On en parle assez souvent sur ce site : on a des doutes sur la capacité de Square Enix à sortir quoi que ce soit de correct depuis plusieurs années, quelques arbres nommés Octopath Traveller ou Dragon Quest 11 cachant une forêt d’horreurs comme Left Alive ou The Quiet Man. La sortie presque en catastrophe de Chocobo’s Mystery Dungeon Every Buddy!, remake d’un jeu Wii un peu oublié, n’était pas spécialement encourageante, mais on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise.
Particulièrement confidentielle chez nous, la série des Mystery Dungeon (Donjon Mystère), coréalisée par Spike Chunsoft, n’en finit pas de multiplier les épisodes, au rythme parfois soutenu de 3 ou 4 épisodes annuels. Pas étonnant, vu que la formule du dungeon-RPG en vue du dessus se prête plutôt bien au reskin. Ainsi, on a eu depuis vingt ans la chance de faire descendre dans ces tortueux labyrinthes des Pokémons, les héros de Dragon Quest, ceux d’Etrian Odyssey, ou encore les vaisseaux de la série de shoot’em up TwinBee parce qu’après tout, on est plus à ça près. Mais aussi, et c’est pour ça que nous sommes là, des Chocobos, bien que la série Chocobo Dungeon n’ait pas connu de véritable épisode depuis dix ans. Donc, un beau jour, vous êtes Square Enix dans un ascenseur, et un type en train de renifler vous dit, les pupilles encore dilatées : « des CHOCOBOS. Mais dans un DONJON », et vous vous dites que c’est une bonne idée de lui dire oui pour vous en débarrasser. Il ajoute, en agitant les bras dans tous les sens, que ça vous coûtera pas cher parce que « on n’a qu’à prendre l’épisode Wii de 2009 et le balancer comme ça sur Switch et PS4 avec deux trois modifs, pouf ». Pouf, en effet. Vous validez le projet, et vous obtenez, sans doute un peu par hasard, le meilleur truc lié à Final Fantasy depuis une bonne dizaine d’années. Vous oubliez quasiment de l’annoncer et d’en faire la promo, mais c’est pas bien grave. Bienvenue dans Chocobo’s Mystery Dungeon Every Buddy!. Bienvenue chez Square Enix.
Chocobo et compagnie
L’expérience originelle sur Wii, Final Fantasy Fables : Chocobo’s Dungeon, était passée relativement inaperçue chez nous, bien qu’étant l’un des rares RPG vaguement ambitieux de la machine de Nintendo. Aussi, on ne peut que se réjouir, au premier regard, de voir le jeu ressortir sur des supports modernes, particulièrement quand le succès de la Switch donne un boulevard aux jeux adaptés aux sessions courtes ou aux expériences nomades comme un dungeon-RPG. Mais un simple portage sans le moindre dépoussiérage d’un jeu vieux de dix ans aurait été plus que fainéant. Par bonheur, Chocobo’s Mystery Dungeon Every Buddy apporte son lot de nouveautés à la formule.
Le fond ne change pas : on incarne toujours un Chocobo facétieux et aventurier, accompagné d’un explorateur nommé Cid qui, à la suite d’une péripétie impliquant téléportation et poupon magicien né d’un œuf, se retrouve coincé dans la ville de Lostime, une charmante bourgade dont les habitants semblent voués à perdre la mémoire dès que le clocher retentit. Rapidement devenus amis avec cette bande de crétins amnésiques, Cid et le Chocobo vont devoir explorer les donjons mentaux des habitants pour leur rendre la mémoire, ainsi que des gros donjons à thématique élémentaire pour récupérer des cristaux parce que, hey, c’est quand même un Final Fantasy. Une histoire plus surprenante et mieux écrite qu’elle n’en a l’air, même si on est assez loin de Persona 5. Le récit est plein de personnages touchants et de rebondissements où se mêlent Chocobos égarés, forgerons bougons, magiciens rancuniers et Mogs aventuriers de l’extrême. C’est souvent drôle, c’est toujours mignon, et c’est bien rythmé. C’est pas du Baudelaire, mais tout ce qu’on demande à un RPG est bien là, et l’histoire se boucle en moins de trente heures, ce qui est loin d’être un défaut pour un univers aussi ramassé. On en voit le bout avant d’être lassé.
