Le saviez-vous ? H.P. Lovecraft et William Gibson sont les deux seuls auteurs autorisés pour inspirer les jeux vidéo. Il n’y en a pas d’autre. Tous les jeux doivent impérativement se dérouler soit dans un village brumeux de pêcheurs fous hanté par d’ineffables entités subcosmiques, soit dans une ville dystopique futuriste à néons violets surpeuplée d’habitants cyborgs en train de surfer sur un Internet entièrement accessible depuis leur puce mentale rédigée en chinois approximatif. Et puis soudain, un jeu vidéo décide de mélanger les deux : saluez l’avènement techno-cthulhéen de Transient.
Au début de Transient, on fait errer le personnage principal et sa belle bouille d’asset de PNJ dans un jeu de 2007 dans des décors bizarres (pas vilains au demeurant) ornés d’avatars technologiques, et de fontaines à l’effigie de créatures directement copiées-collées de Lovecraft, dont le passage progressif dans le domaine public un peu partout dans le monde ne manque pas de nous rappeler l’extrême créativité des auteurs de jeu vidéo. Pendant quelques minutes, Transient fait illusion et se fait presque passer pour une sorte de walking simulator mystique où on active des leviers et des portes non-euclidiennes pour se faire faire la leçon par des avatars de sauterelles géantes avec une tête qui ressemble à un gros bonnet en laine. On se dit que ça va aller, qu’on a vécu pire cette année, et puis à la fin de ce chapitre introductif, on réalise que les auteurs de Transient, qui nous avaient déjà fait le coup, ont envie de procéder à un étrange mélange de sauce quelque part entre Blade Runner, une mauvaise partie de jeu de rôle et des mots croisés, avec pour horizon ludique absolument tout ce qui rend détestables ou ennuyeux les mauvais jeux vidéo d’aventure.
Tout le monde aime les tableaux électriques et les jeux de hacking dans les jeux vidéo (non)
Le problème de Transient, c’est donc qu’au lieu de simplement vous faire déambuler dans une fanfiction de Shadowrun à la sauce horreur cosmique, il place bien vite dans les pattes du joueur divers artefacts pseudo-ludiques, et que ces phases de « gameplay » sont un calvaire constant. « Énigmes » à base de tableaux électriques à activer ou d’objets à scanner dans le bon ordre, jeux de crochetage de portes, hacking prenant la forme d’un jeu d’esquive sur un damier mélangé avec un jeu où on doit reconstituer des mots en tapotant en rythme des lettres qui défilent à l’écran comme dans Matrix : il ne manque somme toute qu’un niveau sous-marin pour que tous les trucs paresseux et énervants des jeux vidéo d’aventure soient convoqués dans un sabbat démoniaque techno-horrifico-indigeste.
Pas spécialement mal fichus ou déshonorants en eux-mêmes (avec même quelques bonnes idées comme une séquence hommage à Alone in the Dark), ces puzzles heurtent la progression de la narration plutôt qu’ils ne la servent, et ont surtout pour fonction de délayer la sauce d’une intrigue très courte qui part dans tous les sens sans jamais réussir à se fixer nulle part. Est-on dans une fiction post-apocalyptique destinée à nous raconter l’écroulement de l’humanité repliée sur une ville en perdition ? Dans une fiction horrifique narrant l’affrontement entre un homme seul et des créatures surgies des tréfonds de l’âme ? Ou dans un polar à clefs retraçant le déroulé d’un meurtre particulièrement mystérieux ? Le problème de Transient est qu’on est un peu dans tout cela à la fois, noyé par un verbiage de voix off, de textes compacts sur des écrans d’ordinateurs, de livres abandonnés et de séquences de dialogues livrés en pâtés, avec moult noms et lieux balancés au visage du joueur d’une manière nébuleuse qui n’est pas sans rappeler le confus et pénible Torment: Tides of Numenéra.
