Succès surprise de 2016 dans le petit monde des Visual Novel traduits à l’international, Root Letter avait, à la quasi surprise de son distributeur international, franchi la barre des 500 000 exemplaires vendus. De quoi lancer sur les rails un projet d’adaptation cinéma, une suite, et ce remake complété et enrichi, ajoutant à une intrigue entre tourisme et thriller un casting de 90 mauvais acteurs japonais photographiés et filmés : au fond, ce qui manquait au petit monde des jeux en FMV, c’était un roman photo fourni clé par le syndicat d’initiative de Matsue, dans la Préfecture de Shimane.
Ce n’est pas la première fois que le jeu d’aventure japonais flirte avec le roman photo ou la technique en plein retour en grâce de la Full Motion Vidéo (insérer de vrais acteurs filmés dans un jeu vidéo). Le légendaire 428 : Shibuya Scramble récemment ressorti sur PC proposait une étrange aventure à choix intégralement proposée sous forme de prises de vues réelles et avant lui, des jeux tels que le Flower, Sun and Rain de Suda51 se permettaient des inserts vidéos. Mais c’est à ma connaissance la première fois qu’un jeu d’aventure de la sorte voit son remake incarné par des photos de « vraies personnes ». Néanmoins, dans le cas précis de Root Letter, le projet n’est pas absurde : plus qu’un millefeuilles de mystères mystérieusement mystérieux à la Ace Attorney, Root Letter Last Answer prend le prétexte d’une enquête sur une disparition pour nous promener dans les rues d’une ville importante pour la culture japonaise mais peu connue en Occident. Un exercice qui se prête bien à la photo en HD, et le tout au service d’un jeu qui s’était fait connaître pour ses quelques belles qualités ludiques (pas trop long, bien rythmé, bien ficelé). Mais si Root Letter Last Answer m’a surtout appris quelque chose, c’est que même une photo absolument fixe pouvait cabotiner comme figurant de troisième ordre dans un nanar philippin des années 80.
Venez déguster des Homards Matsue
Si Root Letter Last Anwser, que le jeu vous plaise ou non, ne vous donne pas envie de filer jusqu’à l’aéroport de Narita pour ensuite dévaler des centaines de kilomètres de Shinkansen afin de respirer le bon air marin de Matsue, c’est que vous n’avez vraiment pas la fibre voyageuse. Car si le titre de Kadokawa Games excelle dans un domaine, c’est bien celui de mettre en image la ville où se situe son intrigue.
Prenant le prétexte de la soudaine réapparition (sous une forme peut-être spectrale bouh ça fait peur) d’une ancienne correspondante du protagoniste sous forme de lettre envoyée après 15 ans de silence, Root Letter Last Awnser place le joueur dans la peau d’un visiteur de la ville bien décidé à arpenter ses rues en quête de tout ce qui pourrait le mettre sur la piste de son amie perdue : anciens camardes de classes, registres scolaires, prières au temple, bains publics, arrière cour où un gentil employé de mairie nourrit des chats abandonnés, bateau qui vous emmènera dans les quatre coins de cette charmante station balnéaire avec un capitaine pittoresque qui… Comment ça « c’est quoi le rapport » ? Le rapport, c’est que Matsue c’est joli, et que vous allez me faire un plaisir de l’aimer aussi.
Non pas que le propos du jeu soit insipide, bien au contraire : l’enquête, entre flash backs et révélations sur une tragédie survenue voilà quinze ans, se laisse tout à fait suivre. Et cette version définitive ne lésine pas sur les options de confort pour vous permettre d’avancer à votre guise dans le jeu : arborescence des décisions pour faciliter le New Game +, possibilité de choisir ou non les graphismes d’origine, accélération potentielle des scènes déjà traversées, interface claire, tout est fait pour vous mettre à l’aise et vous faire vous concentrer sur la lecture de l’histoire et la résolution des (minuscules) énigmes du jeu. La localisation (en anglais uniquement, hélas) est assez exemplaire. Mais si Root Letter Last Answer se laisse suivre avec facilité, il ne fait guère de mystère que tout cela est surtout un prétexte à nous montrer Matsue sous toutes les coutures.
