Il y a quelques années, Kadokawa Games a lancé les Kadokawa Game Mystery, une série de jeux sans liens directs entre eux, si ce n’est un staff commun et une volonté de renouveler le genre du Visual Novel d’enquête et d’horreur. Root Letter, le premier projet de la série, avait été un succès indéniable, bénéficiant même d’un remake et d’une prochaine adaptation en film. Root Film, sa suite spirituelle, est enfin arrivée chez nous après quelques menus retards dus à la pandémie.
Root Letter surprenait par sa capacité à mélanger histoire flirtant avec le surnaturel… Et guide touristique un poil indigeste de la région de Shiname, plus particulièrement de la mystérieuse ville de Matsue connue entre autres pour ses histoires de fantômes et autres Yokai. Si le jeu ne déméritait pas, son aspect aventure était réduit à une portion congrue, tenant davantage du roman interactif que du jeu d’aventure, ce qui pouvait finir par lasser. Root Film fait le pari inverse : on est toujours à Shimane, on se promène toujours dans ses recoins les plus remarquables, mais cette fois-ci, on mène une véritable enquête, ponctuée de phases de déduction et de confrontations avec les suspects d’une sombre affaire de meurtre… Enquêtes qui s’avèrent, comme nous allons le voir, bien écrites, mais d’une difficulté toute symbolique.
Sherlock Holmes à l’office du tourisme
Root Letter prenait le prétexte d’une lettre mystérieusement retrouvée après une quinzaine d’années pour vous faire crapahuter dans la ville japonaise de Matsue, jusqu’à en visiter la moindre baraque à frites. La promenade en devenait rapidement très artificielle, avec des personnages s’extasiant sur tout et n’importe quoi juste histoire de nous le mettre sous le nez. Root Film a, c’est une évidence dès les premières minutes, beaucoup mieux pensé sa mise en scène de cette région du sud-ouest de l’archipel nippon, et ce n’est pas une surprise : on retrouve au scénario de cet épisode Hifumi Kono, le créateur du cultissime survival horror Clock Tower, très remarqué dans les années 90 par les amateurs du genre. Le ton est ainsi plus mystérieux, plus travaillé et la tension dramatique nettement plus palpable que dans le jeu précédent. Dommage qu’il faille parler anglais pour en profiter, Kadowaka et Pqube ne nous ayant pas gratifié d’une traduction des textes en français.
Root Film nous fait tour à tour incarner un réalisateur fauché contraint de produire des DVD minables de faux documentaires surnaturels et une actrice en recherche d’un premier rôle véritablement marquant. Tous deux, ainsi que quelques autres, vont se retrouver sur le tournage d’une série télévisée pensée pour assurer la promotion de la région de Shimane (tiens tiens)… Tournage qui va très vite mal tourner, un meurtre ayant lieu dès le début du tournage. Riho et Rintao, nos deux protagonistes, vont alors devoir faire toute la lumière sur le mystère qui semble entourer la ville et avoir conduit à la tragédie en cours. Et pour ce faire, ils vont devoir collecter de nombreux indices et témoignages aux quatre coins de la région, et faire éclater la vérité.
Attention : si vous avez déjà touché à un Ace Attorney ou à un Danganronpa, vous êtes en milieu ultra familier, mais Root Film a un côté trompeur. Certes, vous allez mener l’enquête tout au long des différents chapitres d’une intrigue d’ailleurs parfaitement rythmée et chapitrée. Certes, vous allez pendant une quinzaine d’heures vous passionner pour les différentes histoires imbriquées de la petite vingtaine de personnages marquants du jeu. Mais attention, si Root Film partage bien quelque chose avec Root Letter, c’est la situation de relative passivité dans laquelle il vous laissera la plupart du temps. N’y allez pas si vous cherchez le jeu d’enquête essentiel à votre début d’année : Root Film est avant tout un visual novel qui n’a pas abandonné son objectif principal, à savoir vous donner une folle envie de prendre un billet d’avion pour aller découvrir les merveilles de la ville la plus hantée du Japon. Parce que niveau enquête, autant dire que le challenge est… Assez peu relevé.
