L’Allemagne et le Point and Click à l’ancienne, c’est un peu comme la Corée et les MMORPG free-to-play high-fantasy ou l’Assurance Chômage pour devenir indé suite à une rupture conventionnelle avec Ubisoft chez les développeurs de jeu français : une histoire longue, complexe, mais heureuse. Même aux moments les plus critiques, ils sont restés solidaires, pour le meilleur et pour le pire. Long héritier de cette tradition de nos voisins d’Outre-Rhin, Trüberbrook est un jeu d’aventure autant inspiré par X-Files que par les Alpes bavaroises.
Edité par Headcup (un éditeur toujours à l’affût de projets indés étranges) et développé par btf, un studio d’animation et d’effets spéciaux allemands dont il s’agit du premier jeu vidéo, Trüberbrook semble esthétiquement et conceptuellement n’appartenir à rien de vraiment connu, avec ses décors étranges et son ambiance inquiétante et grotesque nous plongeant dans une version fantasmée de l’Allemagne rurale au cœur de la Guerre Froide. Le studio avait fait la promesse d’une expérience fluide et moderne appuyée par des mécanismes certes classiques mais servie par une direction artistique étonnante à base de maquettes modélisées. Et si le résultat n’est pas exempt de petits défauts, nous tenons là un jeu d’aventure assez solide, qui n’hésite pas à expérimenter, quitte à parfois se tromper.
Dans les Alpes avec Tannhauser
Après une courte introduction dans une station essence abandonnée faisant office de tutoriel pour nous remettre en tête les mécaniques du Point and Click (essentiellement : utiliser des objets sur des trucs), Trüberbrook nous plonge assez vite dans le vif du sujet. En 1967, Hans Tannhauser, un jeune chercheur américain en physique quantique, vient se ressourcer dans le village alpin reculé de Trüberbrook dans lequel il a été invité à passer quelques jours en gagnant un ticket de loterie à laquelle il ne se souvient pas d’avoir participé.
Rapidement frappé par l’étrangeté de ce village visiblement construit au-dessus d’une mine abandonnée possédée par une multinationale louche, Hans va faire la connaissance de Gretchen, une archéologue venue ici pour rechercher la trace d’un peuple proto-germanique qui aurait laissé des traces mystérieuses dans la région. A la suite du vol de ses notes de travail par un mystérieux inconnu, Hans va s’en aller avec Gretchen pour partir à la recherche du voleur, et rapidement se retrouver pris dans une histoire mélangeant mystérieux asile de fous, Guerre Froide, civilisations disparues et portails dimensionnels. Le tout étant rempli de personnages étranges et interlopes, d’antagonistes inquiétants, de visions psychédéliques, et d’une bonne dose de scénaristes intoxiqués aux séries fantastiques des années 90.
Qu’à cela ne tienne, ce qu’on demande à un jeu d’aventure, c’est un propos qui tienne la route, des surprises, des énigmes et si possible des dialogues qui font mouche, et Trüberbrook possède tout cela. Le jeu a beau être bref (entre 5 et 7 heures), il réserve son lot de bons moments, de retournements de situation, et si son histoire de voyages dimensionnels dans une ville bizarre ne brille pas par son originalité, la bienveillance avec laquelle sont écrits les personnages transparaît à chaque instant : les scénaristes de btf ont parfaitement saisi l’ambiance pulp qu’ils souhaitaient faire ressentir aux joueurs, et on se croirait par moment plongé dans une improbable série B qui mélangerait James Bond, Docteur Who et Stargate.
Une réalisation inspirée mais imparfaite.
Loin des standards habituels du Point and Click qui se décline souvent sous forme cartoon ou en 3D traditionnelle, Trüberbrook utilise une esthétique quasiment jamais explorée par le jeu vidéo. Les personnages, animés en 3D, évoluent dans des photographies numérisées de maquettes constituées par les équipes d’animation du studio. Le rendu, à mon goût superbe, donne l’impression d’évoluer dans un diorama et de participer à la réalisation d’un film en stop motion. La contrepartie, due à la quantité invraisemblable de travail que la technique a demandé, est un nombre d’environnements assez restreint, qui tourne au recyclage sur les dernières heures du jeu. Mais le résultat reste bluffant.
