Ça y est, la décision est prise. Vous avez rangé votre HOTAS et votre volant, parce que les avions, les voitures, tout ça est bien vain par rapport au meilleur mode de transport au monde : le train. Avant d'investir directement dans un Raildriver, vous vous dites qu'il serait bon de voir au moins où vous allez l'emmener. Mais voilà qu'au moment de choisir la bécane qui va vous entraîner sur les rails virtuels, un doute vous étreint. C'est qu'ils sont si nombreux, si élégants dans leur costume d'acier ! Pas d'inquiétude : on va prendre notre temps, et faire le tour de tout ce qui est disponible actuellement.
Car si nous sommes nombreux·ses à aduler ces gros bébés à roulettes, nous ne le faisons pas pour les mêmes raisons, d'où une grande variété de simulateurs ferroviaires. Il y en a pour les amoureux de la technique, d'autres qui visent la précision. Certains vont filer sur les lignes à grande vitesse, d'autres paressent dans de mignonnes vallées. Il y a les fétichistes qui veulent absolument retrouver la ligne entre Aschaffenburg et Gemünden qu'ils ont parcourue en vrai, tandis que d'autres préfèrent les réseaux imaginaires, ou apprécient simplement les balades bercées par le doux crissement des roues. Bref, le tchou-tchou de vos rêves existe probablement quelque part. Suivez le guide.
Dans la toile du réseau Dovetail
Si vous n’avez entendu parler que d’un seul train sim, il y a des chances que ça soit le bien nommé Train Simulator, sorti chez Dovetail en 2009 sous le nom originel de Railworks (à présent vendu sous le nom de Train Simulator Classic, ça va, vous suivez ?). Pendant des années, le simulateur a saturé la niche des train simmers en crachant un flot continu de DLC (694 à la rédaction de ces lignes, mais le flux ne s'est pas tari). En 2018, Dovetail change enfin de moteur graphique et sort Train Sim World : plus joli, plus détaillé, plus accessible, et doté d'un moteur Unreal4 qui permet enfin de se lever de son siège et de faire un petit tour dans la gare. Le genre de petit plus qui a l'air anecdotique, mais qui favorise énormément l'immersion : rien de tel que de se promener sur le pont de sa SD40-2 en régime de croisière. Aujourd'hui, TSW est toujours le simulateur par défaut pour ceux qui veulent se faire un rail de temps en temps, proposant un large éventail de lignes et de styles de jeu.
Mais une position dominante attire la foudre. Surtout lorsqu'on sort autant d'extensions payantes tandis que des bugs persistent pendant des années. À 30 € la ligne, et 10 à 20 € pour chaque nouvelle loco, la pratique agace. Pour rendre les choses plus complexes, TSW en est maintenant à sa troisième itération (sortie en septembre 2022) et les lignes ne sont pas toutes compatibles entre les éditions... Sans parler de l'éditeur de TSW, promis depuis le début et silencieusement abandonné tandis que la communauté commençait à sortir ses propres outils.
Dovetail est ainsi devenu un punching-ball habituel, le symbole de la pompe à fric privilégiant la quantité à la qualité. Faut-il pour autant jeter le bébé avec l'huile de vidange ? Si TS est définitivement obsolète, TSW propose une immersion agréable dans la cabine du conducteur, suffisamment bien ficelée pour (presque) faire oublier les quelques problèmes qui surgissent de temps en temps. Plusieurs modes de jeu permettent au néophyte de se lancer, tandis que le puriste pourra activer des systèmes plus complexes — même s'il râlera un poil en voyant que tout n'est pas fonctionnel. En réalité, le problème réside surtout dans le fait que la qualité des lignes a toujours été très variable, et ce depuis TS. Certaines lignes sont très correctes, d'autres farcies de bugs ou d'omissions plus ou moins graves. Or, depuis quelques temps, la concurrence rôde...
