Développé par une toute petite équipe en République Tchèque, déjà responsable du joli J.U.L.I.A.: Among the Stars il y a quelques années, Someday You’ll Return est un thriller psychologique mélangeant les styles de jeux : exploration, craft, infiltration, escalade et résolution d’énigmes, le tout étalé sur une quinzaine d’heures, ce qui est, hélas, un peu ambitieux au regard du résultat.
Je me suis longtemps tâté avant de savoir sous quel angle traiter Someday You’ll Return. Le jeu est sorti dans un état assez navrant. Le patch day one a effacé ma sauvegarde me forçant à refaire les trois premières heures de jeu, le patch day two a cassé ma seconde sauvegarde me conduisant à relancer encore une fois l’aventure et le hotfix suivant m’a empêché de finir un chapitre du jeu où des bugs sont soudainement apparus, empêchant mon personnage d’avancer au-delà d’un certain point. Les qualités du jeu mises à part, j’ai eu l’impression de me faire promener pendant des heures dans un train fantôme en panne, aux ampoules cassées, dont les intermittents du spectacle chargés des jumpscare avaient oublié d’enfiler leur masque. A trop vouloir en faire, CBE Software a sorti un titre dont la durée de vie peine à masquer les nombreux problèmes techniques qui heurtent l’expérience de jeu. Dommage, tant le jeu ne manque ni de qualités, ni de bonnes intentions.
Tout un Bohème
C’est assez facile de se moquer des simulateurs de marche horrifiques pour youtubeurs hurleurs tant ils semblent tous sortis du même moule à base de forêts d’Europe de l’Est pleines de structures abandonnées, d’animatroniques effrayants, de bunkers déglingués et de vieilles femmes menaçantes. Mais rendons à Someday You’ll Return ce qui lui appartient : CBE software a parfaitement bien travaillé son sujet et son ambiance. Vous y incarnez Daniel, un quadragénaire franchement antipathique (j’ai rarement eu autant envie de gifler un personnage que j’incarnais dans un jeu) dont la fille, coutumière des fugues, a disparu. Par bonheur, ce bon vieux papa-courage flippant avait installé un dispositif de tracking dans le téléphone de la jeune Stela, ce qui lui permet de la suivre dans un sentier de randonnée à la fois joli et franchement inquiétant. Surtout pour Daniel, qui s’était assuré de ne jamais revenir dans cette zone de la République Tchèque où il a emmagasiné les mauvais souvenirs. Les faits lui donnent raison : à peine arrivé sur place, il se fait assommer et laisser pour mort par une créature effrayante. Le reste est une errance entre rêve et réalité, présent et passé, qui va emmener le protagonistes dans des zones de plus en plus atroces de la forêt et de son âme.
Classique mais efficace, l’intrigue de Someday You’ll Return a l’avantage d’être solide et de ne jamais tomber dans les travers du récent The Suicide of Rachel Foster. Ici, on ne cherche pas à trouver d’excuses aux salauds, quand bien même on les incarnerait. Someday You’ll Return est une histoire de mensonge, de mort et de trahison qui ne vous remplira pas de joie et d’allégresse, mais qui parvient à flirter avec des thèmes sombres sans se vautrer dans la complaisance. Son seul problème scénaristique, au fond, est celui de tout le jeu : il délaye la sauce en continu, et manque cruellement d’intensité. Le jeu de CBE software manque de souffle, et confond parfois exploration et égarement, contemplation et mollesse. Les moments d’horreur fonctionnent bien, mais sont presque trop nombreux et deviennent finalement assez attendus, comme le sont les fusillades d’un Uncharted entre deux couloirs de blabla. La faute à un jeu qui essaye de vous faire faire trop de choses.
