entrée comme une autre pour les masochistes dont cela serait la première fois.
Un RPG gratifiant mais impitoyable
Entre les Remaster, les Remix, les GOTY, les Reboot, les Kiwami et les Refine, on ne sait plus trop ou donner de la tête dans le thésaurus du recyclage. C’est donc un « Redux » que nous avons cette fois-ci, et un plutôt solide si vous voulez bien en croire mon expertise en reduxologie. Le parti pris d’Atlus sur ce remake a été simple, et du même ordre que celui effectué sur Radiant Historia : on garde le noyau, âpre et machiavélique de Strange Journey, et on ajoute un peu de chantilly dessus. Des sprites redessinés, quelques cartes en plus, un nouveau pan dans le scénario, quelques personnages en plus, un réenregistrement des doublages.
Strange Journey Redux, c’est le même jeu, en plus beau, plus long, plus intéressant. C’est soigné, parfaitement adapté à l’expérience 3DS, et à chaque heure qui passe, l’amateur de Dungeon-RPG à l’ancienne frissonne d’aise devant une production d’une aussi bonne qualité. D’autant plus que nous tenons là un des rares épisodes modernes qui n’avait pas trouvé son chemin jusqu’en Europe, et un des ultimes grands RPG que comptera la portable de Nintendo qui n’en finit pas de finir. S’il devait rester quelques défauts à ce jeu, ils seraient de l’ordre d’un rythme parfois inégal (particulièrement au début) et à quelques rares moments où l’expérience devient frustrante. Peu de choses, en vérité.
Reste que le titre d’Atlus n’est certainement pas à mettre entre toutes les mains. Avec son ton sinistre, son écran de Game Over omniprésent, son absence de traduction en français et son expérience de solitude extrême (les Persona Q et autres Etrian Odyssey sont des parangons du fun à côté de celui-là), Shin Megami tensei : Strange Journey Redux s’adresse avant tout aux fans de la série, et aux amateurs de challenge très cordé. A déconseiller absolument pour un premier RPG ou pour une expérience occasionnelle. A l’instar du destin du protagoniste obligé de s’enfoncer de plus en plus loin dans les impitoyables entrailles antarctiques de la Schwarzwelt, Strange Journey vous prendra tout votre temps, et si vous n’y prenez pas garde, votre âme.
JRPG Hardcore au propos macabre et à l’ambiance désespérée, Shin Megami Tensei : Strange Journey redux est le contraire de la fête foraine que constitue un titre comme Persona 5, et propose une expérience plus rude que la plupart des autres titres d’une série pourtant déjà corsée. Il n’est pas fait pour vous amuser, mais pour vous forcer à le vaincre après un combat acharné. Atlus signe avec ce remake acté pour les 25 ans de la série un grand titre, qui ne plaira qu’à la frange la plus maso des amateurs de RPG à l’ancienne, mais qui saura se faire aimer d’eux comme peu de titres cette année : une recommandation absolue si vous êtes amateur du genre.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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