Il y a un plaisir certain à écumer les itinéraires ferrés que l'on a parcourus en vrai comme voyageur. La majorité des simulateurs, dont TSW, cherche logiquement à reproduire fidèlement des routes au format 1:1, c'est-à-dire de façon à respecter les temps de trajet : un express Londres-Brighton met 58 minutes dans TSW, comme dans la vraie vie. Chez Dovetail, les itinéraires les plus courants sont britanniques, allemands, suisses ou américains. D'autres développeurs (que l'on verra plus bas) imitent ce qu'il y a chez eux, produisant ainsi des lignes polonaises, japonaises ou même ukrainiennes. Les spécificités de fonctionnement (signalisation, alimentation électrique, etc.) incitent naturellement à se concentrer sur le pays qu'ils connaissent.
Et la France, alors ? Absolument rien de rien, à part un Marseille-Avignon d'une qualité très médiocre, disponible sur TS et sur TSW (ah si, et un modèle réduit du nord de la France dans Train Life). Depuis, les machinistes français rongent leur frein (hydraulique).
... et l'on ne parle pas du concurrent historique, Trainz. Celui-ci est toujours en activité, mais il s'agit plus d'un jouet que d'une simulation, un genre de modélisme ferroviaire numérique dont la simulation physique est à peu près inexistante. Du coup, il comprend un éditeur de lignes relativement puissant. Mais on y retrouve la même politique de DLC que Dovetail, où toutes les époques de production sont mélangées — au moins, c'est rétro-compatible, mais bon courage pour s'y retrouver. Pour couronner le tout, le jeu est maintenant disponible en game-as-a-service, par abonnement. Mouais, mieux vaut aller voir ce que fait la nouvelle génération.
Les petits nouveaux
Cela n’a échappé à personne, la démocratisation des outils de développement a fait exploser le nombre de jeux produits depuis quelques années. Cela vaut également pour les simulateurs ferroviaires, autrefois des projets complexes impossibles à développer dans son coin. De nombreux joueurs occasionnels sont justement ravis d’échapper à l’emprise de Dovetail sans devoir se rabattre sur les titres trop techniques (que l'on abordera plus bas, ne vous inquiétez pas).
Encore faut-il réussir à finaliser : nombreux sont les titres prometteurs qui s'enlisent dans un early access à rallonge. L'exception à la règle est Train Life (2022), qui se présente comme un Euro Truck Simulator sur rail. Et la comparaison est effectivement très parlante. Dans cette version miniature de l'Europe centrale (comme ETS2 à ses débuts), vouée à s'étendre au fil des DLC (comme ETS2), on remplit des contrats, qui rapportent de quoi rallonger le réseau et acheter de meilleurs bécanes, pour aller chercher d'autres contrats (comme dans le jeu des camions). En pratique, il faut reconnaître que la gamification marche plutôt bien ; la conduite reste très arcade (comme dans l'autre jeu, là), mais on parcourt sans déplaisir la vallée de la Ruhr. La taille réduite permet à la carte d'être un vrai réseau, et non une collection de lignes disjointes qu'il faut charger indépendamment comme sur la plupart des autres titres.
Pour le reste, il va donc falloir aller fouiller parmi les titres en développement — globalement très jouables même si officiellement en travaux. La hype du moment va au tout frais SimRail, en early depuis janvier 2023. S'il propose une conduite relativement exigeante et des véhicules détaillés, SimRail fait surtout parler de lui pour son mode multijoueur, où l'on incarne soit un conducteur, soit un aiguilleur, c'est-à-dire celui qui attribue les voies à tous les trains qui passent par sa station. Pour l'instant, il n'y a que deux lignes 1:1 situées en Pologne dont les trains (virtuels) actuellement en voyage sont référencés sur une carte (réelle). Tous les indicateurs ne sont pas traduits, mais cela fait partie du charme et le jeu est tout de même très jouable sans connaître la langue de Sienkiewicz. Les serveurs sont d'ailleurs triés par langue, et ça papote gentiment sur les canaux pendant les trajets entre Zawiercie et Katowice lorsque l'aiguilleur de Dąbrowa Górnicza a foiré ses signaux.
