Petit coup de cœur perso du Steam Néo Fest aux côtés d’Inscryption, The Signal State et RUN: The World in-between, They Always Run avait tout du platformer d’action profondément Shift-core, avec sa superbe direction artistique louchant sur le western de l’espace dystopique, ses combats nerveux et ses phases de plateforme remplies d’objets tranchants. Miam. Je partais d’autant plus confiant que le titre était développé en interne par l’éditeur russe Alawar, derrière la distribution de succès critiques tels que les deux premiers Beholder, ou Do Not Feed the Monkeys.
La petite déception qui m’étreint au terme des 8h passées sur They Always Run fait donc l’effet d’une douche froide au vu des attentes projetées sur le titre, et j’en ressors avec une amère sensation de gâchis. Que ce soit en termes de gameplay, d’univers ou de propos, le jeu d’Alawar avait tout pour être une réussite, du moins sur le papier. Malheureusement, They Always Run est une promesse qui s’écroule lentement mais sûrement tout au long de sa campagne, pour s’achever en un spectaculaire pétard mouillé.
Rien ne sert de courir…
C’est d’autant plus dommage que, si le titre est criblé de défauts plus ou moins gênants, il est surtout rempli de bonnes idées de game design, de narration, de blagues ou de direction artistique. Le problème étant que, même dans ces cas-là, They Always Run fait quasi systématiquement preuve de dissonance entre ses intentions et l’exécution.
Le plus gênant du point de vue vidéoludique, c’est comment le gameplay s’articule et se dévoile, et comment il se ressent. Je vous bassine avec mes histoires de game feel depuis quelque temps, vantant les mérites d’un Webbed ou d’un Super Cable Boy en termes de prise en main, et je m’apprête à faire tout l’inverse pour They Always Run. Le titre est pensé pour être rapide et nerveux, et, à première vue, c’est effectivement le cas. Notre personnage court, saute, roule, attaque à toute vitesse, et cet aspect est largement exploité par le level design, les combats ou les quelques séquences de course-poursuite. Et pour être honnête, les premières heures, ça fonctionne plutôt bien. Le souci, c’est qu’arrivent assez rapidement deux aspects assez gênants. Le premier est purement de l’ordre du fameux game feel, et c’est le même reproche que j’adressais à Lost in Random il y a quelques semaines : les animations ont un quelque chose de mou, de pataud, comme si des frames manquaient au sein des déplacements et acrobaties de notre personnage. Ainsi, même si ce dernier se déplace et effectue ses actions prestement, on finit par constater une certaine mollesse dans l’animation, et de ce fait, une certaine imprécision et un décalage entre la rapidité du jeu et les sensations qu’il procure.
Un aspect encore amplifié par la seconde bizarrerie de gameplay : certes, tout est pensé pour aller vite, mais rien n’a en revanche été vraiment pensé pour se déplacer lentement. Les demi-tours deviennent ainsi fastidieux, un faux pas dans une course ou phase de plateforme est immédiatement puni par quelques secondes de galère, et un trop grand nombre de séquences de plateformes, de puzzles – puzzles, il faut vite le dire, il s’agit généralement de pister un interrupteur ou une clé pour ouvrir une porte – ou même de combats se révèlent inutilement laborieuses et imprécises. Et quand notre personnage ne va pas trop vite pour l’action qu’il est censé effectuer, il part s’accrocher à tout ce qu’il lui passe par la main, particulièrement durant les affrontements comportant des échelles ou tyroliennes. Il n’est pas rare donc de se faire poutrer car Aiden a préféré rester agrippé à un rebord, ou de repartir à l’autre bout de la map car un malheureux câble trainait par là. Rien de grave en soi, d’autant que la majorité des checkpoints sont plutôt bien placés – on aurait seulement aimé pouvoir passer les cinématiques quand le jeu sauvegarde juste avant leur lancement – mais un exemple assez flagrant du manque de finition du titre, qui se montre de plus en plus bugué au fil de la progression.
Et c’est très dommage, car au milieu de ces soucis de game feel et de polish, les mécaniques, généralement basées sur le troisième bras d’Aiden, sont en général assez maîtrisées. On pourra se servir de ce membre surnuméraire pour détruire des murs sur notre passage, parer les attaques de trois ennemis en même temps, actionner des interrupteurs, briser des gardes… La particularité physique de notre personnage est à la fois au centre des mécaniques et du scénario, et Alawar n’oublie à aucun moment de l’exploiter. Dommage, encore une fois, qu’un trop grand nombre de ces mécaniques s’intègre de manière particulièrement peu organique et logique, arrivant parfois au milieu d’un niveau sans la moindre justification ni autre raison qu’on en a besoin là, maintenant.
