Sorti en accès anticipé en 2019, Workers and Resources: Soviet Republic était sur mon radar depuis longtemps. Il faut dire que la promesse d'un city builder exigeant, profond, et à la thématique soviétique peu explorée dans le genre était alléchante. Alors, est-ce que le pari est réussi ou la Glorieuse République soviétique s'effondre-t-elle sous son propre poids ?
Développé par le studio slovaque 3Division (et ça se voit, 100% des photos qui illustrent les chargements sont des photos de la Slovaquie soviétique et post-soviétique et les bâtiments sont tous inspirés de bâtiments de leur ville), l'ambition du jeu était dès le début de proposer un city builder original, centré sur la logistique et l'industrie, et qui en plus propose d'incarner une République soviétique à l'aube des années 1960. Il faut dire que le genre est tout de même dominé par le city builder capitaliste classique, à la Cities Skylines, centré autour de la voiture, du profit et des zones commerciales gigantesques. Plus récemment, nous avons une vague de jeux de gestion de villes plus écologiques, par exemple Terra Nil, sensible aux questions de changement climatique, de pollution et tout ce qui fera le XXIᵉ siècle (bien plus que l'IA générative ou les NFT). À l'inverse, la thématique soviétique (voire tout simplement : autre chose que la ville capitaliste moderne) est tout simplement absente du genre, à l'exception notable de la série Tropico (qui est tout de même une grosse farce anti-soviétique, et surtout anti-dictature, ce qui est tout à fait louable). Arrive donc Workers & Resources: Soviet Republic avec sa feuille de route de mélanger city builder, jeu à la Factorio, et d'essayer de simuler l'économie planifiée d'une République soviétique. L'ambition est folle, l'échec n'était pas impossible, en particulier après avoir dû être retiré de Steam quelques mois pour des raisons de droits, mais ça n'a pas fait peur à Hooded Horses (qui décidément s'installe comme l'éditeur des jeux de gestion ambitieux, avec la sortie plus tôt dans l'année de l'excellent Manor Lords), qui a pris le jeu sous son aile, et qui est donc enfin sorti d'early le 20 juin de cette année.
Transports en commun(istes)
Par où commencer, tant Workers & Resources est un jeu dense ? C'est autant ce que l'on ressent en lançant le jeu la première fois que ce que je ressens en commençant à rédiger cette critique. Nous sommes face à un jeu complexe, qui vise une simulation précise d'une économie planifiée, dans ses moindres détails. Fort heureusement, la campagne, au moins la première, vous servira de tuto tout à fait honorable pour pouvoir vous lancer dans le mode bac à sable. Je n'aime pas faire les campagnes normalement, je suis comme ça, moi, je joue en sandbox dans mes jeux de gestion, je n'apprécie pas être restreint par des objectifs. Mais, là, c'est nécessaire.
Lancer directement une partie libre, c'est vous jeter dans une piscine olympique remplie de requins affamés, sans cage ni harpon. La première campagne vous présente les bases du jeu : gestion du bonheur de vos citoyens, première chaîne logistique simple, première industrie lourde. Elle est très bien expliquée, même si parfois ça se sent que les développeurs ne sont pas des anglophones natifs et certaines formulations sont quelque peu confuses (et c'est pire en français hélas, la traduction semblant parfois amateur). Une fois cette campagne terminée, libre à vous de continuer sur cette carte, ou de lancer la seconde campagne qui vous présente les systèmes les plus avancés comme l'électricité, l'eau, les eaux usées, les déchets et le mode réaliste.
