Stranger Things, Far Cry 3: Blood Dragon, Kung Fury. Qu’est-ce que ces 3 objets culturels possèdent en commun ? La synthwave. Et ce courant majeur du cyberpunk est aussi au cœur de VirtuaVerse. Un jeu qui est même conçu comme une longue déclaration d’amour à ce que la synthwave représente et ce qui la caractérise. Que ce soit à travers le visuel, le sonore ou même le gameplay. Pour un résultat assez sympa.
Commençons par les présentations de rigueur. D’autant qu’elles ont ici un grand intérêt. Il s’agit du premier jeu de Theta Division, équipe de développement composée de 3 personnes. On a Valenberg pour tout ce qui est pixel art et animation, Elder0010 en charge du code, et enfin Master Boot Record qui s’est occupé de la musique et de l’écriture. Un ou plusieurs de ces noms vous diront peut-être quelque chose, mais je retiendrai ici surtout le dernier. Master Boot Record crée depuis pas mal de temps des musiques très stylées et si le retrouver à la musique n’a rien d’une surprise, sa présence à l’écriture est forcément intrigante.
Côté édition, c’est Blood Music qui est aux manettes. Pas la peine de chercher s’ils ont déjà édité d’autres jeux, ça n’est pas le cas et c’est assez normal puisqu’il s’agit d’un label de musique qui bosse notamment avec… Master Boot Record ! C’est en tout cas intéressant de voir le milieu musical s’investir de cette façon dans le jeu vidéo.
Un cyberhommage
Pas simple de présenter l’histoire de VirtuaVerse sans commencer à rentrer dans les détails de l’intrigue. Mais je vais faire au plus simple : Nathan est un jeune homme vivant en marge du système, vivotant en trafiquant des objets électroniques. Sa petite amie Jay disparaît un matin et l’objet qui lui permettrait de la contacter ne fonctionne plus. Il va lui falloir réparer ce dernier et ensuite retrouver la jeune femme. Sauf que tout ne va pas se dérouler comme prévu et très vite, Nathan va se retrouver embrigadé dans une histoire qui le dépasse, mêlant réalité virtuelle, IA surpuissante et groupes de rebelles. Je sais ce que vous allez penser et vous aurez raison : c’est très convenu. Mais je pose déjà deux limites à ça. La première, c’est que derrière cette intrigue principale sont sous-entendues des tas de petites questions. Elles sont parfois évoquées, parfois implicites, mais on sent qu’il y a une possibilité d’analyse qui dépasse un fil conducteur très classique. La seconde, c’est que même si effectivement on y retrouve les poncifs du cyberpunk, ça me semble être une volonté des développeurs que de coller au plus près aux caractéristiques du cyberpunk. Je vous explique.
Quand on voit le jeu, on pense directement cyberpunk. J’en avais parlé ici, mais le cyberpunk c’est quelque chose de vaste et qui a pas mal évolué, y compris dans les jeux vidéo. Et c’est pour ça qu’il va falloir entrer dans les détails. VirtuaVerse est un pur produit du cyberpunk, tel que le courant synthwave le représente. Toutes les caractéristiques, devenues à force des clichés, sont là : l’esthétique urbaine crasseuse mais technologique, des lumières bourrées de néons oscillants entre le bleu et le violet, des IA omniprésentes, des conglomérats surpuissants, un héros solitaire en marge (littéralement le “cyber punk”), et une réalité augmentée envahissante. Clairement, chaque point de la check-list est coché. Ça agacera certains, ça plaira à d’autres. Vous l’avez peut-être d’ailleurs vu dans la récente critique de Cloudpunk.
Ce qu’il faut comprendre donc, c’est que VirtuaVerse ne cherche de toute façon pas à révolutionner le genre, mais plutôt à en extraire le code originel pour lui redonner tout son impact. C’est pour cette raison que tout paraît être du déjà vu ou de la redite : le genre lui-même est un hommage à ce qui a été fait. D’ailleurs puisqu’on parle d’hommage, il y en a de tous les côtés, mais le plus évident est bien sûr celui fait à William Gibson, souvent désigné comme “père du cyberpunk”. Difficile en effet en rencontrant dans VirtuaVerse les “Technomanciens” de ne pas y voir un clin d’œil (voire même un coup de coude) à son livre “Neuromancien”.
Du coup, le choix à la fois du point’n’click et du pixel art paraissent deux évidences parfaitement cohérentes. L’idée est simple : puisqu’on a là un jeu modèle de ce que l’idée de futur évoquait dans les années 80, autant user jusqu’au bout de tout le spectre artistique qui s’y attache. Pour aborder cela, je vais m’attarder d’abord sur le pixel-art et plus globalement les graphismes.
