« Notre objectif est de développer des jeux narratifs expérimentaux. Nous espérons développer des mécaniques uniques qui permettent aux joueurs de s’engager au niveau émotionnel […]. » C’est ce qu’on peut trouver sur la page de Safe Flight Games à l’origine de Some Goodbyes We Made et en partant de ce principe, c’est une franche réussite. D’ailleurs, même sans le savoir, c’est aussi une réussite. Toutefois, rarement le terme jeu vidéo ne m’aura semblé aussi restrictif.
Non, non, c'est bien moi qui pleure
Some Goodbyes We Made est une compilation de mini jeux sur le thème des au revoir. Le principe est extrêmement simple, chaque mini jeu possède une DA propre et un gameplay simple qui correspondent au souvenir d’un au revoir. Le tout premier au revoir de la collection nous demande par exemple de cliquer sur la partie colorée d’images qui défilent dans un hublot d’avion en train de décoller. Plus l’avion s’élève et plus les images vont vite et plus on s’acharne à tenter de retenir ces souvenirs avant d’abandonner. C’est très simple et ça marche très bien. Il y a aussi cette scène tout en collages dans laquelle on agite le bras à la fenêtre d’un train qui part pour dire au revoir à une personne restée à quai. Le jeu s’arrête lorsqu’on accepte de baisser le bras, par lassitude ou fatigue physique de bouger la souris.
Chaque gameplay, chaque DA correspond parfaitement à la scène qui se déroule et nous fait participer entièrement à ce qui se passe. Même si les souvenirs sont très personnels, ils ont aussi un côté universel. Leur côté personnel n’est vraiment révélé qu’une fois le mini jeu accompli dans un petit texte que l’on peut personnaliser pour le faire sien également. C’est très astucieux, ça marche très bien et je n’ai absolument pas honte de dire que j’ai chouiné plusieurs fois. Pourtant, en réfléchissant à comment parler de Some Goodbyes We Made, j’étais gênée. Non pas d’en chanter les louanges, mais plutôt de sous quel angle l’aborder, tant je n’arrêtais pas de me dire que ce n’était pas vraiment un jeu vidéo. Alors que pourtant, en y réfléchissant bien, c’est plus un jeu vidéo que plein d’autres jeux vidéo, puisqu’il utilise à fond les possibilités offertes par le média pour raconter une scène, une histoire, d’une façon unique, qui ne peut pas être répliquée dans un autre média.
Alors pourquoi j’étais gênée comme ça ? J’ai réfléchi aux autres fois où je me suis dit ça : face à quelques VN dépourvus ou presque de gameplay et lorsque je jouais à What Remains of Edith Finch, qu’on ne peut pourtant pas accuser de manquer de gameplay. Du coup, visiblement, ce n’était pas le côté « il n’y a rien à faire » qui me titillait, ce n’était pas non plus le basique « han on tue pas des hordes de machins, ce n’est pas vraiment un jeu vidéo » vu que j’ai horreur des jeux dans lesquels il faut se battre. Mon problème était ailleurs, dans ma tête principalement, c'est évident, mais j’avais envie de mettre le doigt dessus. Imaginez ici un montage training de moi, pensive, à différents endroits, avec les sourcils froncés et une tasse de thé à la main, car c’est indispensable pour ce genre de réflexion à mon sens. Maintenant que nous avons tous imaginé ça sur fond de musique émouvante, mais épique, je peux vous le dire, mon problème ici, c’est le mot jeu. Pas l’appartenance de ces titres au média, au même titre que les Dark Souls, les plateformers pour masochistes et les jeux de trains, non, juste le mot « jeu ». Un terme qui dans mon esprit un peu étriqué induit inconsciemment des attentes que ces titres ne pourront jamais satisfaire. C’est ça ! Je trouve les jeux vidéos Some Goodbyes We Made et What Remains of Edith Finch trop à l’étroit dans le mot jeu, pas dans le média qu’il désigne, au contraire, mais dans les attentes que crée inconsciemment ce mot.
Le je(u) dans jeu vidéo
Paniquez pas, cet article ne se termine pas par une pétition pour changer le nom jeu vidéo en une étiquette idiote style expérience vidéoludique, on n’est pas dans une start-up, mais si vous avez une minute, permettez-moi d’approfondir un peu histoire de faire le point. Même si dans un dictionnaire, le mot jeu peut être entendu comme une activité non imposée effectuée à des fins de divertissement/plaisir dans un but non utilitaire, en général, jeu est plutôt entendu comme une activité solitaire ou collective répondant à des règles imposées ou inventées au fur et à mesure (vous avez déjà vu des enfants jouer, vous savez) avec en général des gagnants et des perdants. Je veux dire que la lecture peut être considérée comme un jeu si on en croit la première définition, mais à part peut être pour les livres dont vous êtes le héros, peu d’entre nous considèrent lire comme un jeu. Comme un loisir, oui, mais pas comme un jeu.
