Sujets totalement délaissés de l’univers des jeux de gestion, la préhistoire et les premiers âges des civilisations humaines sont enfin actuellement l’objet de plusieurs jeux en développement. Dawn of Man est le premier d’entre eux à voir le jour sous la forme d’un city builder à petite échelle.
Ce sont les créateurs espagnols du très remarqué Planetbase qui planchent depuis quelques années sur ce projet destiné à retracer sous forme ludique les 10 000 ans et quelques qui ont vu l’Humanité passer de l’Age de Pierre à l’Age du Fer, avec toutes les transformations sociales qui ont accompagné le processus : sédentarisation, agriculture, dressage, regroupement des populations en tribus et en villages, apparition de la guerre, etc. En choisissant un setting très original, Madruga Works fait paradoxalement le choix de ne pas trop s’écarter des grands canons classiques et des codes du city builder. Le résultat est sympathique, mais aussi terriblement scolaire et parasité par des problèmes d’ergonomie.
Interface de Mammouth
Il y a beaucoup d’excellentes choses à prendre dans Dawn of Man. Alors, vous me passerez le manque d’élégance de ce que je vais dire, mais c’est juste pour évacuer le problème et me concentrer sur le reste : quelle interface affreuse ! Trop de clics pour obtenir une information, menus mal pensés, infobulles floues et icônes peu parlantes sont au programme de l’expérience Dawn of Man. Le tutoriel, maladroit en diable, semble à la fois trop long et parfois expédié, avec une traduction parfois ambigüe voire erronée de certaines notions (petit fou rire quand certains matériaux à récolter sont qualifiés de « Minables »). Bien sûr, j’ai vu pire. Bien sûr, passé les deux trois premières heures à pester sur tel ou tel sous-menu infichu de s’afficher au bon endroit, tout cela se fait oublier. Mais tout de même, quel étrange manque de polish, à l’heure où des Frostpunk et autre Two Point Hospital se posent en modèles d’accessibilité et d’accompagnement du joueur.
Cette interface un peu à côté de la plaque s’accompagne d’une direction artistique certes fonctionnelle, mais pas toujours bien claire. La faute à des graphismes simplistes, qui ne mettent pas bien les différentes ressources en valeur : rien ne ressemble davantage à un tas de silex qu’un tas de pierre, une confusion qui se retrouve jusque dans les icônes de ressources du jeu : les peaux brutes et les peaux tannées, par exemple, possèdent la même icône séparée d’une simple nuance de couleur. Croyez-en un daltonien : si la plupart des jeux de gestion ont arrêté ce genre d’approche, il y a une bonne raison.
Tout cela peut, et sera on l’espère, être corrigé par de petits patchs pour améliorer l’expérience utilisateur. Lors de ses phases d’Alpha et de Beta, les développeurs de Dawn of Man semblent avoir été largement à l’écoute des retours des premiers joueurs. Il ne suffirait pas de grand chose pour que ces petites lourdeurs et maladresses se fassent tout à fait oublier et que le joueur puisse profiter à plein de l’impressionnante palette de possibilités offertes par le jeu.
L’âge de faire
La période couverte par Dawn of Man s’étale sur plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines de milliers d’années. En début de partie, vous contrôlez une poignée d’humains vivant chichement dans deux tentes de peaux, et vivant uniquement de la chasse et de la cueillette, à la merci du moindre prédateur de passage ou du moindre coup de froid. Vos seules « technologies » sont la capacité à faire du feu et à créer d’autres maisons. Assez rapidement, vous devrez assigner des « zones de travail » pour que vos habitants aillent s’acquitter en autonomie de telle ou telle tâche, et vous devrez fixer des priorités pour la création d’outils et de tenues rudimentaires avec pour horizon de survivre au froid et à la faim du premier hiver.
Cette première phase, assez périlleuse et parfois injuste (ma première colonie a été démolie en quelques minutes par un ours affamé de passage), n’est pas sans rappeler la course contre la montre d’un Banished ou d’un Frostpunk avec la perspective rapide de l’arrivée des jours moins cléments, le passage des saisons étant lent mais inéluctable. Vos premières années seront ainsi très rudes, vous forçant parfois à déménager votre colonie en urgence ou à laisser mourir les habitants les plus faibles. Chaque tâche accomplie par les habitants génère des « points de connaissance » qui servent de monnaie technologique et permettent de faire lentement mais sûrement avancer le nombre de techniques, outils et bâtiments disponibles. L’arbre des technologies est assez touffu, découpé en ères elles-mêmes débloquées par l’acquisition de savoirs précis. Un autre système nommé les « paliers » se superpose à cela : à partir de certains paliers (survivre 2 ans, avoir 100 habitants, etc.) des scénarios plus compliqués sont débloqués, ce qui donne au jeu un certain challenge et une certaine rejouabilité, la première campagne étant extrêmement facile une fois qu’on a compris les mécaniques du jeu.