Environnements pas si urbains
Visuellement, c’est un vrai plaisir. J’avais un peu pris l’habitude du pixel art très modernisé, avec des effets de lumières et de profondeurs qui tranchent des graphismes plus pixelisés du reste pour mieux les mettre en valeur. Ce n’est pas la direction artistique choisie ici pour VirtuaVerse. On a quelque chose de plus brut et moins épuré. Le rendu se rapproche pas mal de The Red Strings Club, excellent jeu cyberpunk lui-aussi, dont il partage certaines qualités. Toutefois, chacun a sa propre identité et Valenberg a su faire, je trouve, une meilleure utilisation des couleurs. Encore une fois, c’est logique. Le but de VirtuaVerse est de jouer la carte du cyberpunk typé synthwave à fond et ça suppose un aspect “néon” qui ressort énormément et des références de tous les côtés dans l’esthétique.
Mais ça ne s’arrête pas là. Poussant le délire à fond, l’équipe de développement a intégré à la narration un pan mystico-religieux. Le vieux savoir informatique s’y oppose aux dérives ultra-connectées, et les anciennes pratiques sont défendues par un groupuscule, l’Église du Primo-Code, dont le leader se trouve à Nuwaka.
Ce passage du jeu est intéressant, car il nous offre l’occasion de découvrir de manière un peu inattendue un environnement en rupture totale avec les canons du genre : végétation luxuriante, ville aux accents caribéens qui possède son propre réseau de réalité virtuelle, et même un cybercafé rappelant plutôt les années 90/2000 que 80. Un passage qui est là pour témoigner qu’une coexistence saine avec la technologie est parfaitement possible. Une vision plus positiviste que celle du début du jeu qui exposait les élans dystopiques d’une société ultra-connectée et injectée de réalité virtuelle.
D’autres environnements décalés vont jalonner la quête de notre personnage : un refuge mystique dans les montagnes, un désert technologique rougeâtre, une base militaire secrète sous l’eau, et même un voyage dans l’espace. Tous ces changements donnent une profondeur nouvelle au jeu et change radicalement d’une première partie de l’aventure où tous les codes synthwaves sont représentés fidèlement. Ils ne remettent donc pas en cause l’ADN de VirtuaVerse, au contraire. Ils apportent un peu de nouveauté tout en restant dans le cadre de l’hommage.
L’incroyable bande-son
Forcément, pour accompagner l’aventure dans un tel univers, il fallait une bande-son de qualité. Plus qu’une nécessité, c’était une condition même de la cohérence du jeu. Comment imaginer un jeu hommage à la synthwave sans ce qui a propulsé ce courant dans la pop culture. Je ne m’engagerai pas ici dans des descriptions musicales précises, je ne connais pas tous les courants et encore moins tous les artistes qui les composent.
Mais pour résumer rapidement : la synthwave est née dans les années 2000 en pleine explosion de la scène électronique et notamment scène électronique française. Sans encore se rattacher à un nom précis, les artistes avaient en commun l’utilisation de synthétiseurs et de sonorités proches de celles des années 80. Puis forcément, l’esthétique de cette même époque s’est retrouvée liée aux sons et ça a donné un courant musical spécifique, la synthwave. Le rattachement global aux grands thèmes cyberpunks est arrivé ensuite. Voilà, fin de la petite parenthèse contexte.
Qu’est-ce que vaut la musique dans VirtuaVerse ? Elle tabasse. Mélodies aux synthés, cohérence complète avec ce qui est à l’écran, bonne variation entre les styles tout en restant à fond dans la synthwave. Vraiment un excellent boulot de la part de Master Boot Record, à la hauteur de ses autres créations. Je vous invite d’ailleurs à aller poser une oreille sur sa page Youtube.
Point’n’click très basique
On a fait le tour du pixel art et de la musique, reste le gameplay du jeu. VirtuaVerse est un point’n’click dans la plus pure tradition du genre. C’est-à-dire que vous cliquez sur une personne, un objet ou un lieu d’intérêt et vous avez la possibilité de l’observer ou d’interagir avec. Vous avez aussi un vaste inventaire qui permet de stocker des tas de trucs quasiment tout le temps utiles à un moment ou un autre de l’aventure. Ça donne lieu d’ailleurs à un moment assez drôle avec une échelle. Comme je le disais plus haut, l’idée de prendre un point’n’click est aussi une belle forme d’hommage, même si les heures de gloire du genre datent surtout de la fin des années 80 jusqu’au milieu des années 90.
