En mêlant habilement narration sentimentale et énigmes complexes, Still There propose une expérience à la fois intense et prenante. Un mélange qui fonctionne à la quasi perfection, même s’il faudra parfois sortir du simple cadre de l’énigme et faire appel à des connaissances logiques pas évidentes.
Still There est disponible depuis le 20 novembre sur Switch et PC. Une sortie dans une période où d’autres gros titres étaient déjà disponibles. Et c’est dommage pour la comm’ du jeu car, dans son genre, Still There est une belle réussite. Développé par les Italiens de GhostShark Games et édité par Iceberg Interactive, le jeu m’a vraiment surpris sur des domaines inattendus. C’est au passage un très bon nouvel exemple de ces jeux qui « virtualisent » les écrans et les systèmes.
Un style à part
L’espace est une thématique qui amène souvent à des sujets bien précis : du jeu-voyage prônant l’aventure et l’exploration comme Outer Wilds ou No Man’s Sky, du jeu-gestion, qu’il soit économique, de conquête, ou les deux, type Endless Space ou Stellaris, ou encore du jeu-angoisse, du style Alien Isolation ou plus connu, Dead Space. Mais on a évidemment des jeux qui sortent de ces cadres. Et Still There est plutôt là-dedans.
Le jeu nous fait débuter dans une station spatiale, le Bento, qui sert à guider les vaisseaux qui viendraient se perdre dans cette partie de la galaxie. Enfin, débuter, pas vraiment. Still There est un huis clos donc tout se déroulera dans une seule et même pièce. Il faudra ainsi s’y déplacer par scrolling, vers la gauche ou vers la droite. Dans cette pièce, plusieurs « îlots » : l’entrée, la cuisine, la chambre, la salle de bain, le tableau de commandes et l’ordinateur avec son IA, Gorky.
Représenté par un smiley et unique compagnon de notre quotidien solitaire dans ce phare spatial, Gorky possède un caractère… bien à lui. Donneur d’ordres, confident et soutien moyennement efficace, il est même possible de l’affronter aux échecs. Avec une petite incidence sur les choix de dialogues. Son aspect, avec ses expressions par smileys pour réagir, et même finalement le propos général du jeu, n’ont pas été sans me rappeler le film Moon. L’IA doublée par Kevin Spacey a d’ailleurs pour nom « Gerty ». À deux lettres près…
Sur un côté plus technique, avec une direction artistique agréable à l’œil et des environnements bien rendus, ce n’est pas la partie graphique qui peut être prise à défaut. Le côté très BD épurée apporte un vrai cachet. Quant à la partie sonore, elle fait le boulot. Le thème principal est sympathique, mais tout cela manque un peu de diversité.
Tout au plus, on peut regretter une mise en situation un peu rapide sans détailler plus que ça. Mais si vous comptez jouer à Still There, autant s’y habituer directement. Le jeu est loquace, mais seulement pour les dialogues. Il ne vous prendra jamais par la main et c’est à vous de découvrir votre environnement. Ce qui participe d’ailleurs à rendre les énigmes à la fois intéressantes et complexes.
Des casse-têtes qui portent bien leur nom
Abordons donc les énigmes. Il s’agit sans contexte du gros point qui pourra en rebuter certains. Si les premières sont relativement accessibles, elles demandent déjà un temps pour se familiariser avec un fait : tout ou presque est interactif. Pour la partie cuisine de la station c’est pas trop problématique, mais ça le devient vite pour la partie des matériels informatiques. Près d’une dizaine de panneaux de contrôle : son, vision extérieure, alimentation électrique, fréquences, etc. Et chaque panneau se configure avec ses propres boutons ou curseurs.
Heureusement un manuel technique est là pour expliciter au mieux cette avalanche d’informations. Manuel qui va vite devenir indispensable. Si vraiment on bloque, on pourra tenter de se tourner vers Gorky et demander un peu d’aide mais ses conseils restent très limités. Et j’ai envie de dire : tant mieux ! De mon avis totalement personnel, la difficulté de beaucoup d’énigmes apporte une vraie profondeur à Still There.
On est impliqué, on cherche, on compare avec le manuel technique, on tâtonne. Bien sûr, certains casse-têtes sont d’une complexité un peu inattendue. Je pense notamment au passage avec une des conduites à réparer, très difficile à deviner sans une part de hasard, ou celle sur la gestion de l’air au sein de la station qui est une des plus difficiles à comprendre et où la chance a un peu joué de mon côté.