Question immersion, difficile toutefois de battre Derail Valley (en early depuis 2019), mon chouchou personnel. À l'origine prévu pour la VR, il est parfaitement jouable au clavier-souris, mais on sent l'idée initiale avec l'absence quasi-totale d'interface. Pour naviguer dans une gare, il faut feuilleter (à la molette) un épais manuel jusqu'à trouver la bonne voie. Le réseau est une petite carte imaginaire, et il n'y a (pour l'instant) que trois locos dont les contrôles ne sont pas bien complexes. Mais les sensations sont là, et l'ensemble est soutenu par un véritable jeu similaire à celui de Train Life : des contrats à remplir, des licences à gogo, de nouvelles missions, ad lib. Résultat : ça fonctionne à merveille. On assemble des convois, on tente de gratter un bonus en rognant sur les limites de vitesse... jusqu'au déraillement de trop — d'où le titre — dont les frais vont vider le compte en banque. Bref, Derail Valley n'a pas franchement l'obsession de la sécurité habituelle au genre. Du coup, il se permet l'audace d'être fun.
Enfin, terminons cette section par le petit Diesel Railcar Simulator, qui poursuit son développement à bas régime depuis 2018. Le monde merveilleux, quoiqu'un peu spécifique, des locomotives diesel britanniques des années 1960 n'attire peut-être pas d'emblée. Mais DRS cache quelques atouts non négligeables, dont un robuste éditeur, et c'est probablement le simulateur le plus accessible : on peut littéralement piloter avec les boutons haut et bas. La fonctionnalité est évidemment débrayable et n'influe pas sur la qualité du modèle physique, qui reste très crédible.
Un express en Orient
Avec son réseau ferré extrêmement maillé, le Japon a développé une tradition ferroviaire bien ancrée, d'où une panoplie de jeux nippons de toutes sortes. Côté gestion, on connaît notamment la série des A-Train, toujours fraîche avec son 18e opus fêté en 2021. Côté conduite, la série phare est celle des Densha de Go !! (2020 pour le dernier opus sur Switch). Dites adieu à vos rêves de conduire le Shinkansen (qui n'existe que chez Dovetail) : ici, l’accent est souvent mis sur de petites lignes locales, et la conduite s’oriente clairement vers l’arcade — au sens littéral, puisque les titres se retrouvent régulièrement sur des bornes de jeu. Répétitif au point d’être hypnotisant, le gameplay consiste principalement à réussir son freinage dans chaque station de manière à s’arrêter pile poil sur la ligne, avec une notation au score.
Passons rapidement sur Bozo View Express a.k.a. BVE Trainsim (2020 pour la v6), un simulateur historique (la première version date de 1996). L'accent est ici plus sérieux, incitant le joueur à apprendre par cœur la route de manière à anticiper les changements de rythme. Le logiciel est gratuit, mais l'ensemble reste très daté et réservé à ceux qui ne jurent que par la ligne Keisei Chiba.
On préfèrera les curiosités locales : c'est au Japon que l’on trouve les seuls simulateurs à utiliser des vues réelles plutôt qu’un modèle 3D imparfait. Le principe est simple : le jeu restitue la capture vidéo d’un véritable parcours ; la vitesse de défilement de la vidéo dépend simplement de la vitesse du train imposée par le joueur. En pratique, ça marche… plus ou moins. On se rend vite compte que le but est de respecter exactement la conduite d’origine, sous peine de faire chuter le framerate. La technologie a tout de même ses fans et continue de sortir des titres, comme le joli Journey to Kyoto (2022). On peut toujours rêver du jour où l’on profitera d’une capture à plus haute résolution et — soyons fous — en sphérique, de manière à pouvoir enfin tourner la tête.
Chez le voisin coréen, on commence à s'activer également, avec un HmmSim parcourant la ligne 1 du métro de Séoul. Encore en développement, il fait un peu le pont entre les jeux nippons typés arcade et les simulateurs occidentaux plus portés sur la technique.
Le nez dans la boîte à fumée
Attention, ici on attaque la partie hardcore. Si vous découvrez le monde du simulateur ferroviaire via cet article, il y a peu de chances que vous soyez le public cible (et c'est plutôt un indice de bonne santé mentale). Ici on cause Punktförmige Zugbeeinflussung, on règle ses freins hydrauliques au centimètre cube près, et on ne se plaint pas des décors taillés en cubes. Ni du prix fort des logiciels, rarement soldés.
