Bien que relativement passée inaperçue, l’annonce d’un nouvel épisode à la série de point and click rigolo et vaguement sexy Leisure Suit Larry par de jeunes développeurs allemands a été l’une des plus étranges de l’année 2018. Sorti dans le tumulte de la fin d’année dernière, Leisure Suit Larry : Wet Dreams Don’t Dry a pourtant été livré en temps et en heure, avec la volonté de réinventer une série dont le dernier véritable épisode remontait à 1996.
Pour les plus jeunes et les gens de goût, apprenez que la série Leisure Suit Larry met en scène un petit bonhomme ringard, Larry Laffer, obsédé par l’idée de coucher avec toutes les jolies filles qui passent et dont la bêtise et le physique disgracieux sont compensés par une estime de lui-même si élevée qu’elle en est presque grotesque. La série était marquée par un humour oscillant entre l’absurde presque poétique, la parodie mordante, et une grosse dose de beauferie façon « dis-camion-pouet-pouet ». Vaguement érotique, la franchise mourut à peu près avec la fin de l’âge d’or des jeux d’aventure et un épisode en haute mer en odorama (le jeu était livré avec une carte d’odeurs à gratter) dont la version française contenait des imitations de Jacques Chirac et Bill Clinton. Seuls quelques spin-off nanardeux et des remakes des anciens épisodes ont fait vivoter la marque jusqu’en 2018, où la jeune équipe de vingtenaires allemands de chez CrazyBunch a eu l’idée pour le moins farfelue de ramener l’affreux Larry à la vie en essayant de transposer son pitch un peu tendax et surtout très daté (un pervers qui nique tout ce qui passe, même les meubles) à la société moderne post #MeToo. Un pari pour le moins… risqué, mais partiellement réussi. Seulement partiellement.
Hibernanus
L’approche scénaristique de Leisure Suit Larry : Wet Dreams Don’t Dry n’est pas d’une originalité folle, mais elle a le mérite de bien fonctionner et de dispenser le joueur de jouer aux nombreux jeux précédents de la franchise. De fait, il s’agit davantage d’un reboot que d’une suite. Dans cet épisode, Larry se réveille d’une longue sieste (ou d’une cryogénie quelconque, on ne saura jamais exactement), dans des égouts. Toujours petit, ringard et moche, il se lance à l’assaut de la ville, pour rapidement réaliser que plus de vingt ans ont passé : le voici en 2018, au pays des hipsters, des téléphones portables, d’Internet et de la gentrification des zones résidentielles. Comprenant rapidement que son seul espoir de continuer à séduire est de s’inscrire sur Tinder, lui qui a techniquement 69 ans même s’il conserve son corps de quadragénaire défraîchi, Larry Laffer se lance dans une longue quête pour augmenter son score de séducteur et tenter de décrocher une nuit d’amour avec la secrétaire d’un pseudo Steve Jobs. Non sans avoir au passage sympathisé avec plein de jolies filles so-2018 qui vont lui demander d’accomplir tout un tas de quêtes farfelues avec l’espoir pour Larry d’entrevoir un bout de doudoune en récompense.
L’angle choisi par Leisure Suit Larry : Wet Dreams Don’t Dry est celui de la parodie du monde contemporain, ainsi que la parodie du personnage même de Larry, qui apparaît encore plus bête et plus inoffensif que dans les épisodes anciens de la série. Complètement largué face aux instagrammeuses, au musiciennes de métal sur le retour, aux amatrices de licornes, au concept-même de bisexualité ou à la technologie nécessaire pour faire fonctionner le show d’une Camgirl, Larry déambule avec perplexité et bonne humeur, toujours persuadé qu’il est beau et séduisant alors que le jeu en fait clairement et nommément un nuisible insistant et particulièrement relou. De ce point de vue, CrazyBunch fait un excellent boulot : ils ont réussi à écrire une histoire qui troque l’ambiance Cocogirl-érotico-neuneue des anciens épisodes pour offrir un vrai regard ironique sur la place du mâle blanc hétérosexuel dans le marché de la séduction en 2018, tout en parvenant à créer une galerie de personnages féminins étonnamment variés, en arrivant à rester un peu sexy sans verser ni dans le voyeurisme, ni dans le slutshaming. Le ton reste gras et vaguement beauf, mais nettement moins que dans les précédents épisodes de la série.
