Zali vous en avait parlé de manière plutôt enthousiaste lors de son arrivée en early access, et pour cause : la minuscule équipe du nîmois Midgar Studio (aucun lien… si, bien sûr qu’il y a un lien) avait pour immense ambition de faire un Final Fantasy à eux treize. Les premières heures disponibles d’Edge of Eternity avaient su convaincre notre spécialiste ès J-RPG, malgré quelques défauts inhérents à un titre en early access, qui plus est de cette ampleur. Sauf que le voilà sorti le petit FF avec la moustache qui se décolle, et si les quelques soucis remontés par Zali en 2019 ont depuis été corrigés – les combats contre des mobs ne prennent plus l’après-midi, et l’optimisation n’est plus autant aux fraises, ça tourne en 60 FPS constants avec tous les potards à fond – de nouveaux se sont ajoutés en même temps que les systèmes de jeu.
Mais nous taperons sur les doigts du petit Edge of Eternity plus tard – oui, désolé, c’est loin d’être un naufrage, mais malgré le travail indéniable qui a été abattu pour son développement, le résultat est perfectible sur de trop nombreux points pour le recommander les yeux fermés -, car si le titre de Midgar Studios fait preuve d’un classicisme à toute épreuve côté gameplay, univers et structure, un petit tour dans les options dévoile une philosophie et approche du jeu dit rétro plus que bienvenue voire, n’ayons pas peur des mots, indispensable.
Entre baguette tradition et modernité
Ces options, elles se trouvent dans ce sous-menu nommé Interface et Difficulté, un encart plutôt courant de nos jours, mais qui révèle une conception du jeu rétro et de l’hommage au J-RPG classique qui nous avait fortement manquée à Chloé et moi, quand nous nous étions confrontés à Dragonborne et Golden Force. Je m’explique. De base, Edge of Eternity est paramétré comme ce que l’on peut attendre d’un FF old school : preset de difficulté et d’affichage d’interface, sauvegardes à endroits fixes, mini-carte, bref, des mécaniques auxquelles le public cible d’un J-RPG de cet acabit est complètement habitué, et ne remet probablement pas en question – voire défendra de manière plus ou moins virulente, pour la frange la plus réac du milieu.
Ainsi, cet onglet permet d’une part de régler la difficulté des combats et le degré d’immersion – la quantité de HUD à l’écran, donc -, mais surtout d’activer ou non la téléportation entre les différents portails, et de choisir entre un système de sauvegardes libres ou à des points précis. Et ça peut paraître con de s’enthousiasmer à ce point sur deux lignes de paramétrage, mais ces dernières traduisent des intentions particulièrement bienveillantes et inclusives. Donner le choix à son public de jouer « à l’ancienne », avec des points de sauvegarde fixes impliquant des durées de sessions spécifiques et donc un certain degré d’implication, ou de pouvoir sauvegarder à l’envi et de pouvoir jouer aussi bien 10 minutes que 2h sans pénalité, c’est se détourner d’un certain gatekeeping que des milieux comme le RPG ou le plateformer masocore continuent de cultiver et de cette idée nauséabonde que le jeu rétro et ses hommages se doivent d’être pénibles pour être légitimes. En laissant les nostalgiques choisir des systèmes de jeu plus rigides mais auxquels ils sont habitués et en laissant des joueurs plus jeunes, ayant moins de temps ou simplement ne voulant pas ou plus se prendre la tête, régler les paramètres de difficulté, le titre de Midgar Studio se rend attractif pour un large spectre de joueurs.
Et quitte à faire dans la take radicale, autant y aller à fond : je n’ai plus envie de jouer à des propositions rétro qui ne laissent pas ce genre de choix. Qu’un jeu soit difficile, qu’il demande de l’investissement pour le comprendre ou le maîtriser, c’est une chose – d’autant que nous sommes à une époque où la variété de choix a explosé, il est facile de passer de titres parfaitement maîtrisables dès la première minute à des systèmes complexes demandant parfois plusieurs dizaines d’heures avant d’y comprendre quelque chose -, mais rendre volontairement son jeu pénible car « c’était comme ça dans les années 90/2000 », c’est je pense passer à côté de l’intérêt de faire du rétro : reprendre sans recul des contraintes techniques qui n’ont plus lieu d’être et ignorer 20 ou 30 ans d’innovations et de recherche en game design. J’ai eu beaucoup d’expériences marquantes dans ma vie de joueur, beaucoup d’avant et après – un avant et après Celeste pour le platformer masocore accessible, un avant et après It Takes Two pour son usage du Friend Pass, qu’on retrouve également dans le récent Operation: Tango -, j’ai désormais un avant et après dans mon approche du jeu hommage ou old school avec Edge of Eternity. Évidemment, ces titres ne sont pas les inventeurs de ces concepts et d’autres sont probablement passés avant, mais ce sont mes déclics personnels. Et maintenant que j’ai posé les mains sur Edge of Eternity et que j’ai identifié ce que j’attendais de ce type de jeux, il va m’être très difficile de revenir sur des titres qui ne font pas comme ça.
