Si je vous dis : rogue-like, emphase particulière sur la narration, sortie fin septembre 2020 et utilisation maline de son genre pour faire avancer le scénario, tout en frustrant son public le moins possible ? Vous me répondrez Hades, car tout le monde sort son jeu en même temps, malheureusement. Je me souviens avoir vu il y a quelques jours le CM de Going Under faire une vanne sur son jeu, coincé entre Spelunky 2 et le titre de Supergiant Games, et la blague fonctionne hélas aussi pour le pourtant très sympathique Pendragon de Inkle Studios, sorti à la même période que ces quelques poids lourds du jeu indé. Parti pour être un projet secondaire durant le développement de Heaven’s Vault – excellent jeu d’aventure et d’archéologie sur lequel je rejoins l’ami Seastrom, qui en avait pensé beaucoup de bien – Pendragon a finalement pris plus d’ampleur que prévu, pour sortir sous la forme du rogue-like tactical narratif que nous lui connaissons maintenant.
Je pourrais traiter Pendragon sous le même angle que la demi-douzaine de roguelites critiqués pour TPP depuis mon arrivée, juger si ses mécaniques, son contenu, ses synergies suffisent à contrer la structure répétitive du genre et à donner envie de le relancer partie après partie. La réponse serait plutôt tiède, car après 25h de jeu, beaucoup trop de situations viennent à se répéter, mes débuts de parties se font en pilote automatique, et j’ai quasiment déjà fait le tour des histoires que Pendragon avait à me raconter. Le jeu reste issu d’un projet secondaire, et cela se ressent parfois un peu. Et pourtant, je continue de le relancer, inlassablement. Je pourrais le traiter de la façon la plus évidente, et me concentrer sur son système de combat, qui, s’il m’a d’abord fait l’effet d’un tactical assez pauvre et injuste de par son côté impitoyable – même dans des niveaux de difficulté plutôt faible – , s’est révélé être une très bonne utilisation et revisite du jeu d’échecs, dont l’intérêt grandit au fur et à mesure des parties et niveaux de difficulté. Mais si cet aspect m’a finalement beaucoup plu, je n’étais pas non plus venu pour les chevaliers qui font la bagarre dans la boue, c’est même, à vrai dire, ce qui a failli me pousser à ne pas y jouer.
Goûtons voir si ton vin est bon
Les légendes arthuriennes c’est, quand on s’y penche, un sacré gros foutoir. D’un ensemble d’histoires et contes transmis de façon orale, on est passé à un ensemble d’écrits collectés par tout un tas de moines et auteurs médiévaux, qui ont remanié le bousin à leur sauce, apportant tout autant de versions différentes de mêmes personnages et évènements. D’une origine peut-être galloise, ou du moins britannique, à forte tendance païenne avec ses druides et ses fées, la légende a largement été récupérée par l’Église Catholique, qui s’est empressée d’y ajouter la quête d’un Saint Graal ayant contenu le sang du Christ et d’effacer quantité de références à la culture bretonne. Enfin, ça, c’est quand on ne se penche pas non plus sur d’autres théories – sans grande valeur pour les spécialistes et historien·nes, semblerait-il – qui estimeraient l’origine du mythe arthurien en Europe de l’Est, quelque quatre siècles plus tôt. Étant bien loin d’être spécialiste sur la question, je me contenterai de ce décor de Perfide Albion, solidement ancré dans l’imaginaire collectif, et qui sert également de toile à Pendragon.