C’est dans la forme que prend ce remake que Chocobo’s Mystery Dungeon Every Buddy! innove. Si le jeu d’origine proposait une expérience assez solitaire où notre petit Chocobo devait explorer les donjons tout seul comme un grand, le remake est entièrement basé sur une logique de duo, autorisant d’ailleurs de la coop locale : au fur et à mesure de l’aventure, vous allez débloquer différents personnages de l’intrigue, qui pourront descendre avec vous dans les labyrinthes proposés par le jeu. Chaque personnage a une compétence précise (soigner, faire de la magie, attaquer brutalement, etc.), et le choix s’avérera souvent assez stratégique : pas la peine de prendre un magicien de feu dans un donjon de flammes, mais indispensable d’emmener un soigneur pour attaquer une zone empoisonnée, etc. Les vieux croûtons comme moi se souviennent d’un titre comme Azure Dreams : c’est exactement la même (bonne) soupe.
A cette mécanique de combat en duo se joint un système assez organique de points distribués à chaque fois que vous battez un type de monstre parmi la bonne centaine du jeu. Dès que vous avez le nombre de points nécessaire, vous pouvez emmener ce monstre dans vos aventures. Le système est assez équilibré pour rendre le grind inutile : les différents monstres recrutables se débloquent assez rapidement au fil de l’aventure. De la même manière, le système de progression des personnages a été légèrement revu pour intégrer cette évolution à deux personnages et ne pas déséquilibrer le rythme du jeu.
Flemme and co. de Chocobo
En revanche, en ce qui concerne le volant technique, ces mécaniques de jeux rafraîchissantes sont servies par une paresse incroyable : Chocobo’s Mystery Dungeon Every Buddy! est balancé quasiment tel quel, sans aucun ajustement graphique, et dépouillé de sa VF d’époque. Autant pour l’accessibilité de ce qui constitue pourtant une excellente initiation au dungeon-RPG pour les plus jeunes. Les graphismes en 4/3 d’époque n’ont pas été repensés ni adaptés aux supports modernes, et si le résultat reste correct sur Switch, le jeu sur PS4 donne l’impression que tous les personnages sont de grosses patates, et est-ce qu’on veut vraiment aller explorer des donjons avec des grosses patates ? Eh bien pas vraiment.
Une fois de plus, Square Enix s’en tire avec l’excuse de la grande qualité du produit de base : l’OST est une des meilleures de tous les spin-off de Final Fantasy, le gameplay est très solide, on a envie de voir la suite, l’univers est attachant, mais tout de même ! Quelques donjons bonus à droite à gauche, de la coop locale, et voilà, on doit se contenter de ça, là où on aurait été en droit d’attendre un poil de modernité, des décors repensés, des mini quêtes en plus, des modes alternatifs, bref : un tout petit peu plus. Le jeu est excellent, et séduira sans problème tout amateur de RPG qui serait passé à côté à l’époque. Mais pour les vétérans de la série, la redite est un peu lourde à avaler. Et l’argument qui consisterait à dire que les portages de jeux Square Enix sont habituellement pires serait à la fois exact mais fort triste.
Plus irritant : si l’équilibre général du jeu a été à peu près repensé pour intégrer la présence d’un deuxième personnage au côté du Chocobo, les problèmes inhérents à Final Fantasy Fables : Chocobo’s Dungeon sont toujours là. Le jeu est trop facile dans ses premières heures, donnant l’impression d’un interminable tutoriel mollasson, avant de proposer des pics de difficulté brutaux et des phases carrément punitives, elles-mêmes suivies de quêtes annexes étrangement faciles. On ne sait jamais exactement si Chocobo’s Mystery Dungeon Every Buddy! entend s’adresser au joueur occasionnel qui a envie d’un petit RPG mignon ou au vétéran en quête de die and retry velu. Et l’expérience reste parasitée par une intelligence artificielle très datée : les monstres ont un comportement très scripté et prévisible à l’ennui, tandis que le compagnon géré par l’IA… a tendance à faire un peu n’importe quoi et à ne jamais s’adapter à ce qui se passe.