Faire un tutoriel pour un jeu pareil est une tâche ingrate, ça ne sera jamais parfait, et certaines mécaniques seront toujours oubliées. Workers & Resources est un jeu à wiki, c'est-à-dire que vous aurez toujours le wiki ouvert dans une autre fenêtre, ainsi que les forums Steam, et le Reddit du jeu. Vous en aurez besoin, car comme pour Linux, votre problème n'est pas unique, et a déjà été expliqué par une personne il y a cinq ans. Néanmoins, le jeu offre toute une batterie d'options de difficulté. Déjà, vous pouvez désactiver toutes les mécaniques avancées : vous voulez jouer sans gestion de l'eau, de l'électricité, du chauffage et des déchets ? Vous pouvez. Bien sûr, vous pouvez aussi jouer avec de l'argent infini, ou encore sans météo. On aime ici les options de difficulté granulaire qui permettent de configurer sa partie comme on l'entend. Évoquons rapidement le mode réaliste qui nécessite que tous vos bâtiments, routes, et infrastructures soient construits avec des matériaux, main d'œuvre et machines, le tout avec des animations très satisfaisantes de bulldozers et autres grues, et bien sûr en temps réel.
Enfin bref : qu'est-ce que l'on fait dans ce jeu ? Eh bien, vous construisez votre République soviétique pardi ! Contrairement à Cities Skylines, le jeu n'est pas de type Sim City où vous dessinez des zones, qui sont ensuite construites toutes seules par le jeu qui sélectionne parmi sa liste de bâtiments. Ici, vous placez tout à la main. Ça paraît quelque peu fastidieux dit de cette façon, mais dites-vous que vous n'aurez pas à placer un demi-million de maisons individuelles. Nous sommes dans un état soviétique, le plus petit logement que vous avez est un immeuble de trois étages. C'est un jeu de bloc soviétique en préfabriqué, ces immenses barres d'immeubles que vous associez tous à l'ex-URSS.
Mais c'est aussi un jeu de planification. Vous pouvez poser vos bâtiments d'avance, sans lancer la construction, et le jeu vous montre toutes les informations nécessaires pour que votre futur quartier soit viable : distance des services, raccordement à l'électricité, à l'eau, aux égouts, au chauffage. Une fois tout planifié, vous pouvez lancer la construction de votre nouveau quartier. Enfin, plus précisément de votre nouvelle ville, bien que ce soit un city builder, vous dirigez ici une République, il ne faut pas vous attendre à faire une seule grosse ville gigantesque, mais plein de petites villes qui accompagnent une nouvelle zone industrielle. La seule chose que vous ne pouvez hélas pas planifier avant construction, ce sont les lignes de transports en commun, ce qui est vital, car vos citoyens ne possèdent pas de voitures, vous devrez donc construire d'abord le réseau routier, les arrêts de bus, tram et autre train, et ensuite faire vos lignes, quitte à ne pas lancer les véhicule sur-le-champ.
Parlons un peu de la planification urbaine vue par Soviet Republic. On reproche souvent aux city builders, comme Cities Skyline II récemment, d'être un simulateur de ville centré sur la voiture, tout est organisé autour de l'automobile, un des gros défis du jeu est de gérer le trafic, et faire une ville majoritairement piétonne est quasi impossible. La voiture est reine dans le city builder moderne grand public, et très franchement, c'est un problème. On ne va pas épiloguer, mais il est temps que le genre sorte de l'obsession tout occidentale de l'automobile. Mais du coup dans ce jeu, pas de véhicules individuels. Enfin, vos citoyens peuvent en avoir, cependant ce n'est franchement pas la priorité, et de toute façon, au début, ce n'est même pas la peine, vous devrez tout importer et ça vous coûtera une fortune. La planification urbaine dans ce jeu est une planification piétonne. Seuls quelques bâtiments nécessitent une connexion à une voie carrossable (police, hôpitaux, pompiers, ce genre de choses), et tout se relie par des chemins. Vos véhicules de service emprunteront ces voies piétonnes, mais seulement eux.