Pour les changements d’écrans au sein d’une même zone, tout se fait sans temps de chargement. Et pour les changements de zones, au départ cela se fait en moto avec un choix de destinations, puis plus tard dans l’aventure, via un bus. Toutefois, le nombre de zones n’est pas énorme et ces moments de déplacements deviennent vite anecdotiques.
Si je n’ai rien à redire sur les déplacements ou l’inventaire et sa gestion, un détail m’a déplu. Comme je le disais, deux interactions sont possibles, observer ou interagir. J’aurais préféré que chacun des deux clics de la souris soient attribués à une action précise, plutôt qu’avoir une proposition d’interaction à chaque fois. Tout cela aurait été plus ergonomique. C’est un détail certes, mais dans un jeu qui vous demande de cliquer partout, c’est vite frustrant.
Difficulté classique ?
Ça me permet d’ailleurs d’aborder un point important de ma critique, la difficulté. Je ne suis pas un gros consommateur de point’n’click et, ne l’ayant pas été quand j’étais plus jeune, je n’ai pas toujours les “codes” du genre. Donc je ne sais pas vraiment si j’ai été plutôt nase ou si le jeu est conçu comme étant difficile, mais j’ai galéré. J’avais eu des difficultés avec Still There, mais les énigmes étaient conçues autour de la logique et je finissais par m’en sortir. Pour VirtuaVerse, j’ai eu du mal à comprendre certains cheminements d’actions. Par exemple, pourquoi il fallait parler à tel personnage, puis effectuer telle action, avant d’aller voir un second personnage, qui lui permettra d’avoir une nouvelle interaction avec le premier. Sans indications, on perd aisément le fil de ce qu’on doit faire. Mais à force, c’est devenu un bon exercice d’adaptation.
Autre difficulté, c’était l’interaction des objets et parfois la combinaison d’objets entre eux. Je prends un exemple. Au début de l’aventure, on récupère un tournevis. Puis, un peu plus tard, on récupère un kit de visseries (l’image inclut un tournevis). Même si ça prend peu de temps à tester, c’est assez flou quant aux différences réelles entre les deux et quand utiliser l’un et pas l’autre. D’autant que les objets se fondent dans le décor et on passera parfois devant une interaction 4 à 5 fois avant de se rendre compte qu’il y a quelque chose à faire ou à ramasser. Pas parce qu’on y avait pas pensé, mais parce que l’objet ou l’interaction ne semblait pas activable.
Mais tous ces problèmes sont peut-être dus à ma méconnaissance du genre. Je tenais à les partager car si vous n’êtes pas familier des point’n’clicks à l’ancienne, ça pourra vous bloquer. J’avoue être allé consulter des soluces en tout 3 fois, et je peux les lister sans spoiler : occuper le clodo, foutre du spam au mécano, obtenir le nom de l’astronaute. À voir donc si ça en dit plus sur ma capacité d’analyse et de déduction très moyenne ou si effectivement les énigmes sont trop farfelues.
Enfin, et je voulais le mettre un peu à part du reste, mon principal souci avec le jeu, c’est le personnage principal. Nathan, sans visage, est anecdotique. Il n’a que très peu d’avis personnels, se contente souvent de râler contre le système et n’évolue pas au cours de l’aventure. C’est même pas tant un problème de progression du personnage mais plus qu’il semble… vide ? Ses interventions les plus humaines se feront avec Jay mais il apparaît seulement comme un type jaloux, aigri et tient plus du mercenaire que du combattant plein d’idéaux. C’est dommage, parce qu’il aurait pu permettre d’apporter un regard plus profond sur tout ce qui l’entoure, plutôt que d’en être un profiteur puis un témoin impliqué malgré lui.
VirtuaVerse a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
VirtuaVerse est une aventure sympathique, taillée pour les amateurs de synthwave et de tout ce qui est lié à ce courant du cyberpunk. L’ambiance est géniale, avec un pixel art incroyable et une bande-son sublime. Le jeu est un bel hommage au genre, et est bourré de clins d’œil et de références à la synthwave et au cyberpunk plus généralement. Ne vous attendez donc pas à une révolution du genre, au contraire. Certains thèmes auraient aussi mérité d’être approfondis (l’archéologie numérique, les technomanciens, le contexte politique). Petit bémol enfin sur le personnage de Nathan, hélas pas assez travaillé. Ça reste un premier essai plutôt concluant pour la petite équipe talentueuse de Theta Division.
Veltar
Joueur de jeux vidéo qui aime la politique. Du coup j'écris surtout des trucs qui parlent des deux. Stratégie, Outer Wilds, Metal Gear Solid et indés en pixel art.
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