D’ailleurs, à peu de choses près, et même si la finalité de chacune des sous-quêtes proposées par cette aventure est bel et bien de coucher avec tout ce qui passe, le sujet au cœur de Leisure Suit Larry : Wet Dreams Don’t Dry n’est pas tant le sexe (surtout présenté ici comme un élément humoristique haha un rat mort dans un préservatif c’est rigolo mdr j’ai quatre ans d’âge mental) que la post-modernité et le rapport à la technologie.
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Alors que les développeurs prennent toutes les pincettes du monde à ne pas être trop beaufs et gras sur la question du sexe, ils s’en donnent à cœur joie pour parodier le monde des technologies modernes, par le regard ahuri d’un transfuge des années 80. Ainsi, la plupart des personnages féminins que vous rencontrerez, loin des archétypes habituels de la série, sont plutôt définies par le rapport problématique et névrotique qu’elles entretiennent au monde des nouveaux médias : pornographie sur Internet, course aux likes, pression des pairs sur les réseaux sociaux, spéculation sur des objets de collection sur des sites marchands, uberisation, wifi en panne et autres sextoys connectés seront le lot des quêtes que vous aurez à accomplir pour séduire tout ce beau monde. La critique des nouvelles technologies est assez large : Facebook, Twitter, les smartphones, la VR, les drones, le cynisme des entreprises de technologie, et même le marché des jeux vidéo en prennent pour leur grade.
Hélas, on touche là à la limite de Leisure Suit Larry : Wet Dreams Don’t Dry. Le jeu a beau réussir à éviter d’être un long sketch de Franck Dubosc featuring Jean-Marie Bigard tout en réussissant à parler de sexe sans arrêt, il échoue paradoxalement à être vraiment drôle sur ce qu’il entend critiquer ou moquer. Le rythme des vannes a beau être très soutenu, elles sont pour la plupart très attendues, et écrites avec un sens du timing très relatif, prononcées par des comédiens pas toujours très convaincus de ce qu’ils sont en train de lire. Aux jeux de mots très faciles (« Instacrap », « Farcebook »…) succèdent les situations convenues de type : « cet entrepreneur vit dans un grand immeuble très long et dur avec une petite fontaine au-dessus », ou encore « cet indien est offusqué qu’on lui dise qu’il gère un casino et en vrai il gère un casino 😂 ». Quant aux très sages scènes de sexe, on est dans la platitude humoristique absolue de type « l’ampoule est cassée, on y voit rien alors je mets mon doigt dans ce trou humide et oups c’était de la ricotta ». On oscille souvent entre le sourire poli et la gêne quand on nous recycle pour la centième fois une situation de type « pour réparer Internet, débranchez et rebranchez-le ». Comme si on était étrangement coincés dans une soirée où des trentenaires se récitaient pour la millième fois les répliques de leurs séries préférées du début des années 2000 en croyant que ça fait d’eux des gens amusants. Leisure Suit Larry : Wet Dreams Don’t Dry ne porte paradoxalement aucun discours sur la technologie au-delà de platitudes déjà lues et re-lues. Haha vous êtes dépendants à vos notifications. Haha les geeks sont moches sur les applis de rencontres (et les hommes musclés sont sans doute des gays au placard, haha). Haha, il y a des virus sur les sites de cul. Wink-wink. Contrairement au malheureux Larry, tout cela ne pisse pas bien loin.