Someday You’ll Return mais seulement après le patch
Quinze heures, presque vingt si, comme moi, vous êtes lents à la détente, c’est long pour un jeu d’horreur psychologique de ce genre. Comment la petite équipe de CBE software a-t-elle fait pour en arriver à quelque chose de presque trois fois plus long que les standards du genre ? Facile : en multipliant les phases de gameplay. Loin du simple walking sim, Someday You’ll Return vous propose un simulateur d’escalade, de la lecture de journaux, du tracking via GPS, des choix moraux, du ramassage de papiers de bonbons, des énigmes à base d’objets à reconstituer, du bricolage, de la cueillette, des phases d’infiltration et de la cuisine. C’est beaucoup. Le problème, c’est que tout cela partage le point commun de manquer cruellement de finition. Aucun système n’est très profond ni très abouti, et se présente souvent sous forme de phases de jeu lentes et redondantes qui ralentissent une intrigue qui ressemble plus à une vraie randonnée-galère au fin fond d’une forêt tchèque qu’à une expérience narrative bien tenue. Difficile de rester happé par l’intrigue quand une pause de 20 minutes à cueillir, broyer et cuire des racines pour concocter des potions sépare deux moments de tension.
Une des règles fondamentales du Game Design est qu’il est préférable de procéder par retranchement : on met tout ce qu’on a envie de faire dans un chapeau, et on retranche peu à peu les éléments qu’on ne sera pas en mesure d’implanter de manière convaincante. On dirait que Someday You’ll Return n’a pas assez pratiqué cet exercice nécessaire : un des premiers patchs à la sortie du jeu, s’excusant des nombreux plantages, rappelait aux premiers acheteurs que le titre était principalement réalisé par une équipe de trois développeurs. Et à mon sens, c’est révélateur d’un projet dont l’ambition a dépassé les capacités concrètes de son équipe. Rien ne dit que dans les semaines à venir, Someday You’ll Return ne soit pas entièrement réparé et stabilisé : entre la version pré-release que j’ai reçue il y a une dizaine de jours et ce que vous pouvez acheter aujourd’hui pour une trentaine d’euros, les progrès sont déjà énormes. D’autres n’ont jamais fait cet effort.
La malédiction des jeux horrifiques
Je ne suis pas particulièrement client des jeux d’exploration horrifiques, qu’ils soient ou non à la première personne. Il y a toujours un effet « parc d’attraction », parfois littéral, qui me sort de l’immersion. Ils se contentent trop souvent de jeter un personnage perclus de traumatismes dans un environnement sinistre, et de faire se succéder des événements habituels de films d’horreur. Je suis cependant souvent assez prompt à embarquer dans ceux qui font un réel effort pour changer les artifices habituels de la série Z de l’épouvante cinématographique des années 90 contre des oripeaux un peu plus originaux : Soma avec ses fonds sous-marins et son futur désespéré, Amnesia et sa mécanique bien huilée d’infiltration face à des ennemis invisibles, Layers of Fear et ses illusions d’optique, ou encore Everybody’s Gone to the Rapture avec ses rues étrangement normales et ensoleillées, mais étrangement vides.
A ma grande surprise au regard de son synopsis très classique, Someday You’ll Return est de ceux-là, et fait vraiment des efforts pour mettre en scène ce qu’il propose, que ça soit l’herboristerie traditionnelle, les sentiers de randonnées en Bohème ou les ruines oppressantes. Le jeu est par ailleurs servi par des visuels agréables et une mise en son particulièrement efficace. De manière évidente, les développeurs ont souhaité proposer bien davantage qu’un simple frisson vite oubliable qui n’impressionnera personne, et créer une véritable expérience immersive. Le problème c’est qu’ils ont à mon sens davantage misé sur des phases de gameplay variées, sources d’erreurs de game design, de bugs et de frustration pour le joueur, que sur la manière dont ces différents moments s’articulent entre eux. Involontairement, on retombe encore un peu trop dans le cahier des charges du parc à thème. Mais si Someday You’ll Return n’était pas aussi perclus de bug et si son rythme était un poil plus travaillé, il tutoierait les tous meilleurs jeux du genre.
Je suis déçu par Someday You’ll Return. Trop ambitieux, multipliant trop de sous-systèmes de gameplay qui s’articulent mal et surtout trop perclus de bugs parfois bloquants, le titre de CBE software n’a pas été commercialisé dans une version digne de ce nom. Le studio a multiplié les patches et les hotfix depuis, mais l’expérience reste encore trop dysfonctionnelle au moment où j’écris ces lignes. Cependant, quand elle ne le sera plus et que le jeu sera disponible dans une build un peu plus jouable, c’est avec plaisir que je recommanderai Someday You’ll Return aux amateurs de thrillers psychologiques horrifiques avides de découvrir les tréfonds des forêts tchèques.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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