Par exemple, si on vous dit : viens, on va jouer à un jeu et vous vous retrouvez à faire un puzzle de 2000 pièces, est-ce que vous n’auriez pas un peu l’impression d’avoir été floués ? Indépendamment de si vous aimez faire des puzzles cela s’entend. Pourtant, globalement, ça peut être appelé un jeu et personnellement, je trouve que c’est une activité sympa, mais ce n’est probablement pas ce que vous aviez en tête sur le moment. Peut-être alors que vous seriez agréablement surpris, parce que vous n’aviez pas pensé au puzzle comme activité possible dans ce cadre, ou déçu, parce que vous aimez bien les puzzles, mais vous vous attendiez plutôt à jouer au Pictionary. Ou pour prendre une autre analogie, imaginez qu’on vous dise « je te fais un gâteau au chocolat » et qu’en fait ce soit un crumble à la pomme avec quelques pépites de chocolat, c’est certainement très bon, techniquement, il y a du chocolat, mais comment dire, si vous aviez imaginé un fondant, ça peut être un peu décevant ou alors une excellente surprise.
Le terme jeu me fait le même effet, il me conditionne à attendre une certaine forme d’expérience et lorsque des titres proposent autre chose, je suis déstabilisée, parfois même agacée et je dois souvent faire un effort conscient pour persévérer. J’ai adoré What Remains of Edith Finch, mais j’ai eu beaucoup de mal à rentrer dedans et j’ai trouvé Some Goodbyes We Made absolument adorable et je suis vraiment contente que ça existe, j’ai même envie que vous y jouiez, mais sur le moment, je lui en voulais un peu de ne pas présenter ne serait-ce qu’un tout petit peu de défi dans le gameplay, alors même que l’enjeu n’est pas là. L’un et l’autre utilisent leur gameplay pour enrichir le récit, le faire littéralement ressentir physiquement et nous embarquer dans l'histoire et/ou vers nos propres émotions et expériences. Ils ont en fait réussi à dépasser le cadre conventionnel de ce qu’implique la notion de jeu pour éviter de proposer des puzzles au gameplay peu inspirés ou carrément handicapants. Ils ont dépassé le besoin de compétition ou de gagnants pour proposer des expériences uniques et propres au média.
Pour nombre d’entre nous, ceci dit, consciemment au moins, jeu vidéo, c'est presque un mot-valise et un concept général au même titre que livre ou film. J’en veux pour preuve les jeux expérimentaux dont Zali nous parle souvent sur TPP, mais la réception de certains genres, de certains jeux, les guerres de chapelles idiotes sur ce qui donne le droit de se considérer comme un vrai gameur (?), les considérations sur la longueur des jeux et leur qualité dont parlait Shift ici par exemple me fait dire qu’inconsciemment, il n’y a peut-être pas que chez moi que le mot jeu porte encore trop d’attentes inconscientes qu’il serait grand temps de questionner. C’est aussi, sans doute, pour ça que je trouve aussi difficile de parler et surtout de recommander ce genre de jeux, alors que je voudrais que vous y jouiez. Parce que j’ai peur qu’en en parlant selon les termes conventionnels du jeu vidéo, vous soyez déçus, parce que ce n’est pas ce que vous attendez d’un jeu vidéo, mais que si j’en sors ça paraisse pompeux et vous coupe l’envie d’essayer ou vous fasse dire que c’est pour un public de niche, alors que c’est l’inverse au fond.
Some Goodbyes We Made a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Pour en revenir à Some Goodbyes We Made, jouez-y en sachant qu’il s’adresse à mon sens à celles et à ceux qui n’ont pas une notion trop restrictive du genre. Celles et ceux qui ont envie de vivre plus intensément et plus personnellement des souvenirs à la fois personnels et universels et de s’émerveiller devant ce qu’il est possible de faire et d’évoquer dans un tout petit jeu vidéo. Celles et ceux enfin qui ont envie d’un petit moment de douceur pour accéder à leurs émotions dans un espace adapté et sans jugement.
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