À côté de cela, les autres oscillent entre basiques et relativement accessibles. Attention quand même, quand je parle d’accessibilité, c’est dans la compréhension. Des énigmes elles-mêmes demandent souvent une forme de logique mécanique. Modifier un oscilloscope pour synchroniser une longueur d’onde avec une musique, créer des « ponts » entre différents appareils, bref des choses de ce genre-là.
Donc bien sûr la difficulté est un frein et je suis personnellement resté bloqué très longtemps sur une énigme du jour 2 à la limite de la frustration. Peut-être par manque d’expérience dans les point and click. À noter cependant qu’il est possible de « passer les énigmes » mais uniquement à des moments précis. Une décision étrangement arbitraire. Mais ça ne change rien au fait que tout ce gameplay est habilement amené dans la narration. On n’a jamais la sensation que ça a été intégré de force et tout s’enchaîne de manière naturelle. Cela ne fait donc que renforcer notre implication dans l’histoire du jeu.
Narration intense et soignée
Gros morceau du jeu, cela serait pourtant une erreur de considérer la narration de Still There comme un élément annexe. Comme je le disais dans la partie précédente, elle s’imbrique parfaitement dans le gameplay typé résolution de casse-têtes. Alors pourquoi l’aborder dans une partie à part ? Pour deux raisons.
La première, c’est son propos. La thématique du deuil s’intègre assez bien avec le jeu vidéo : des étapes à surmonter, des maux psychologiques à affronter, et un objectif final à atteindre. Des jeux l’utilisent déjà avec beaucoup d’intelligence. Je pense notamment au poétique GRIS, ou, au récent Lie in my heart, jeu autobiographique du chercheur messin Sébastien Genvo. Ces jeux apportent une vraie valeur ajoutée à la thématique du deuil, et ne se complaisent pas dans la tristesse ou la mélancolie.
C’est ce qu’on retrouve avec Still There, mais encore d’une autre manière. On a par exemple l’évolution du jeu en plusieurs jours (5 au total), qui se ramène pour moi aux phases du deuil. Mais peut-être que j’extrapole un peu. En tout cas, un vrai bon exemple de la spécificité du jeu, c’est le ton. Ici, l’humour est très présent et viendra rompre un propos qui peut facilement enfermer le joueur dans une ambiance spécifique.
La personnalité de Gorky, l’IA, jamais avare en sarcasmes et petites moqueries, a de ce point de vue un rôle de premier plan. Ce qui ne l’empêchera pas de temps en temps de lâcher des réflexions plus philosophiques sur l’Humanité. De façon plus générale, il y a un bon dosage entre le poids du deuil, la solitude spatiale et l’humour durant tout le jeu. Dans les dialogues donc, mais aussi dans les interactions. Que ce soit avec les petites notes laissées çà et là, les descriptions d’objets ou certains termes.
La seconde, c’est le travail de traduction. C’est un boulot impressionnant qui a été réalisé, tant la qualité du français est de haut vol. Un vrai plus dans un jeu qui demande analyse d’items et compréhension de mots précis. C’est quelque chose qu’on pense souvent acquis et un élément qu’on pointe du doigt surtout quand elle est médiocre. Ou quand elle est tout simplement manquante. Ici, la qualité est assez bluffante pour un jeu plutôt de niche (par sa faible publicité et son sujet).
Les responsables de cet excellent travail s’appellent Bérangère et Eric Holweck. Quand on se penche sur le CV de ce dernier, on a quand même une participation à la traduction de nombreux MMO (World of Warcraft, Eve Online, The Secret World, et bien d’autres) et des jeux un petit peu connus comme les Elder Scrolls depuis Morrowind, les jeux Star Wars : KotoR ou encore le fameux Arcanum si cher à mon cœur. Rien de surprenant donc à ce que la qualité soit au rendez-vous.
Still There a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Voilà donc pour Still There. C’était bien plus prenant que ce que j’avais imaginé. Finalement le côté gestion du quotidien est vite mis de côté par le scénario. Au départ assez classique, ce dernier gagne petit à petit en profondeur, et pas seulement pour l’histoire personnelle de notre personnage… Et le tout est vite accompagné par des énigmes tantôt accessibles tantôt complexes. Parfois peut-être trop. Still There reste en tout cas une super expérience qui ne vous prendra pas un temps incroyable : 5 à 10 heures, enfin… selon votre logique.
Veltar
Joueur de jeux vidéo qui aime la politique. Du coup j'écris surtout des trucs qui parlent des deux. Stratégie, Outer Wilds, Metal Gear Solid et indés en pixel art.
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