Un système de progression qui pourra frustrer
Il me semble utile de préciser que le système d’acquisition des technologies de Dawn of Man, s’il a une certaine logique, peut complètement casser le rythme du jeu si vous décidez de ne pas jouer « rôleplay ». Les points étant délivrés en fonction de certains « achievements », vous pourriez être tenté, au bout d’une ou deux heures de jeu, à chasser de nombreux animaux dont vous n’avez pas besoin ou encore à produire des outils désuets à la chaîne juste pour obtenir les points de connaissance qui y sont liés. Vous progresserez ainsi beaucoup plus vite dans l’arbre des technologies, en récompense d’avoir fabriqué un tas de babioles dont vous n’avez plus besoin et créé une crise de surproduction.
Le jeu est clairement pensé pour que vous ne fassiez pas ça, et un moyen de l’éviter aurait par exemple consisté à donner au joueur tous les points liés à un type d’outil quand celui-ci s’avère désuet ou supplanté par une autre méthode. Au lieu de cela, vous vous retrouverez souvent à « créer cinquante tentes de stockage » ou à « fabriquer dix harpons en bois » à une époque où ça ne vous sert plus à rien, juste pour faire plaisir à une liste d’achievements.
C’est un système qui, cependant, se prête bien aux scénarios scriptés des campagnes avancées du jeu qui nécessitent de progresser vite, mais ça reste frustrant et artificiel pour la campagne principale.
Cette progression est quoi qu’il arrive assez lente au début, et s’emballe à mesure que votre peuple devient plus performant et mieux outillé. Il faut d’ailleurs tâtonner lors des premières parties pour ne pas débloquer des technologies peu utiles dans un contexte d’urgence. Le tutoriel vous laissant un peu trop rapidement voler de vos propres ailes, vous ferez forcément des erreurs. Il m’est par exemple arrivé de privilégier la domestication du chien (bon « outil » de protection de la colonie en début de partie avant l’apparition des palissades) à la création d’outils en os, indispensable pour créer des haches et ainsi amasser des bûches nécessaires pour construire certains bâtiments. Une approche compréhensible : après tout, la civilisation est un saut dans l’inconnu, mais qui pourra frustrer, car il vous faudra recommencer le jeu un certain nombre de fois avant d’obtenir la maîtrise nécessaire à créer un village viable.
Ages Farouches[réf. nécessaire]
Sans atteindre les sommets des meilleurs jeux de gestion modernes (Cities Skylines, Frostpunk, Stardew Valley) et sans être aussi flamboyant que d’autres jeux du genre attendus pour 2019 (Flotsam, Ancient Cities, Ymir...), Dawn of Man s’en sort plutôt très bien. Les heures passent, le contenu se renouvelle et est assez important : on débloque des campagnes plus difficiles avec des conditions de départ plus rudes, puis des scénarios scriptés avec des conditions spéciales à remplir, et l’habituel éditeur de scénario qui va bien pour compléter le tout. Il vous faudra plusieurs dizaines d’heures pour faire le tour des possibilités offertes par le jeu.
En revanche, la limite de ce jeu au setting si original tient à mon sens dans la pauvreté de sa mise en contexte. Une encyclopédie succincte, des technologies et une timeline à peine décrites, une absence de reflet des immenses progrès effectués ces dernières années sur la compréhension des premiers âges des civilisations humaines (on ne saurait que trop recommander les podcasts des cours de paléoanthropologie de Jean-Jacques Hublin au Collège de France pour ceux que ça intéresse). On est loin du n’importe quoi généralisé de Far Cry Primal et Joe & Mac, mais il se dégage de ces villages de huttes et de ces cultures proto-historiques une certaine généricité : on ne sait pas toujours quelles implications historiques ont nos décisions ou le développement de telle ou telle technologie. De même qu’on ne comprend pas forcément l’impact des outils développés. L’impression de ressortir sans avoir appris grand-chose est un peu dommage, et le peu d’aide fournie par le jeu n’est pas contextuelle, et nécessite toujours de fouiller dans une encyclopédie assez mal organisée. Si je devais résumer cela en quelques mots : j’ai davantage appris sur les poissons dans le pourtant médiocre Megaquarium que sur les mammouths dans le pourtant charmant Dawn of Man.
Je suis ressorti du jeu avec l’impression d’avoir passé un bon moment, et en cela, je n’aurais pas la malhonnêteté de ne pas vous recommander l’achat de ce qui est le premier bon jeu du genre en 2019. Mais je regrette que Dawn of Man ne présente pas plus de singularité qui le distingue davantage de n’importe quel autre city builder du même genre. Alors que le décor, l’époque et les technologies déblocables sont si différents du reste de la production du genre, je regrette d’avoir, au fond, eu l’impression de jouer à un mélange un peu froid entre Tropico et Banished. Avec des cerfs tueurs géants et des conflits armés pour gérer la meilleure carrière à silex, certes, mais sans plus.
Le jeu a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur
Les auteurs de Dawn Of Man auraient sans doute pu peaufiner un peu la direction artistique et les différentes interfaces de leur jeu de gestion préhistorique. Ils auraient pu aussi travailler davantage à l’équilibrage d’une expérience trop basée sur une liste d’achievements à cocher qui conduisent parfois le joueur à faire n’importe quoi parce que le jeu l’exige. Cependant, le titre de Madruga Works reste un City Builder tout à fait correct, au sujet original et au contenu massif qui occupera les amateurs du genre des heures durant.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
Articles similaires
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024
Great God Grove - Queer et élastique
nov. 11, 2024