Un peu plus embêtant par contre : le jeu souffre de petites imperfections de gameplay qui trahissent un certain manque de recul et d’expérience de l’équipe de développement. Si la plupart des énigmes proposées pour avancer ont une difficulté bien dosée et sont assez organiques, on déplorera tout de même que leur résolution tourne parfois à la chasse au pixel. Il est fréquent que l’on se retrouve coincé parce que l’on n’a pas pu ramasser un objet minuscule qui se met mal en surbrillance quand on passe la souris dessus. Plus ennuyeux encore : la tendance du jeu à vous faire recommencer des séquences entières depuis le début quand vous n’avez pas compris une énigme, vous forçant parfois à assister deux ou trois fois au même dialogue parce que vous avez donné une mauvaise réponse à une question ou agencé des éléments dans le mauvais ordre. Il en résulte des baisses de rythme dans l’intrigue, ce qui est dommage puisque la plupart des puzzles sont conçus avec un grand souci du détail et généralement bien intégrés à la trame de l’histoire.
Le seul vrai point noir de la réalisation de Trüberbrook sera peut-être corrigé par des patchs. Si on peut pardonner quelques bugs dans l’animation des personnages et un ou deux rares plantages, on peut difficilement accepter qu’un jeu sorte, en 2019, avec un sous-titrage visiblement effectué sous Google Traduction. Si les voix (en allemand ou anglais) sont très agréables, avec des comédiens inspirés, les sous-titres et descriptions en français tiennent du véritable charabia plein de germanismes et de tournures de phrases improbables qui m’ont conduit à basculer très rapidement le jeu en anglais. En l’état, je ne peux pas vous recommander Trüberbrook si votre maîtrise de l’allemand et/ou de l’anglais n’est pas solide. A mon sens, mieux vaut ne pas proposer de version française du tout que de proposer cela. Espérons que ce point soit corrigé un jour !
Originalité et générosité
Trüberbrook fait mieux que beaucoup d’autres jeux d’aventure sortis ces dernières années. Assez référencé sans néanmoins se forcer à faire un namedrop toutes les deux phrases, tentant de reproduire l’ambiance des magazines de science-fiction des années 60, prenant un cadre original, bien réalisé : on sent parfaitement sa sincérité derrière chaque plan, derrière chaque dialogue, très loin de la vacuité de propos du (pourtant superbe) Rainswept ou des maladresses de ton du récent Leisure Suit Larry. Trüberbrook veut vous appâter avec de l’originalité et de la sincérité, et on n’a plus franchement l’habitude, merci à lui.
Il s’agit du premier titre de btf. Les jeux vidéo n’étant pas l’activité principale de ce studio, il n’est pas certain que l’expérience ait vocation à être réitérée. Mais Trüberbrook est tant rempli de bonnes idées et d’approches originales de la réalisation vidéoludique qu’on se prend à rêver d’un succès pour ce jeu qui pousserait ses développeurs à décliner leurs idées dans un second essai dépouillé de ses quelques imperfections, avec une finition un peu plus poussée. Car davantage que de lootboxes et de références forcenées aux années 80, le jeu vidéo a besoin, pour progresser, de regards extérieurs, de nouvelles approches, et de perspectives inexplorées. Parfois, c’est une comédie musicale bizarre en stop motion sortie de nulle part, parfois, c’est le tournage d’une version allemande de Twin Peaks dans des dioramas des Alpes numérisés en 3D. Dans tous les cas, ça ne demande pas mieux que toute votre attention.
Trüberbrook a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur
Trüberbrook divisera forcément jusqu’aux amateurs du genre. Avec ses maquettes matérialisées en 3D, son style évoquant la stop-motion des années 90 et son histoire oppressante et farfelue au rythme un peu haché, le jeu de btf n’essaye pas vraiment de vous mettre à l’aise. Cependant, on ne peut pas à la fois demander au jeu vidéo d’être moins conformiste et râler quand il essaye. Si on omet des problèmes techniques à la limite du scandale (sous-titres en VF qui fleurent bon la traduction automatique), Trüberbrook est un court jeu d’aventure modeste mais sympathique qui mérite de ne pas rester méconnu.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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