À ma gauche, venant des States, Run8 (v3 sortie en 2022). Il est gros, il est lourd, il n’a peur de rien, c’est un américain. C’est le royaume du fret et du shunting, qui désigne le fait d’assembler un convoi avant transport. Pour toucher du doigt l’inertie d’un train de 2 km de long chargé de charbon jusqu’à la gueule sur une pente à 1,8 % dans le désert de Mojave, c’est par ici. Run8 a le bon goût de proposer également un mode multijoueur, un bon moyen de donner du sens au trafic. En pratique, Run8 s’avère assez permissif : le joueur n'incarne pas vraiment un conducteur, il peut se téléporter et conduire des machines à distance. En fait, Run8 a quelque chose du modélisme ferroviaire : entre le choix du trajet, la manœuvre, les aiguillages, la communication avec les stations, la conduite — extrêmement technique et détaillée — n’est finalement qu’un pan du jeu.
À ma droite, le champion allemand : Zusi 3 (2020), pour Zug Simulator. Son argument de vente : c’est la version casuelle d'un logiciel utilisé pour former de véritables conducteurs. Du coup, oui, c’est une véritable simulation, qui nécessite de bien maîtriser la signalétique allemande… et de savoir lire des manuels partiellement traduits depuis la douce langue de Goethe. L’accent est porté ici sur la sécurité et le respect des règles. Oui, dit comme ça, ça ressemble à un gros préjugé sur les Allemands mais que voulez-vous, on ne se refait pas. D'un autre côté, il n'existe rien de similaire pour toucher du doigt la complexité de manœuvrer un ICE, l'équivalent teuton du TGV.
Également développé dans un but didactique, l'ukrainien ZDSimulator va encore plus loin. Spécialisé dans les machines électriques et diesel de l'ex-URSS, cette œuvre d'amour technique est capable de simuler des pannes aléatoires, que l'on doit réparer en ouvrant de (nombreux) panneaux électriques sous la forme de photographies interactives. Là encore, il faut souvent jongler avec des onglets non traduits. Malgré le conflit, le développement de ZDSimulator est toujours actif, mais il est quasiment à réserver aux électriciens professionnels biclassés licence d'ukrainien. Si les bécanes de l'Est vous attirent, jetez plutôt un œil à MaSzyna un peu plus bas.
Libres, mais sur des rails
Dernière étape de notre trajet : pour ceux qui n'ont toujours pas trouvé leur bonheur ou qui ne veulent pas dépenser un rond, il y a toujours le monde de l'open source. Le développement y est généralement lent, mais certaines initiatives valent qu'on s'y attarde.
Le lecteur attentif aura par exemple remarqué que l'on n'a toujours pas mentionné l'antique Microsoft Train Simulator. Réparons cette omission en parlant d'OpenRails, le projet open source dont le but est à l'origine de pouvoir réutiliser tout le matériel de MSTS, et qui bénéficie depuis de créations originales. Il bénéficie toujours d'un groupe solide de fans et d'un suivi constant (la dernière version date de novembre 2022). Cela dit, OpenRails s'adresse plutôt aux vieux routards qui ne voient pas pourquoi on changerait leurs habitudes ; difficile de le recommander à un néophyte. Idem pour OpenBVE, le pendant open source du BVE cité plus haut.
Nettement plus intéressant, le projet MaSzyna roule ses motrices de l'Est depuis plusieurs années. Ne soyez pas effrayés par l'installateur en polonais, tout comme la plupart du forum : il y a un véritable effort pour traduire le jeu en anglais — même s'il reste du boulot au niveau des directives. Les graphismes extérieurs ne sont certes pas fabuleux, mais les machines sont plutôt immersives et détaillées. Par contre, il faudra s'accrocher : démarrer sa loco nécessite de plonger dans des manuels plus ou moins complexes (même si une checklist latérale offre une aide appréciable). Juste le temps d'apprécier l'impressionnant travail réalisé par les passionnés, avant de savourer le délicieux sentiment de victoire que procure la mise en mouvement de sa bécane rouillée.
Terminus ! Vous êtes bien arrivé·e au terme de cet article. Veillez à ne rien oublier en descendant du train. The Pixel Post vous remercie de votre confiance et vous souhaite une bonne correspondance sur les rails virtuels de votre choix.
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