Pire : s’il parvient tout de même souvent à faire -un tout petit peu- rire au détour de telle ou telle situation incongrue ou de quelques mésaventures du pathétique Larry Laffer (sans doute le personnage le plus réussi, et ça tombe bien vu que c’est le héros), le jeu de CrazyBunch n’est pas très bien écrit, et laisse à tout moment transparaître que, s’il est grammaticalement correct, il s’agit d’un jeu écrit par des allemands, en allemand, et sans une maîtrise suffisante de la langue anglaise pour que le jeu « sonne » correctement dans sa version internationale. En résulte l’impression constante d’être en train de jouer à un brouillon qui aurait été traduit mais pas adapté pour une audience anglophone. Pour un point and click à l’ancienne entièrement basé sur la pertinence et le mordant de ses dialogues, c’est hélas un défaut qui laissera bien du monde sur le côté, surtout quand on pense au côté extrêmement fouillé et verbeux des textes des anciens épisodes.
Tu Cliques et tu Pointes
Là où Leisure Suit Larry : Wet Dreams Don’t Dry s’en sort en revanche plutôt pas mal, c’est dans la partie « jeu d’aventure ». Bien que la difficulté soit beaucoup moins abrupte que dans les épisodes des années 80 et 90 (quasiment impossibles à boucler sans solution sur les genoux), les développeurs ont réussi à trouver un équilibre agréable entre l’absurdité des énigmes et une certaine logique, qui récompense à la fois la réflexion et l’expérimentation.
Mieux encore, ils ont réussi à créer une vraie courbe de difficulté : plus le jeu avance et plus le nombre de lieux visitable s’ouvre, et plus la difficulté augmente (vous avez plus de quêtes en cours, davantage d’objets et de combinaisons d’objets en poche, etc.), sans jamais devenir frustrante. Non linéaire, comme les jeux d’aventure l’étaient à l’époque, Leisure Suit Larry parvient tout de même à instaurer discrètement un ordre logique dans les énigmes principales à résoudre, et ne vous frustre jamais vraiment tout en mettant par moment rudement vos méninges à l’épreuve. Certes, rien de bien révolutionnaire là-dedans, et on est loin de la folie que pouvaient avoir des Discworld ou autres Chevaliers de Baphomet, mais les auteurs se sont bien débrouillés pour proposer quelque chose d’astucieux et de cohérent.
Quant au reste de l’enrobage, auquel on aurait tort de ne pas prêter attention face aux quelques défauts très irritants du jeu, c’est là aussi de l’excellent boulot : le jeu est beau, fluide, les détails et les animations fourmillent de petits moments amusants, la musique est assez entraînante, et je n’ai pas eu à déplorer le moindre bug lors de mes dix heures de jeu. Il n’a donc pas manqué grand chose à Leisure Suit Larry : Wet Dreams Don’t Dry pour être l’une des références du jeu d’aventure de 2018. Mieux écrit, il aurait sans mal pu se permettre d’être beaucoup plus provoquant et plus drôle, sans pour autant basculer dans l’offense gratuite.
Le jeu a été testé sur PC, par une copie acquise par nos soins, en anglais, si ça se trouve le jeu est plus drôle en allemand, mais j’ai fait LV2 italien et LV3 espagnol.
Jeu d’aventure plutôt correct, Leisure Suit Larry : Wet Dreams Don’t Dry parvient le petit exploit de ramener à la vie l’une des licences les plus datées du jeu d’aventure, et à parvenir à livrer un jeu qui parle de sexe pendant une dizaine d’heures sans jamais trop verser dans le sexisme ou le voyeurisme, préférant une critique acerbe des technologies modernes par le prisme du regard d’un personnage surgi des années 80. Hélas, l’écriture un peu faible et les blagues souvent très convenues du jeu peinent à en faire une référence du genre. Saluons tout de même l’immense chemin parcouru par les équipes de CrazyBunch qui ont réussi à livrer une copie correcte avec le projet le plus douteux depuis le dernier jeu Bubsy.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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