Franchement, parmi toutes les innovations de ce jeu, cet aspect piéton est probablement ma mécanique préférée. C'est littéralement le concept de 15 minutes cities adapté en jeu vidéo. Mon seul reproche est que la portée maximale des citoyens est d'à peine 500 m, ce qui me paraît peu, l'on doit donc spammer les services tous les demi-kilomètres pour que tout le monde ait accès aux biens de première nécessité. Mais c'est franchement un détail. Finalement, qui dit pas de voiture dit transports en commun, et s'il y a bien un truc qui m'obsède dans la vie, ce sont les transports en commun. J'aime gérer mes lignes de transport, je suis un grand enfant là-dessus, rien ne me fait plus plaisir que voir le ballet des trains en gare, tandis que les citoyens attendent sagement leur tram devant le quai.
La glorieuse industrie
Je disais en intro que Workers & Resources: Soviet Republic est un mélange entre city builder et jeu à la Factorio. L'industrie est souvent le parent pauvre des city builders qui se passent à l'époque moderne. Généralement, ça se limite à quelque chose d'assez abstrait, de simples zones différentes de vos zones commerciales et résidentielles, qui font apparaître un type de bâtiment différent, qui génère juste plus de pollution. Cities Skyline premier du nom a bien eu un DLC à thématique industrielle qui avait une vague notion de chaîne logistique, mais c'était très simple, voire un peu simpliste. Soviet Republic de son côté va à fond sur l'industrie. Il faut dire que, en effet, l'effort industriel et productiviste était tout de même un aspect important de l'économie planifiée soviétique. Comme le reste des bâtiments, les industries du jeu se placent à la main. Là où ça diffère des autres city builders, c'est par la présence de chaînes logistiques complexes, on se rapproche plus d'Anno, voire, donc, de Factorio. Vous avez donc le choix : soit vous transportez toutes les ressources nécessaires à votre nouvelle usine par camions, trains, et autres moyens de transport, soit vous faites la chaîne complète sur site grâce à, roulement de tambour, des tapis roulants (enfin des "connexions d'industrie", une sorte de route abstraite où il n'y a pas de trafic visible, mais ce sont, dans les faits, des tapis roulants).
Ces industries vont du très simple (nourriture ou alcool qui se contentent d'une ressource) au très complexe (par exemple, le carburant nucléaire ou les véhicules qui nécessitent toute une batterie de matières premières de plus en plus transformées). Ainsi, vos chaînes logistiques peuvent vite devenir un spaghetti de connexions industrielles entre bâtiments, de chemins piétons pour les travailleurs (car oui, il faut aussi penser à ce que vos citoyens puissent accéder aux usines), de voies ferrées pour le transport, et de divers éléments (électricité, eau, égouts, déchets). Faire une zone industrielle efficace et compacte est un vrai défi. Bien sûr, vous n'êtes pas obligé de faire toute la chaîne logistique, vous pouvez simplement faire l'usine finale et importer toutes les matières premières et les composants transformés nécessaires à la production. Ça vous coûtera juste beaucoup d'argent, je doute que vous rentreriez dans vos frais à l'exportation.
À propos d'argent, parlons un peu économie. Comme Soviet Republic est un jeu visant à reproduire plus ou moins fidèlement le fonctionnement d'une économie soviétique, il n'y a pas de système de taxes. Vos citoyens ne payent rien, il n'y a ni impôts, ni billets de transports, ni frais de services publics. À l'inverse, vos services publics non plus ne disposent pas de frais de fonctionnement. Là où la gestion économique rentre, c'est donc sur les échanges de ressources. Au début, vous devrez tout importer, il sera nécessaire, par exemple, que vos magasins soient approvisionnés sous peine de voir vos citoyens mourir de faim, et ça vous coûtera de l'argent. Il faudra donc mettre en place d'abord une industrie qui vous permettra d'exporter des produits finis assez rapidement.