Dans le même ordre d’idée, les commandes héritées de la maniabilité Wiimote ont été clairement pensées à la va-vite, ce qui donne des lourdeurs irritantes sur un pad PS4 dès qu’on souhaite, par exemple, faire reculer ses personnages ou les faire avancer en diagonale. Il faut attendre près de 5 heures de jeu pour qu’une infobulle vous signale « Hé, au fait, au lieu de passer par les menus pour lancer vos sorts, pourquoi ne pas créer un raccourci à la manette ? ». Encore une fois dans un jeu japonais de ce type, on se demande si quiconque a pris le temps de réfléchir à l’expérience utilisateur avant de boucler le jeu. Rien de grave, mais Square Enix a eu dix ans pour repenser ces aspects qui ne devraient plus, en 2019, parasiter l’expérience d’un jeu aux mécaniques aussi simples. De même, on aurait aimé que certains aspects de la ville de Lostime comme la forge ou l’entrepôt aient un fonctionnement moins obscur tant leur utilisation fréquente est au cœur du gameplay.
Du Puzzle Game dans ma soupe de Donjon au poulet
Mon côté grognon mis à part, Chocobo’s Mystery Dungeon Every Buddy! reste un excellent jeu, en ce qu’il propose des parti-pris très forts dans son déroulé et évite ainsi la répétitivité inhérente au genre. Ainsi, au cœur de la progression du joueur se retrouve la division des donjons en deux types : les donjons principaux, qui nécessitent surtout de progresser d’une dizaine de niveaux pour atteindre un checkpoint en utilisant les règles « normales » du jeu, et les donjons situés dans l’esprit des habitants de la ville, nécessaires pour débloquer les boutiques et les compagnons, qui se présentent sous forme de courtes épreuves réalisées sous contrainte.
La plupart du temps, il s’agit de donjons de 5 ou 6 étages (un étage se boucle en quelques minutes, voire parfois en quelques secondes) proposant des variations sur les règles en vigueur : impossible d’avoir un compagnon, le personnage perd de la vie à chaque pas, visibilité réduite, niveau du personnage plafonné, etc. Le tout est généralement ponctué d’un combat de boss particulièrement rude qui mettra votre compréhension des règles à rude épreuve. Davantage qu’une expérience de RPG, ces phases sont conçues comme des puzzles à résoudre en jouant avec les règles, en rationnant au plus près les objets, ou en contournant des pièges et des embûches scriptées. C’est aussi ces donjons qui vous feront faire le meilleur usage du système de jobs qui permet au Chocobo de revêtir près de dix tenues liées à des « métiers » débloquant des compétences et des caractéristiques uniques. Au détour de certains de ces puzzles, assez retors pour les plus complexes, on perçoit que Chocobo’s Mystery Dungeon Every Buddy ne manque pas de génie quand il s’en donne les moyens.
On notera enfin que si le jeu ne déborde pas de quêtes annexes palpitantes, la ville de Lostime regorge de petites activités amusantes et de mini séquences destinées à présenter plus en profondeur chacun des habitants hauts en couleur des lieux. Par moment, le jeu se permet même quelques petites pointes d’ironie sur le fait qu’au fond, tout cela ce n’est qu’une histoire de citadins débiles ravis d’être amnésiques et dont les sauveurs providentiels sont un bébé volant et un gros poulet jaune. Et c’est aussi pour ces délicates petites touches de lucidité et de recul vis à vis du côté un peu bidon de tout cela que j’ose le réaffirmer : ce jeu, avec ses irritants petits défauts et ses immenses qualités, est la meilleure chose qui soit arrivée à n’importe quoi lié à Final Fantasy depuis un bon moment. Avec tous mes respects pour le mini épisode animé consacré à expliquer pourquoi Ardyn est méchant dans FFXV, RIP petit ange parti beaucoup, beaucoup trop tard.
Chocobo’s Mystery Dungeon Every Buddy a été testé sur PS4 Pro via une clé envoyée par l’éditeur.
Simple mais complet, Chocobo’s Mystery Dungeon Every Buddy! se révèle être un remake extrêmement efficace et captivant une fois passées ses premières heures un peu laborieuses. Le mélange subtil entre puzzles et donjons plus classiques, les mini-jeux attachants sans être envahissants et la boucle de progression très bien pensée ont un évident goût de reviens-y. On aurait cependant pas craché sur une refonte graphique, une IA un peu plus organique et une difficulté mieux équilibrée, mais à ces quelques détails près, Chocobo’s Mystery Dungeon Every Buddy! est l’un des meilleurs RPG de ce début d’année.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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