Patch pour l’éternité
Le souci, maintenant, c’est que derrière cette approche accueillante du J-RPG, il y a un titre auquel il faut jouer. Et sans être mauvais ni même médiocre, Edge of Eternity affiche toutes les tares du projet bien trop ambitieux pour son propre bien, et surtout pour la taille incroyablement réduite de son équipe, qui bien qu’évidemment passionnée, ne pouvait raisonnablement pas éponger une telle masse de travail. Et si tout le monde était prévenu et qu’il est de mise de rester indulgent face au résultat somme toute impressionnant pour l’indé qu’il est – c’est franchement beau, pour commencer, et avec tous les paramètres graphiques à fond, Edge of Eternity tient la comparaison avec bon nombre de AA sans trembler – force est de constater que le titre souffre beaucoup trop de ce manque de moyens et de personnel – et au vu de l’ampleur du projet pour une équipe de seulement treize personnes, probablement de crunch, j’en ai bien peur – , pour que le confort de jeu soit de la partie.
Du côté technique, d’abord : si le titre a effectivement bien gagné en optimisation et tourne désormais sans baisse de FPS ni crash, c’est un peu moins la fête côté caméra et interface. Il est franchement régulier que les ennemis se retrouvent hors du champ de vision, se placent à cheval sur des hexagones – rendant très confus quant à la cible à choisir pour un sort de zone – ou que tout le monde soit planqué derrière des cailloux ou des arbres sans pouvoir se dépatouiller de l’affaire, même en jonglant entre les différents angles de vue. Rien de dramatique, mais plutôt agaçant quand on sait que les combats au tour par tour sont au centre de l’expérience, et qu’on ne peut pas faire trois pas dans certains donjons sans tomber sur une bestiole belliqueuse.
Toujours côté inconfort, il est à déplorer cette interface d’inventaire/journal de quête aux menus redondants et fort peu pratiques, qui nécessite beaucoup trop de manipulations et allers-retours pour la moindre modification, d’autant que certaines fonctions relativement essentielles ne sont pas du tout présentes – ou alors beaucoup trop bien cachées pour que je les trouve, mais cela reste un problème -, comme l’impossibilité de déséquiper une pièce d’armure d’un personnage, alors qu’il est possible de le faire pour un cristal associé à une arme.
Enfin, si le titre était plutôt épuré en termes de systèmes de jeu au début de son early, Midgar Studio avait d’entrée de jeu affiché des ambitions bien plus élevées et, si on ne pourra pas leur reprocher de s’y être tenus, les a empilés de manière assez discutable. Le système de base à la Final Fantasy est bien connu, il en est de même pour les différents ajouts : craft, énigmes, quêtes annexes de chasse, évènements saisonniers, on est en terrain connu. Le souci reste que si les combats ont eu le temps d’être équilibrés pour ne plus passer plusieurs dizaines de minutes sur le moindre affrontement – et continuent d’être améliorés, un récent patch autorise enfin à passer les trop longues animations d’attaques spéciales -, les autres systèmes n’ont pas encore profité du même soin. Les énigmes au tour par tour sont ainsi assez fastidieuses et mènent à un regrettable Game Over quand on y échoue, le craft demande une quantité de matériaux aberrante – d’autant plus quand les objets à fabriquer demandent tous grosso modo les mêmes choses -, et il devient très vite tentant de mettre toutes ces petites activités de côté, de passer le jeu en facile et de foncer dans la quête principale plutôt que de se prendre la tête avec ces bêtises.
La bonne nouvelle c’est que tout ceci est corrigeable, que les développeurs sont conscients de pas mal de soucis et qu’ils prévoient un suivi du titre sur le long terme : les reproches adressés aujourd’hui seront probablement de l’histoire ancienne dans les semaines/mois à venir, et le jeu passera sans souci de moyen à franchement sympathique. Car, outre ce profond inconfort de jeu, Edge of Eternity se tient tout de même assez bien : son contenu est généreux et la campagne, bien que pas tellement ma came, est riche en rebondissements, personnages et lieux à visiter. De même, le groupe, les armes et les pouvoirs des cristaux permettent une approche tactique complète, et il n’en faudrait pas beaucoup pour que le titre soit un vrai bon J-RPG solide et recommandable. La mauvaise nouvelle, c’est qu’en l’état il est toujours au stade de moyen et que je ne recommanderais pas de s’y lancer de suite, sous peine d’une expérience assez frustrante. Et qu’avant d’arriver à un résultat réellement satisfaisant, l’équipe va devoir encore sévèrement cravacher, alors qu’elle mériterait un bon repos, au vu du travail titanesque déjà effectué pour un studio de cette envergure.
Edge of Eternity a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il sortira plus tard sur consoles.
Edge of Eternity possède une base de combat, de structure et de mécaniques solide, et une volonté ambitieuse de proposer un J-RPG digne d’un AAA par des gens qui savent ce qu’ils font et ce qu’ils veulent. Le tout est agrémenté d’une vision de J-RPG classique comme on aimerait en voir plus souvent, se pliant aux attentes d’un public habitué – et parfois psychorigide – aux règles et codes du genre, sans mettre de côté les personnes qui voudraient se lancer dans le J-RPG ou simplement suivre une aventure sans se prendre la tête. L’expérience est malheureusement plombée par d’encombrants soucis techniques et d’équilibrage, inhérents à un projet indé de cette ampleur et qui seront, j’en suis certain, corrigés avec le temps, mais à quel prix humain ?
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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