Esthétique de l’ennui
Je n’ai vraiment rien contre les univers cryptiques et nébuleux, ni les intrigues à tiroirs manipulant des concepts complexes. Le problème de Transient, c’est que cette volonté s’incarne dans un jeu de 4 heures dont au moins deux sont consacrées à vous faire déverrouiller des serrures ou actionner des manettes. Je n’ai jamais, dans les 4 heures nécessaires à boucler l’aventure, eu le sentiment qu’il y avait le moindre rapport entre ce qu’on me faisait faire et ce qu’on me racontait, et ce qu’on me racontait ne me motivait franchement pas assez pour justifier que j’aille trifouiller des serrures électroniques en forme d’énigmes de Science et Vie Junior fabriquées par des psychopathes désœuvrés.
C’est, en partie, un problème de rythme : Transient n’en a pas vraiment, se contentant d’empiler les séquences narratives de manière un peu molle et sans liant visible. Mais c’est je pense aussi un problème de cible ; votre serviteur n’étant pas, mais alors pas du tout celle de ce jeu. Je ne sais pas si c’est ce qu’essayait de faire Iceberg Interactive, mais le résultat de Transient me semble plus proche d’un objet très contemplatif ponctué d’énigmes à l’ancienne comme Myst que du dynamisme et de la dramaturgie d’un Firewatch. Pour aimer ce genre de jeu, je pense qu’il faut avoir un solide amour de ces expériences très rétro dans lesquelles alterner un couloir et une énigme extradiégétique entre deux miettes de background scénaristique n’était pas une expérience marginale. Hélas, chez moi, cela produit surtout un sentiment d’ennui.
N’hésitez pas à être originaux, surtout
Et encore, tout ceci aurait pu sans conteste m’accrocher un peu mieux si seulement il ne se dégageait pas de Transient une incroyable généricité. Certes, l’idée d’une forteresse dernier refuge d’une humanité absolument perdue entre dystopie cyberpunk et hallucinations monstrueuses a de quoi séduire. Mais en pratique, cela se traduit par des discussions lénifiantes avec des trucs moches, dans des décors inégaux (les séquences Lovecraft étant plus inspirées que les séquences Blade Runner) et des couloirs dont on se fout un peu.
Je ricanais de manière un peu méchante au début de cet article sur le fait que les deux seules esthétiques autorisées par le jeu vidéo semblent ici opportunément convoquées, mais en réalité, c’est un vrai problème auquel se heurte Transient. Sans aller jusqu’à dire qu’il faut révolutionner la création vidéoludique à chaque essai, on aurait quand même pu imaginer plus ambitieux que deux mythologies littéraires et cinématographiques aussi rincées et aussi ardemment recyclées que celles ici convoquées.
Certes, vu la brièveté de l’expérience, on imagine qu’il était nécessaire de donner très vite des repères au joueur : une statue de pieuvre par-ci, des cheveux bleus par là, hop, on a mélangé deux trucs que vous aimez bien vous les geeks. Mais d’autres jeux courts ont pu convoquer ces dernières années les esthétiques cyberpunk sans les réduire à un ou deux films des années 80, ou les monstruosités abyssales de Lovecraft sans les réduire à un Necronomicon caché dans le placard de la cuisine. S’inspirer, c’est bien, imiter, c’est moins bien. Et imiter deux fois en mélangeant pour faire bonne impression, c’est à mon goût encore pire.
Transient a testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Esthétiquement générique, thématiquement raté, ludiquement catastrophique, on ne peut pas dire qu’on ait été charmés par ce Transient. Au-delà de son gimmick de futur fluo mélangé à de l’horrifique du XIXe siècle, le jeu d’Iceberg Interactive peine à dégager une identité dans les quelques heures où il tente maladroitement d’ancrer son univers. Dommage, car en dehors de purs survival horrors à la Dead Space, la question des futurs horrifiques reste encore en plein défrichage vidéoludique. Encore faut-il proposer autre chose qu’une fanfiction confuse et un peu sage encroûtée dans un gameplay antédiluvien. Nul doute que le jeu plaira à certains nostalgiques des jeux d’énigmes à l’ancienne et des férus de jeux de rôle d’épouvante en manque d’une soirée de terreur facile, mais Transient reste un moment très, très décevant.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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