Ni de gauche, ni de droite, mais plutôt de droite quand même
Encore plus dommage, c’est que le propos porté par ce fameux troisième bras soit sérieusement malmené par celui porté presque accidentellement par le game design. Aiden possède trois bras donc, mais ce n’est pas le seul dans l’univers de They Always Run. Les mutants sont une caste bien particulière dans ce système politique et social, et souffrent d’une discrimination frontale et violente. Alawar entend ainsi traiter très directement de racisme et de ségrégation, en montrant un certain nombre d’injures liées aux mutants, en disséminant des tags discriminants voire appelant au meurtre, en montrant des bars et autres établissements interdits aux mutants et surtout en dépeignant l’état de misère de ces individu·es qu’implique un tel système, et les violences policières qui vont avec.
Le studio prend ainsi complètement parti pour les mutants et porte un message clairement anti-ségrégation – encore heureux, me direz-vous. Un message qui, s’il est loin d’être subtil – mais tout propos n’a pas nécessairement besoin de l’être, et j’avoue apprécier que ce type de discours soit délivré clairement et non du bout des lèvres – est malheureusement loin d’être partagé par tout le monde ces temps-ci, et qu’il n’est finalement pas si bête d’asséner aussi frontalement. Seulement, j’ai quelques soucis avec la manière dont il est délivré.
Déjà, car au-delà du « le racisme c’est méchant », le jeu ne dit et ne propose pas grand-chose de plus, et si je suis d’accord avec le propos, j’aurais aimé que le studio aille un peu plus loin avec ça, et en fasse plus dans son univers, tant qu’à traiter de la problématique. Mais surtout, car une des bases du game design du titre le fait partir dans une autre direction. En effet, notre personnage étant un chasseur de primes, on se retrouve tout au long du jeu à scanner nos ennemis pour savoir si l’un d’entre eux s’avère être recherché par la police, et le téléporter directement aux forces de l’ordre pour toucher une récompense le cas échéant. L’argent étant primordial pour améliorer notre personnage, il devient ainsi indispensable de coopérer étroitement avec la police pour progresser, afin de devenir plus puissant et livrer toujours plus de criminels à une police profondément violente et raciste. Ça pique, particulièrement quand certaines zones, et donc certaines cibles, se trouvent être typées arabes en plus d’être mutantes.
C’est, je pense, et au vu du message porté, plus une maladresse et un angle mort dans l’esprit des développeurs, qui semblent avoir voulu exploiter la figure du chasseur de primes via le prisme du gameplay, qu’une réelle volonté de promouvoir cette pratique, mais le mal est fait. L’occasion de rappeler deux choses. D’une part, que la figure du chasseur de primes est franchement problématique si elle est traitée sans recul sur son impact, sa moralité et son intégration dans un système juridique – et c’est malheureusement le cas de They Always Run, qui ne remet jamais en question le fait de livrer des dizaines de malfrats aux autorités par la violence, en n’en faisant qu’un élément de gameplay comme les autres. De l’autre, que l’écriture n’est pas le seul moyen narratif d’un jeu vidéo, et que son game design raconte également quelque chose, si ce n’est plus. C’était un aspect qui avait été particulièrement mis en valeur avec Celeste par exemple, dont les mécaniques racontaient autant le combat contre la dépression de Madeline que son scénario, ou plus récemment dans Unpacking, qui pallie la quasi absence de narration écrite par un récit via le gameplay. Sauf que dans ces cas précis, écriture et game design vont dans le même sens, et travaillent ensemble à tisser le même propos, là où les intentions de narration de They Always Run se trouvent en totale dissonance avec son gameplay.
They Always Run a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
They Always Run avait tout pour être un bon petit action-platformer, avec sa chouette idée et exploitation du troisième bras du protagoniste, sa direction artistique sublime, ses quelques très bonnes vannes et son propos somme toute important. Ses errements côté game feel, son imprécision, son manque de finition en font un titre malheureusement assez désagréable à manier, et sa dissonance extrême entre son écriture et son game design en font un jeu à la moralité très discutable. « Dommage » aura probablement été le mot le plus utilisé de 2021 dans la critique vidéoludique, et ce n’est pas avec They Always Run que la tendance s’inversera.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
follow me :
Articles similaires
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024
Great God Grove - Queer et élastique
nov. 11, 2024