Car oui, je ne connais que la base de la base, mais ça ne m’a pas empêché, comme quasiment tout le monde, finalement, d’être abreuvé depuis mon enfance d’imageries arthuriennes et de chevaliers de la table ronde. Depuis l’étude de quelques textes de Chrétien de Troyes et ses confrères de l’époque durant le cycle médiéval des cours de français de collège jusqu’à la série Kaamelott d’Alexandre Astier – promis, aucune référence ne sortira entre ces lignes, cet exercice est réalisé par des professionnels, ne faites pas cela chez vous – , mon imaginaire a largement été bombardé des différentes visions d’auteur du mythe, de bandes-dessinées comme Merlin ou Le Chant d’Excalibur dévorées durant mon adolescence, au jeu de société coopératif Les Chevaliers de la Table Ronde, en passant par les assez opposés Merlin l’Enchanteur de Disney et Sacré Graal des Monthy Python. Les images se sont ainsi succédées à environ toutes les étapes de mon développement culturel, étrangement aussi contradictoires d’une version à une autre que formant à elles toutes un ensemble finalement plutôt cohérent, et aux bases communes et immédiatement reconnaissables.
Là-dessus débarque Pendragon, dernière œuvre en date de mes arthureries, et s’imbriquant parfaitement dans cet imaginaire déjà bien forgé, tout en apportant tout de même sa petite pierre à l’édifice. Encore une fois, il sera question du Roi Arthur, de Guenièvre, Lancelot et toute la clique, de Camelot, d’Excalibur, de Saxons et de bagarre. Pendragon nous place en 673, Camelot n’est plus, et Arthur s’apprête à mener l’ultime bataille contre Mordred, son fils déchu. Partie après partie, il s’agira d’aller sauver ses fesses – ou, du moins, de faire mordre la poussière à Mordred – en rejoignant le champ de bataille à Camlann avec sa petite troupe de chevaliers, combattantes et paysans recruté·es tout au long de l’aventure. Et c’est d’ailleurs cette structure – cette fois-ci mêlant de manière intelligente rogue-like et tactical – qui permet une telle emphase sur la narration et parvient à renouer avec la base des légendes arthuriennes : les contes et légendes, les courtes histoires, qui finissent par tisser un seul et même cycle. Au-delà du rogue-like, au-delà du combat tactique, Pendragon est surtout une intégration particulièrement maline de la narration dans le gameplay.
Kay mobile, en avant les histoires
Une narration qui se retrouvera ainsi dans chaque aspect du titre d’Inkle, sans jamais avoir l’air d’être de trop ou ajoutée au forceps. Si notre personnage débute forcément son aventure seul·e, d’autres vont venir se greffer à l’équipe durant le voyage, ce qui va donner lieu à de nombreuses interactions, des plus évidentes, comme les dialogues qui se déclenchent entre deux niveaux sur la carte principale et permettant d’en connaître plus sur le passé de notre personnage de départ, ou de ses relations avec Arthur, à des manifestations un peu plus intéressantes. Il ne sera pas rare, en arrivant sur une carte de combat, que celle-ci soit vide d’ennemis, et qu’elle ne soit que le théâtre d’une discussion entre deux personnages, afin d’approfondir leur relation. Mieux encore, en situation de combat, il sera plus que recommandé de ne pas foncer dans le tas, puisque se tourner autour en toisant ses opposants sera souvent l’occasion de déclencher un dialogue, qui pourra donner des informations sur de potentiels secrets dans la suite de l’aventure, permettre de recruter la personne en face ou simplement développer l’univers et les motivations de nos personnages. Ceci étant dit, tuer tout le monde, progresser seul sans appeler de compagnons à l’aide, ou traverser la carte sans tuer d’adversaires seront tout autant d’actions possibles et débloqueront également d’autres pans de scénario, ainsi que de nouvelles capacités pour nos héros.