Un flic à la maternelle
La mécanique principale de Root Film, à part la lecture, consiste dans chaque chapitre à collecter un certain nombre de preuves, témoignages et éléments utiles pour la résolution d’un crime ou d’un mystère. A l’issue de la collecte, il vous faudra procéder à une confrontation avec un suspect, qui vous opposera tour à tour mauvaise foi et mensonges face à vos accusations. A vous de « détruire » la barre de vie de votre adversaire en opposant les bonnes preuves à ses affabulations. Une mécanique extrêmement classique, mais en principe extrêmement efficace. Le souci de Root Film, c’est que le niveau de difficulté des enquêtes est si bas qu’on en finit par se demander s’il était bien utile d’en laisser dans le jeu.
Non pas que les crimes et délits exposés ne soient pas très inventifs, simplement que le joueur est à ce point tenu par la main que même les enquêtes les plus complexes ont l’air d’être sorties d’un Super Picsou Géant. On vous dit souvent quoi faire, on ne vous laisse pas beaucoup expérimenter, mais vous êtes trop souvent aiguillé directement sur la solution. L’avantage, c’est que vous ne serez jamais coincé bien longtemps. L’inconvénient, c’est que le petit sentiment de triomphe que ce genre de jeu peut procurer à nous faire élucider une affaire insoluble est, ici, complètement absent. C’est simple : certains suspects nous sont quasiment livrés tout cuits et se confondent bêtement au bout de seulement quelques dialogues. On pourrait imaginer que la volonté de Kadowaka était de ne pas perturber le rythme de lecture avec des énigmes trop denses, mais dans Root Film, on est vraiment trop assisté pour retenir quoi que ce soit du déroulé d’enquêtes pourtant habilement pensées. Et c’est dommage, car dans l’ensemble, ces dernières utilisent et densifient plutôt bien l’univers de la série, et l’ambiance de mystère qui plane sur la ville de Matsue. Peut-être aurait-il fallu, à l’image de ce que faisait Danganronpa V3, laisser la possibilité de régler un peu la difficulté. Par exemple en introduisant davantage d’indices parasites ou de possibilité de faire des déductions erronées.
En revanche, cette simplicité quasiment élémentaire est bel et bien au service du jeu le mieux écrit par Kadokawa Games à ce jour. Pour la simple et bonne raison que l’équilibre entre pure promenade touristique et intrigue mystérieuse est cette fois-ci beaucoup mieux exploité et utilisé qu’il ne l’était dans Root Letter et Root Letter : Last Awnser. Certes, on se promène toujours un peu partout dans Shimane (on voit d’ailleurs un peu plus de pays que dans le jeu précédent), et certes, on est parfois interrompu par des considérations de type « mais enfin, ne savais-tu pas que la restauration de cette urne votive a été co-financée par le Syndicat d’Initiative en collaboration avec le Lion’s Club lors de la collecte de fonds de 2014 ? » et autres inserts du même genre. Mais cela se fait de manière beaucoup plus subtile et mesurée que dans Root Letter. On a l’impression que Root Film a enfin compris que nous faire aimer leur univers passait avant tout par des efforts sur les personnages, l’ambiance et la mise en scène plutôt que sur le besoin de nous dérouler par l’article tout un codex pas toujours franchement intéressant.
Root Film a été testé sur PS4 via une clé envoyée par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur Switch.
Nul besoin d’avoir fait Root Letter pour apprécier Root Film : nous avons là un Visual Novel sympathique qui se tient très bien tout seul. Sortant moins les rames pour nous faire aimer son sujet (la préfecture de Shimane au Japon) que son prédécesseur et livrant une expérience plus immersive, Root Film est un jeu d’aventure auquel on reprochera surtout une absence totale de challenge. Reste une belle aventure servie par un doublage, une direction artistique et un scénario tous très réussis, ce qui est déjà fort agréable.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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