Histoires de fantômes chez moi
L’exercice est étrange, mais ce n’est pas un cas unique : le Visual Novel à vocation carnet de voyage est même un exercice relativement courant. La petite ville de Matsue est une localité qui se prête particulièrement bien à l’exercice, surtout dans une histoire sur fond de mystère potentiellement fantastique. Avec ses nombreuses histoires de fantômes et autres Yokaï, la ville qui a hébergé l’écrivain Lafcadio Hearn dans son parcours initiatique de découverte de la culture japonaise et de ses mythes surnaturels regorge de trésors à découvrir et à visiter.
La limite de l’exercice vient de la volonté de nous montrer autant les grands monuments de la ville (temples, plus belles vues de la ville, ryokan prestigieux…) que la baraque à frites préférée des étudiants du coin ou les bureaux de la chaîne de télé locale. En jouant à Root Letter Last Anwser, on a parfois l’impression de s’avaler 100% des pages d’un guide touristique sans temps mort et on oublie un peu parfois qu’on est tout de même supposé remettre la main sur cette fameuse étudiante disparue. Rien de bien grave, mais on a cependant l’impression que le jeu nous fait volontairement multiplier les destinations inutiles juste pour se faire plaisir à nous montrer le moindre recoin, la moindre ruelle commerçante, le moindre passant aimable et pittoresque de la bourgade.
Un run de Root Letter Last Answer vous demandera une petite dizaine d’heures : le jeu aurait pu en durer deux de moins sans perdre sa saveur en écrémant ces passages un peu mous où le joueur se contente de traîner de points remarquables en lieux dit somptueux à la rencontre de gens qui vous balancent qu’ils n’ont « aucune information à vous donner concernant votre amie ».
JE SURJOUE PAS, JE M’EXPRIME
Si j’ai pu souligner la qualité des prises de vues effectuées pour l’occasion (des centaines de photos allant du plat au restaurant à la vue panoramique sur la ville), et l’investissement manifeste des auteurs du jeu pour livrer une version finale extrêmement complète, je me vois cependant obligé de souligner que ce bon pain est recouvert d’une indigeste confiture. Les comédiens choisis pour camper les personnages du jeu, s’ils sont loin d’être tous atroces, sont soumis à une direction d’acteurs n’y allant pas avec le dos de la cuillère concernant le surjeu. Et l’on grimace, et l’on gesticule, et on plisse ou écarquille les yeux comme dans un cartoon avec les potards de l’hyperactivité poussés au maximum : un choix qui revient à faire incarner à des gens bien réels des postures, des voix et des mimiques typiques de la japanime. On ne va pas se mentir, c’est difficile de rester sérieux devant ce spectacle qui ferait passer le susmentionné 428 Shibuya Scramble pour une masterclass de drame intimiste à l’actor studio.
Vous pourrez trouver le résultat drôle, ou atypique voire même un peu mignon, comme vous pourrez le trouver insupportable à se crever les yeux et les oreilles. Par bonheur, vous pouvez tout à fait choisir les graphismes originaux et vous épargner les grimaces et les gesticulations des malheureux figurants embauchés pour l’occasion (pas loin d’une centaine d’acteurs différents, tout de même). Je ne vous recommande que trop cette option, de même que la possibilité de couper les musiques de fond et de les remplacer par n’importe quoi qui ne soit pas ces trois musiques d’ascenseur qui tournent en boucle. Il n’en faut parfois pas plus pour apprécier une bonne histoire dans un joli décor.
Root Letter Last Answer a été testé sur Switch, via une clé fournie par l’éditeur
Root Letter Last Answer est la bonne version définitive d’un chouette visual novel à vocation touristique rythmé, dépaysant et pas mal écrit. Si les prises de vues des acteurs choisis pour l’occasion ne feront pas l’unanimité, la possibilité de s’en passer nous laissent un jeu confortable qui, à l’image d’un Yakuza 6 avec Onomichi, nous donne une folle envie de suivre les pas de ses héros dans une ville japonaise méconnue mais néanmoins indispensable. Bon. On y va quand ?
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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