Car oui, point de passages de niveaux dans Pendragon : dérouiller chevaliers, loups et ours ne feront gagner en soi ni expérience, ni compétences. Pour cela, il faudra faire progresser l’histoire de chaque personnage, ainsi que leurs relations. Sire Kay sauvé des loups par Lady Rhiannon gagnera le choix d’un nouveau coup spécial, et il en sera de même pour le moindre amour déçu ou comblé, perte d’un·e acolyte et situation de confiance ou de défiance. En faisant apparaître ce genre d’interactions au sein de l’équipe en toutes circonstances, Inkle nous incite ainsi à l’expérimentation, autant durant les combats que phases de dialogues, tout en ayant l’incroyable intelligence de ne jamais nous forcer à lire ou faire ce qu’on ne voudrait pas, un choix qui se ressent dans la possibilité donc de mener ses combats ou non-combats comme on l’entend, mais qui s’exprime particulièrement au moment des histoires au coin du feu, des séquences aussi importantes pour l’identité de Pendragon que parfaitement optionnelles.
Chaque soir, et pour peu que vous ayez des compagnons de voyage, il vous sera possible de faire une halte et monter un feu de camp, autour duquel des histoires seront échangées avant d’aller dormir. Des histoires plus ou moins en lien avec la table ronde, allant de l’absurde au lugubre et passant autant par le mélancolique que moralisateur, selon le personnage qui racontera (ce gros beauf de Sire Kay sera bien plus prompt à nous narrer des histoires de barbares qui pètent, quand Morgana préfèrera parler de magie et de meurtres, Branwen de contes féministes et Lancelot d’amour courtois), et l’humeur générale du groupe (un bivouac après une victoire éclatante ou la perte d’un compagnon n’aura bien sûr pas la même saveur). Aussi anecdotiques que ces histoires puissent paraître, elles témoignent cependant d’une réelle volonté d’Inkle de renouer avec la forme de transmission orale des légendes arthuriennes, bien avant qu’il s’agisse d’un cycle retranscrit par les moines et séries M6, en les faisant raconter au coin du feu, bien évidemment, mais surtout en étant allé les collecter parmi leur communauté. Si John Ingold, scénariste de Pendragon, en a également rédigé, les histoires de coin du feu ont surtout été apportées par des personnes extérieures au studio – amateurs comme professionnels ont été rémunérés – via l’outil de création de dialogues interactifs inklewriter, que les développeurs ont remis en service pour l’occasion.
Un détail pour beaucoup de monde, visiblement – le succès « Raconter toutes les histoires » n’est qu’à 0.3% d’obtention – , mais un énorme plus pour ma part, autant pour la cohérence de l’œuvre, que pour son apport considérable à l’ambiance et l’hommage qu’il constitue aux origines du cycle arthurien – en plus de garder la partie chrétienne à son strict minimum et en se concentrant bien plus sur les noms gallois et une magie druidique. Et c’est une excellente chose que cet aspect soit effectivement un détail. Le cœur du jeu reste un très astucieux jeu d’échecs à la difficulté et aux enjeux grandissants – vaincre la difficulté Mythical m’aura demandé pas mal de parties, et je ne suis pas encore venu à bout du palier Devastating – et il ne fait aucun doute que beaucoup de joueurs sont venus pour ces affrontements, sans vouloir s’encombrer de contes au coin du feu et de dialogues à rallonge. En permettant d’ignorer cet aspect, tout en débloquant les capacités à la fois par le combat et le dialogue, Pendragon offre à quasiment tout type de joueur de se retrouver dans sa proposition et de modeler ses parties selon son envie du moment. Un choix encore trop peu présent dans le jeu vidéo, et pour lequel je ne remercierai jamais assez Inkle.
Pendragon a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Certes un peu juste en contenu pour un rogue-like, Pendragon se distingue cependant par un système de combat bien plus profond qu’il n’en a l’air, grâce à une palette de coups spéciaux modelables tout au long de l’aventure, et une synergie particulièrement maline entre son gameplay et sa narration, proposant un tactical redoutable pour les amateurs d’échecs et une expérience narrative assez unique et inventive pour les autres. On lui pardonnera aisément ses quelques soucis de transitions entre deux dialogues et autres soucis inhérents à l’aléatoire, ainsi que cette sensation un peu prégnante de projet secondaire, tant le titre baigne dans un soin du détail et une bienveillance quant à son matériau de base.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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