Le jeu d'équilibriste est donc le suivant : exporter assez de ressources pour compenser vos importations, et il doit vous en rester assez pour approvisionner votre ville en éléments dont vous avez besoin. Par exemple, si vous produisez de la nourriture, il peut être intéressant de commencer par exporter avant d'approvisionner vos magasins. Bien évidemment, les prix ne sont pas fixes, mais oscillent. Un mois, vous pourrez faire des centaines de milliers de roubles en exportant une certaine ressource, pour que le mois suivant le prix s'effondre. D'où l'importance de la diversification. Vous voyez donc ici la boucle de gameplay : faire plus d'usines, donc plus de chaînes logistiques, donc plus de logements, qui nécessitent plus de ressources, et donc plus d'usines, etc., etc.
Mais tout n'est pas rose (rouge ?) dans Workers & Resources: Soviet Republic. Le jeu est très bon, il n'y a pas à dire. C'est facilement un des meilleurs city builders du marché, en tout cas le plus complexe. Néanmoins, j'ai quelques reproches assez gênants à lui adresser. Déjà, techniquement, le jeu est très instable. J'ai eu beaucoup de retours bureau intempestifs (sans cause apparente, parfois, c'est en cliquant sur un train, d'autres en plaçant un bâtiment), ce n'est pas dramatique, car le jeu sauvegarde automatiquement toutes les cinq minutes. Cependant, c'est tout de même un peu ennuyeux qu'un jeu soit aussi instable après cinq ans d'early access. L'autre point noir du jeu est une certaine abstraction et un gros manque de feedback. Il n'y a pas d'informations sur certains éléments de gameplay assez capitaux et il faut parfois jouer aux devinettes sur ce qui ne va pas. Par exemple, à aucun moment le jeu ne vous dit que ce n'est pas la peine de faire des lignes de transport retour de vos usines à votre ville parce que les citoyens se téléportent chez eux. Il y a probablement une raison technique, mais c'est un choix extrêmement étrange.
Mais LE point qui m'a le plus frustré, ce sont les signaux de voies ferrées. J'ai mis des heures à essayer de trouver un moyen pour que mes trains arrêtent de se bloquer tous les dix mètres avant de comprendre la logique de placement des signaux. Le seul tutoriel du jeu est l'infobulle des signaux qui vous dit basiquement "houla c'est compliqué, cherchez un wiki sur internet, je ne peux rien pour vous". Merci jeu, je sais que tu es un jeu à wiki, néanmoins ce n'est pas une raison pour nous dire d'aller voir ailleurs quand on a besoin d'aide sur une de tes mécaniques. Lorsque l'on vient de jeux comme Transport Fever 2 ou Railway Empire 2, où la signalétique est simplifiée, voire automatique, ce système est assez frustrant, surtout considérant l'importance des réseaux ferroviaires dans le jeu.
Je me plains sur ce dernier paragraphe, mais ne vous y trompez pas : pour l'instant Workers & Resources: Soviet Republic est mon GOTY. Le jeu est un city builder exigeant, complexe, mais incroyablement satisfaisant lorsque les mécaniques commencent à s'intégrer dans votre tête de chien de capitaliste. Il vous faudra bien une dizaine d'heures et des recherches dans le wiki et les forums avant de ne serait-ce que commencer à comprendre les mécaniques. En revanche, une fois que vous comprenez le fonctionnement du jeu, vous êtes parti pour probablement des centaines d'heures de construction et d'optimisation de vos chaînes logistiques, avant de vous mettre bien au fond de votre fauteuil et de regarder votre petite république tourner toute seule. Les city builders ne sont jamais que du modélisme moderne et Soviet Republic représente un pinacle de son genre. J'espère sincèrement que le studio en a encore sous le coude.
Les + | Les - |
- Réaliste | - Un peu opaque sur certains points |
- Un sujet original | - Une certaine instabilité |
- La logistique et la gestion industrielle | - Le casse-tête des intersections ferroviaires |
- La gestion des transports | |
- Faire des villes quasi piétonnes |
Tritri
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